Je dois avouer un léger embarras. Dans mes souvenirs, je croyais Mindaugas, le seul et unique roi de Lituanie, mort (assassiné) et enterré quelque part dans l'actuelle Biélorussie. Or voilà qu'une initiative de personnalités lettones et lituaniennes tend à démontrer que le souverain, considéré comme le fondateur de la nation lituanienne, a été tué et enseveli à Aglona, bourgade de l'est de la Lettonie contemporaine... Elles viennent d'écrire aux ministères de la culture des deux pays pour suggérer l'érection d'un monument à Aglona, principal lieu de pèlerinage catholique dans les pays baltes, dédié à la mémoire de celui qui, le premier, avait converti ces païens de Lituaniens au catholicisme (il fallut s'y prendre à plusieurs reprises).
L'affaire n'est pas des plus importantes, reconnaissons-le, mais elle m'intrigue - et me permet de reporter à plus tard l'écriture d'un article qui ne m'inspire guère.
J'ai donc rouvert mes livres d'histoire pour m'apercevoir que le cas Mindaugas était plus complexe que je ne le pensais. Car curieusement, les ouvrages que j'ai sous la main évoquent bien son assassinat, en 1263, par un rival, Daumantas, dont il avait semble-t-il volé l'épouse... Mais ