vendredi 24 juin 2011

Fête sans pareil, fête sans parole


Plutôt que de décrire par le menu la plus populaire des fêtes lettones, je vais laisser parler les photos, prises hier et la nuit dernière. Depuis, Ligo (le 23 juin) a fait place à Jani (le 24). Pour plus de détails sur ladite fête aux deux noms, durant laquelle on célèbre - comme ailleurs dans la région - le solstice d'été, je vous renvoie entre autres à un sondage tout frais, à ce site (en français) sur quelques caractéristiques lettones, ainsi qu'à un billet que j'ai écrit l'été dernier. Je vous laisse, la nature m'attend...










jeudi 16 juin 2011

On ne plaisante plus en Lettonie

Les événe- ments s'ac- célèrent en Lettonie. Ce jeudi 16 juin, le parlement a décidé de remercier le direc- teur de l'agence anti-corruption, le KNAB. Normunds Vilnitis avait été placé là début 2009, non pas par l'actuel gouvernement mais par celui qui était alors encore contrôlé plus ou moins ouvertement par les oligarques du pays. Depuis, l'intéressé n'avait pas déçu ceux qui l'avaient installé à ce poste-clé (contrairement à son prédécesseur, Aleksejs Loskutovs, qui avait commencé à chercher des poux dans la tête de la même bande, avant d'être écarté en 2008). Lorsque ledit KNAB a lancé, à partir du 20 mai dernier, sa plus grande opération contre les oligarques, Vilnitis n'a pas même daigné interrompre ses vacances à l'étranger.
C'est désormais l'adjointe du directeur remercié, avec lequel elle était en conflit ouvert, qui - une nouvelle fois - dirigera l'agence par intérim, en attendant la nomination officielle d'un successeur. Juta Strike est une sorte de Jeanne-d'Arc locale, Lettone formée à l'école scandinave (la police danoise) avant de revenir au pays jouer les poils à gratter. Tel que c'est parti, l'été devrait être chaud pour ceux qui ont des choses graves à se reprocher.

Plus que jamais dans la courte histoire de la Lettonie indépendante s'affrontent ouvertement deux camps.
D'un côté, il y a ceux qui désirent un retour au statu quo ante, fondé sur des pratiques héritées du soviétisme finissant montées en sauce avec des ingrédients du capitalisme le plus débridé.
De l'autre, il y a ceux qui estiment qu'il est temps de passer à autre chose, même si les contours de cette phase à venir restent à définir. Cet "autre chose" semble en tous cas impliquer un plus grand respect de l'Etat de droit, un espace plus respirable où tout ne se déciderait plus à huis clos entre quelques hommes d'affaires et leurs obligés politiques, mais selon des préceptes plus conformes à l'idéal démocratique (tout aussi perfectible soit-il), mâtinés d'un minimum de transparence. Quelque chose comme ça.
Contrairement à l'ami Tintin en Baltonie, à qui j'avais confié la maison en mon absence, je n'ai pas la naïveté de croire que le second des deux camps en question n'est composé que bonnes âmes irréprochables (elles n'existent pas, et encore mois dans les "hautes" sphères politiques). Mais je suis persuadé que le camp adverse, lui, n'est constitué que de gens néfastes à leur pays et prêts à tout pour défendre les grosses parts du gâteau qu'ils se sont arrogés depuis la sortie de l'Union soviétique.

Certains me demanderont pourquoi le parlement letton a décidé ce jeudi d'approuver (par 82 voix sur 100) la décision gouvernementale visant à congédier le chef du KNAB, alors que, le 26 mai, le même parlement, dans sa majorité, refusait de lever l'immunité parlementaire de l'un de ses membres, l'oligarque Ainars Slesers, et qu'une semaine plus tard, il élisait à la présidence de la République le candidat soutenu par l'un des deux autres oligarques.
Excellente question, comme dirait l'autre.
La réponse me semble évidente: les députés, sauf surprise lors du référen- dum du 23 juillet destiné à valider la procédure de dissolution du parlement lancée par le président sortant, Valdis Zatlers (qui quittera son palais - photo - le 7 juillet), ont intérêt à se refaire une virginité avant d'affronter le verdict des urnes à la fin de l'été. Car plusieurs indices montrent que la population lettone n'est plus aussi dupe qu'avant, ni aussi prompte à fermer les yeux sur les abus commis par ceux qui ont eu les mains libres, jusqu'à ces derniers temps, pour en faire à leur guise.

L'indice le plus probant remonte au 8 juin, lorsque entre 5 000 et près de 10 000 personnes - comme d'habitude, ça varie selon les estimations - se sont réunies sur une île artificielle du centre de Riga pour, de manière symbolique, "enterrer" les oligarques (voire les brûler, comme le montre cette vidéo filmée en fin de manifestation).



Une telle affluence est rare dans ce pays peu versé dans l'extériorisation collective des sentiments et des frustrations. Ce jour-là, j'étais hors de Lettonie mais des témoins directs m'ont rapporté qu'une majorité de participants étaient des jeunes qui, d'ordinaire, estiment avoir mieux à faire que de se préoccuper de ce vieux machin vérolé qu'est la politique locale.
Grâce notamment aux réseaux sociaux en ligne, de nouveaux visages sont apparus, apparemment déterminés à ne pas se laisser intimider. Ce jour-là, chose impensable dans le pays, on appela la foule à boycotter les oligarques, à refuser leurs combines, à décliner leurs "faveurs", à renoncer à les servir dès lors qu'ils entreraient dans un restaurant, à cesser de jouer s'ils allaient au théâtre, bref à leur tourner le dos. Du jamais vu, du jamais entendu en public.
Encore une fois, j'attends de voir si cet élan durera et comment il se traduira dans les urnes, avec quelles conséquences. Qui sortira vainqueur des prochaines législatives, avec quelles intentions en tête? Nous en reparlerons certainement ici et ailleurs. En attendant, les événements s'accélèrent et les enjeux sont plus importants qu'il n'y paraît vu de loin. En quatre mots: on ne plaisante plus.

mercredi 15 juin 2011

Le grognard et le bouquiniste

Une fois n'est pas coutume, quelques mots sur deux blogs que j'ai découvert ces derniers mois et qui me paraissent valoir une fréquentation régulière, voire assidue pour le plus prolixe d'entre eux.

Le premier, Où es-tu Vande- voorde?, s'adresse à un grognard de Napoléon mort à Vilnius lors de la retraite de Russie. Un blog épistolaire écrit par "l’arrière-arrière-arrière-petite-fille de la cousine" de ce mystérieux François Louis Vandevoorde. Installée quelque part en France, Sylvie J. - "ni historienne, ni passionnée de la guerre" - a décidé de partir à la recherche de son ancêtre et de le tenir au courant de ses découvertes par l'intermédiaire de lettres. Ainsi écrit-elle, depuis le 1er juin 2010, à son "Cher Vandevoorde", matricule 5085 au 21ème régiment de ligne de la Grande Armée. Une correspondance au ton très personnel et bien tournée.

Je me permets de reproduire ici l'exergue placé en tête de ce blog:


Cher Vandevoorde,

Tu étais un héros de notre mythologie familiale, le parent «resté en arrière pendant la retraite de Russie» que Papa évoquait avec une certaine délectation avant d’aller chercher ton petit portrait et quelques vieux documents jaunis par le temps…Et le débat s’engageait : étais-tu mort gelé dans la Bérézina ou massacré par des cosaques, ou bien avais-tu survécu à cette terrible retraite de Russie, sauvé par une babouchka avant de fonder une famille aux frontières de la Russie et de la Pologne… Et il était facile, pour les enfants que nous étions, d’imaginer de petits Vandevoorde, forcément en uniforme de la Grande Armée, en train de frapper à la porte de notre appartement… Où-es-tu Vandevoorde ? Une question sans réponse jusqu’à ce qu’en octobre 2001, des ouvriers lituaniens commencent à creuser les fondations d’une série d’immeubles dans un nouveau quartier au nord-est de Vilnius… Une découverte qui a relancé nos recherches familiales. Et c’est à toi que j’ai décidé de les raconter. En tentant, autant que possible de replacer les évènements, sur ce blog, dans leur ordre chronologique.



Voilà, vous en savez assez pour vous aventurer dans cet espace où se dessine peu à peu le destin de Vandevoorde et de ses camarades d'infortune (relaté aussi dans ce livre). Des soldats malgré tout passablement oubliés, dont j'avais parlé dans une des "respirations" rythmant mon livre sur les pays baltes (disponible notamment ici).
Je vous recommande de commencer par le début du blog de Sylvie J. (c'est-à-dire par la fin... en remontant au préalable jusqu'au 1er billet, Un charnier découvert à Vilnius) pour mieux suivre la progression des recherches de l'auteure. La liste complète des lettres est accessible ici, alors qu'on trouvera des photos du beau cimetière de Vilnius (Antakalnis) où reposent aujourd'hui Vandevoorde et les siens.

* * *

Ma seconde découverte est un brin moins originale dans la forme mais vous en connaissez beaucoup, vous, des bouquinistes des quais de Paris qui tiennent un blog? Qui plus est avec talent? Jean-Louis Crimon s'est lancé à corps perdu dans l'exercice depuis le 27 avril dernier, avec l'ambition, semble-t-il, de ne pas refermer ses boîtes à livres, chaque soir, sans avoir pondu un billet pour son journal du bouquiniste.
Le résultat est assez jouissif, pour qui aime la littérature et l'objet livre, les références et les jeux de mots, les rencontres impromptues et les petites phrases échangées autour d'un vieux bouquin épuisé et recherché depuis si longtemps.
Mine de rien, il se passe pas mal de choses au 41, quai de la Tournelle, là où l'auteur a entamé sa mue, lui l'ancien journaliste de Radio-France - entre autres - croisé dans les années 1990, à l'époque où la Maison Ronde avait un correspondant permanent à Copenhague (imaginez ça aujourd'hui!).

Là encore, je m'autorise à reproduire un extrait de ce blog, pour la bonne cause. Il s'agit, presque au hasard, de Jeudi, après-midi de pluie:


- Mais monsieur, si je comprends bien, tous ces livres, ils ont déjà été lus !
- Oui, madame, ce sont des livres d'occasion.

- Mais ça ne me plaît pas du tout !
- Ah bon, pourquoi donc madame ?

- Je ne supporte pas qu'un livre ait pu être lu par quelqu'un d'autre avant moi !


Et l'alerte septuagénaire de claquer du talon comme pour mieux ponctuer son effet. Avant de tourner le dos à mes quatre boîtes vertes pour remonter, d'un pas décidé, le quai de la Tournelle vers le quai de Montebello, puis vers Saint-Michel. Incroyable aplomb. Étonnante personne qu'un livre "déjà lu avant elle" étonne ou scandalise à ce point. Pourtant la poésie de ces livres déjà lus ou relus, passés de mains en mains, parfois annotés au crayon de bois, discrètement, parfois dédicacés ou dédiés, non pas par l'auteur, mais par l'acheteur, comme ce
"Grand Meaulnes" de l'année 36 : "À Juliette, de la part de Georges, en souvenir de notre rencontre" recèlent d'une infinie tendresse. D'une beauté désuète. Touchante. Émouvante. Comme si le livre prenait de la valeur à chaque nouvelle lecture. Comme un supplément d'âme. À chaque âme nouvelle touchée.
Dans ma bibliothèque, c'est curieux, je n'ai que des livres qui ont été lus avant moi. Ce qui ne me pose aucun problème. Au contraire, j'en suis presque fier.
Le ciel, tout enroulé dans sa couette de nuages, est au bord de la pluie. La conversation avec la dame qui a horreur des livres
"déjà lus avant elle" m'a rendu l'âme chagrine. Ça y est, voilà la pluie qui bruine. Je ferme. Les bouquins n'aiment pas la pluie. Le bouquiniste pas davantage.


Je n'ai pas revu Jean-Louis Crimon depuis une bonne douzaine d'années déjà (était-ce à Oslo pour la remise d'un prix Nobel de la paix, ou bien à Copenhague?). Mais depuis avril, je le retrouve régulièrement sur son blog, fine lame sous ses allures bonhommes, en attendant d'aller flâner quai de la Tournelle.

lundi 13 juin 2011

Poésie-photo (1): selles suédoises

Un photographe de mes amis ne me contredira pas, une bonne photo vaut souvent bien des blablas descriptifs ou explicatifs. Un cliché, j'enfonce une porte ouverte, peut faire rêver, sourire, s'interroger...
Bref, la photo a un indéniable pouvoir, celui de stimuler les imaginations.
Sans vouloir "faire" de la photo, il m'arrive d'en prendre... Avec mes petits moyens, mon oeil d'amateur, mes imperfections techniques.
Dans la mesure du possible, je compte alimenter une nouvelle rubrique à part dans ce blog, "Poésie-photo", à raison d'une entrée par mois. Un rythme pépère, me direz-vous. Certes, mais cela me poussera tout de même à prendre plus de photos qu'aujourd'hui. L'idée étant de ne proposer que des images poétiques ou insolites...
Je commence par cette image prise à Stockholm. Poétique? Assurément!


NB: toute idée de légende est la bienvenue. N'hésitez pas à la proposer en commentaire. Pour cette 1ère photo, j'ai pensé à : "L'Etat-providence suédois a tout prévu", à "Fraternité" ou encore à "Attente".

samedi 11 juin 2011

Insouciance et rituels de fin de lycée


Un boucan d'enfer. Les grands axes du centre de Stockholm sont pris d'assaut par des discos mobiles qui déversent une solide techno. A bord de camions décorés de draps gribouillés et de feuillages se dandine la fine fleur de la jeunesse suédoise. C'est à qui hurlera le plus fort, au-dessus du mur de décibels. Pour 25 000 jeunes de Stockholm et sa région, le moment est venu de ta studenten (littéralement "prendre l'étudiant"), c'est-à-dire d'en finir avec le lycée. Et de le faire d'autant plus bruyamment que presque personne ne redouble dans ce pays où l'examen du bac n'existe pas.


Une page se tourne. Bientôt finie l'insouciance, on devient grand... Ca se fête! Défoulement général, hystérie collective, biture de groupe, et le reste peut-être, auxquels les parents préfèrent ne pas penser.

Année après année, c'est le même manège, avec l'obsession pour les fêtards de faire plus de raffut que les aînés. Peu importe le lycée, qu'il soit du centre chic de la capitale ou d'une banlieue colorée, il f-a-u-t aller délirer dans le centre-ville. Pour peu que la météo s'y prête, ce qui est le cas en ce début juin 2011, les tenues sont légères et l'ambiance plus torride encore. Dommage, cette année, il n'est pas possible de s'ébattre dans l'eau de la gigantesque fontaine en verre qui sert de rond-point au centre de Sergels Torg (ci-dessous), l'une des grandes places de Stockholm. Ainsi en a décidé la maréchaussée, lassée d'avoir à réparer l'installation après chaque ras-de-marée lycéen.




Le défilé sur char en folie n'est qu'un épisode du rituel qui marque la fin du lycée, dont les différentes étapes sont décrites ici ou relatées ici (en français). Ce jour-là, la tradition veut qu'on boive du champagne au petit-déjeuner. La 1ère partie de la fête, avec remise de diplôme, se veut relativement solennelle. Les parents sont associés et vont, pour ceux qui le peuvent, chercher leur progéniture au lycée en décapotable.


L'ambiance monte crescendo. Peu à peu, les casquettes blanches traditionnelles (studentmössa) arborées une fois le lycée terminé disparaissent des têtes blondes, brunes, noires, les couleurs de la jeunesse suédoise d'aujourd'hui. Dans la benne du camion, les cannettes de bière ou de cidre font leur apparition, l'eau étant réquisitionnée pour arroser les occupants ou les passants (la boire serait du gâchis).




Comme vous le verrez plus bas, les drapeaux sont aussi de sortie, et ce n'est pas celui, bleu et or, de la Suède qui est le plus visible. Les jeunes originaires de Turquie ou de pays arabes sont plus démonstratifs. Quitte à brandir en même temps un petit drapeau suédois.



Plus tard, les camions ramèneront cette chair déjà plus très fraîche à la maison, en vue de préparer l'étape suivante, le bal. La fête est loin d'être terminée, pour le plus grand plaisir de ceux qui vivent de ce business. Selon une étude récente, le budget moyen dépensé pour chaque lycéen en fin de parcours est de 16 500 couronnes suédoises, soit 1 820 euros.

Et les Suédois devenus adultes, que pensent-ils de tout ça? Comme toujours, il y a ceux qui trouvent que ce grand défoulement n'est ni bien utile ni gracieux (on l'entend dans cette "vidéo-trottoir", en suédois certes, mais qui permet d'avoir de l'image et du son)... D'autres sourient, répondent aux salutations hystériques des lycéens, voire, tel ce type tout de noir vêtu, esquissent des pas de danse très rock'n roll! Succès garanti dans le discomobile...

jeudi 9 juin 2011

Ruban jaune pour otages (estoniens) au Liban

J'ai gardé un souvenir très vague de mon bref passage dans la plaine de la Bekaa. C'était fin 1992 ou début 1993, je ne sais plus bien. La guerre civile avait cessé de miner le Liban mais il était recommandé aux Occidentaux de ne pas traîner dans cette région, en dépit de sa beauté. Si j'y suis tout de même allé, à la fin d'un séjour au Liban pour le compte de l'AFP, c'est que la réputation du lieu était alors plus sulfureuse que la réalité sur place. Les gens qui m'avaient accompagné, fins connaisseurs du pays, voulaient éviter tout risque gratuit. Nous avions marché, entre chien et loup, à travers les ruines de la ville antique de Baalbek, l'ancienne Heliopolis romaine (photo). Je me souviens qu'il était vaguement question de relancer le festival international qui se tenait là jusqu'à la guerre civile (ce qui fut fait plus tard).

Après avoir troqué les suettes orientales pour les claquements de dents septentrionaux, je n'ai quasiment plus entendu parler de la Bekaa, jusqu'à une rencontre avec Jean-Paul Kauffmann. Nous avons fait connais- sance en Lettonie, alors qu'il travaillait à l'écriture de Cour- lande, son livre con- sacré à cette région. Lors d'un long entretien commandé par la revue lettone Rigas Laiks, après la sortie du bouquin, nous avons évoqué, entre autres, le Liban et sa captivité, de mai 1985 à mai 1988 (l'entretien est disponible ici en français).

Ces deux dernières années, niché dans mon coin d'Europe, en haut à droite sur la plupart des cartes du continent, je ne pensais pas que j'aurais de nouveau à parler du Liban dans le cadre du boulot ou sur ce blog. Or voilà que sept Estoniens ont été pris en otage dans la plaine de la Bekaa, le 23 mars, et sont retenus en captivité depuis. Selon la version officielle estonienne, il s'agit de touristes qui étaient partis découvrir le Proche-Orient en vélo. Cela peut paraître incongru, surtout en cette période de troubles dans la région, mais on compte des aventuriers un peu partout et, jusqu'à ce jour, rien (à ma connaissance) ne laisse accroire que ces messieurs étaient là pour faire autre chose que du cyclotourisme.

Toujours est-il qu'après avoir traversé la frontière syro-libanaise en vélo, ils étaient enlevés par des hommes qui, selon certains témoignages, les auraient emmenés avec eux en direction de la Syrie. Un groupe méconnu a revendiqué l'opération. Depuis, les sept Estoniens ont refait surface sur Internet. Dans deux vidéos publiées sur youtube et jugées authentiques, ils lancent des appels à l'aide, en particulier, dans la 1ère des deux, en s'adressant au président Sarkozy:



Il faut croire que les autorités françaises oeuvrent en coulisse pour tenter d'obtenir la libération de ces otages. Non seulement l'ambassade de France à Beyrouth héberge des diplomates estoniens, dans un pays où la République balte n'a pas de représentation diplomatique. Mais, selon le Premier ministre estonien, la France leur fournit "toutes sortes d'assistance" et use de son influence dans la région pour obtenir une issue favorable. C'est ce que m'a dit Andrus Ansip, sans plus de détails, lors d'un entretien à paraître cet été dans la revue Politique Internationale.
A sa boutonnière, le chef du gouvernement arborait un ruban jaune (photo ERR), comme un nombre croissant d'Estoniens: un signe de solidarité avec les familles des otages initié par le président de ce pays, Toomas Hendrik Ilves, sur sa page Facebook.
Ici, une Estonienne émigrée aux Etats-Unis vous montre, ciseaux en main, comment confectionner un tel ruban. Elle explique que, pour un pays d'environ 1,2 million d'habitants, sept hommes détenus en otage, c'est beaucoup.

lundi 6 juin 2011

Tintin en Baltonie: on marche sur la tête

- La prochaine fois que tu me survends une histoire, je te vire!

Jamais encore Tintin n'avait entendu son rédacteur-en-chef le tutoyer. Dans le taxi qui l'emmène à l'aéroport, il repense à cette conversation, désagréable il faut bien le dire, avec son supérieur qui, décidément, ne comprend rien à rien.

Tout avait pourtant commencé de manière courtoise:

- Alors, mon cher Tintin, content de vous entendre. Qu'est-ce que vous nous ramenez de beau?

- Eh bien, comment dire, j'ai quelques pistes prometteuses...

- Des pistes prometteuses? Ah ah, j’aime votre humour! Dites moi donc ce que vous avez trouvé de croquignolet…

- C’est-à-dire que je suis encore en train de creuser...

- De creuser? Soyez plus précis, je vous prie.

- Eh bien, je prépare un portrait du nouveau président balton, qui...

- Comment ça, le "nouveau" président? Mais vous m'aviez dit que le sortant - comment s'appelle-t-il déjà? Euh… oui, monsieur Z! - vous m’aviez dit qu’il allait être réélu!

- Non, pas du tout, j'avais simplement émis l'hypothèse que son coup de poker, la procédure de dissolution du parlement, pourrait inciter les députés à le reconduire pour quatre ans, plutôt que d'apparaître comme des moutons peureux aux ordres des oligarques...

- Et donc, si je vous entends bien, vous vous êtes trompé!

- Disons qu'en avançant cette hypothèse, j'ai peut-être pris mes désirs pour des réalités...

- Dites donc, Tintin, on ne vous paye pas une semaine d'enquête en Baltonie pour "avancer des hypothèses", surtout si c'est pour vous planter! Vous allez me faire le plaisir de boucler vos valises et de revenir illico au journal, on a besoin de vous aux chiens écrasés!

Tintin sursauta. Comme d’habitude il avait été maladroit au téléphone (pourquoi une telle franchise?). Mais c'est la 1e fois que son rédac' chef le menaçait d'un retour à la case zéro. Notre reporter avait commencé comme simple localier dans les pages régionales de son journal.

- Attendez chef, j'ai plein de choses à raconter! Même si monsieur Z n'a pas été réélu, il y a un début de prise de conscience dans la population baltonne. Les gens, et notamment les jeunes, commencent à comprendre que seule une mobilisation collective permettra de réduire l'influence des oligarques! Et d'ailleurs, l'affaire n'est pas finie. Il y aura sans doute des nouvelles élections législatives à la rentrée, et là...

- Là quoi? Vous êtes en train de me dire que vos copains baltons vont se mettre à faire la révolution, comme ça, du jour au lendemain!? Et puis quoi encore... Ils m'ont plutôt l'air d'être de sacrées carpettes, oui! En tous cas, ne comptez pas sur moi pour publier une seule ligne sur le thème du "début d'une prise de cons- cience". C'est du foutage de gueule intégral, Tintin! D'ailleurs, c'est bien simple, la prochaine fois que tu me sur- vends une histoire comme ça, je te vire!

Tintin avait encore à l'oreille le bip-bip-bip stressant de la communication interrompue. Le chef lui avait raccroché au nez. Même au plus bas de l'affaire des bijoux de la Castafiore, il n'avait pas réagi de manière aussi virulente. Bigre, il allait falloir ramer sec pour éviter d'être muté à l'agence du canard à Moulinsart.

* * *

Comment faire? Tintin regardait le paysage - entrepôts, concessionnaires automobiles, supermarchés, stations-service - défiler dans le taxi qui le conduisait à l'aéroport. Avait-il été trahi par son enthousiasme naturel, qui d'ordinaire faisait sa force? S'était-il fait bourrer le mou par des sources trop partisanes? Plus tard, il lui faudrait reprendre ses notes pour voir s'il n'avait pas surinterprété telle ou telle déclaration.

Pourtant, non, il n'avait pas l'impression d'être tombé dans un quelconque panneau. Si ledit monsieur Z n'avait pas été réélu, ce n'était pas parce que son diagnostic était faux, bien au contraire. Sa défaite était la manifestation éclatante du phénomène qu'il avait touché du doigt juste avant l'élection: l'omnipotence des oligarques en Baltonie. Ces messieurs avaient réussi à l'écarter, lui, le pion choisi en 2007 pour sa docilité et devenu, tout d'un coup, trop gênant.

Et qui donc va succéder à monsieur Z à la présidence? Un certain monsieur Petitbouleau, ancien cadre du Parti communiste local (du temps où, déjà, Tintin - cet éternel gamin - s’était rendu au Pays des Soviets). Le bougre était ensuite devenu président d'une banque avant d’investir dans la terre. Son expérience politique récente se limite à celle de député, lui qui a été élu l'an dernier sous les couleurs d'un parti financé par M. Lambert (monsieur L), le plus influent des oligarques baltons. Lequel parti siège au gouvernement avec celui du premier ministre...

Pourquoi diable n'ai-je pas dit ça à mon rédac' chef, au lieu de me perdre dans des explications vaseuses? Ca m'aurait évité des ennuis, soupire Tintin, alors que l'aéroport approche.

Mais le plus embêtant, songe-t-il, ce n'est pas tant mon sort personnel, c'est celui d'un petit pays finalement assez attachant dont les principales instances de décision politique - le parlement, le gouvernement et la présidence de la république - sont désormais sous l'influence plus ou moins directe d'un seul et même homme, monsieur L.

* * *


A l'aéroport, notre reporter idéaliste a le pressentiment qu'il reviendra ici plus vite que prévu. Si ce n'est pas pour le compte de son journal, ce sera à titre personnel, avec Milou. Il fait une halte au kiosque à journaux. Et là que voit-il, sur un présentoir? Le gros titre d'un quotidien: "Le dossier criminel engagé contre Monsieur L examiné par un tribunal de Riga".

Tintin se souvient avoir entendu dire qu'en effet, cet oligarque était sous le coup de poursuites judiciaires depuis trois ans pour corruption, blanchiment d'argent acquis illégalement, abus de pouvoir, et que, comme par hasard, la procédure s'éternisait. Les chefs d'accusation, qui visent aussi un de ses enfants, tiendraient à peine en 140 volumes!

Son billet d'avion en main, il se dit que décidément la Baltonie est une étrange contrée. L'oligarque le plus influent de la place peut, tout en étant poursuivi en justice, se permettre de tirer les ficelles à distance depuis son fief éloigné de la capitale baltonne, avoir un pied au gouvernement et faire élire un de ses sbires à la présidence de la république. Excusez du peu.

mercredi 1 juin 2011

Tintin en Baltonie: coup de bistouri

A sa grande surprise, Tintin obtient de rester quelques jours de plus en Baltonie. Son rédacteur en chef est de bonne humeur lorsqu'il l'appelle depuis sa chambre d'hôtel.

- Ecoutez Tintin, je sens que le sujet vous passionne. Entre nous, nos lecteurs n'en ont pas grand-chose à battre de ce qui se trame en Baltonie mais bon, je vous accorde trois jours de plus. Cela dit, attention, vous me ramenez...
- Je sais, je vous ramène une belle histoire, avec de la couleur, du vécu, de l'intime, pas du jus de crâne de politologue...
- Ca, évidemment, bien sûr! Mais surtout, surtout, vous me ramenez une note de frais qui ne soit pas astronomique. Le journal doit rendre des comptes à ses actionnaires, vous le savez, et la pub, c'est pas fameux...
- Comptez sur moi, je connais la musique.

* * *

Muni de ce blanc-seing, Tintin va enfin pouvoir approfondir le sujet. Le chef a vu juste, le sujet le passionne. Que le lectorat français n'en ait pas grand-chose à faire, il peut bien l'imaginer mais il trouve ça dommage. Car, songe-t-il, voilà un pays européen placé devant un choix tel qu'il n'a jamais été aussi clairement présenté auparavant: se complaire dans un système hérité d'un autre âge, fondé sur la magouille, l'opacité et le clientélisme, ou écarter les tristes acteurs de cette farce pour repartir sur des bases plus saines.

Vaste programme. Même Tintin, grand naïf devant l'éternel, se rend compte de l'immensité de la tâche. Pas facile de s'extraire d'un moule dans lequel on baigne depuis des décennies. Le clapotis d'un jus recuit résonne dans tous les locaux d'entreprises, les salles de conseil municipal, les ex-kolkhozes ravaudés aux normes européennes et les krogi à bière. Et tout le monde s'en accommode plus ou moins. On connait les règles non-dites et on en tire parfois profit à des fins personnelles.

Et pourquoi pas, après tout? Tintin, tout frais débarqué de son univers confortable et politiquement correct, se dit qu'il n'a pas le droit de juger. Il peut tout juste espérer un peu moins d'injustice. Car dans le système dont il pressent les contours, il devine de vrais abus et une lassitude profonde chez ceux, les plus nombreux, qui sont du mauvais du côté du manche.

* * *

Parvenir à modifier la trajectoire mentale et structurelle d'un pays exige une mobilisation collective ou, pour le moins, un soutien tacite d'une majorité qui, en Baltonie, sera toujours silencieuse. Or, sous la loupe de l'actualité, il n'y a pour l'instant que quelques individus qui se démènent. Le président Z, en particulier, qui est à l'origine du choix cornélien qui se profile de manière de plus en plus évidente.

Tintin se souvient que cet homme-là, avant d'entrer par hasard en politique, maîtrisait le bistouri comme pas un. Se pourrait-il que derrière son geste politique, le lancement d'une procédure de dissolution du parlement balton, il y ait celui du chirurgien à l'oeuvre pour éviter que la gangrène ne se généralise? C'est en tout cas l'image utilisée par l'un des interlocuteurs de Tintin. Même si le président Z n'est sans doute pas dénué d'arrière-pensées politiques, il est possible qu'il ait conçu son intervention télévisée comme une opération chirurgicale. Le geste qui peut sauver.

Tintin, ce grand idéaliste, aime bien l'idée. Il n'est pas sûr qu'elle tienne la route mais elle aurait le mérite, au-delà de la formule qui plaira sûrement à son rédac' chef, de donner un sens à ce qui, pour quelques sceptiques croisés ici, en manque.

Quoi qu'il en soit, notre reporter se réjouit déjà d'aller traîner jeudi matin du côté du parlement balton. Les députés ont pour consigne d'élire un nouveau président pour quatre ans. Monsieur Z, le sortant, a maintenu sa candidature, prêt à affronter le verdict d'une assemblée d'élus jouissant d'encore moins de crédit dans l'opinion que lui. Cette journée du 2 juin s'annonce prometteuse.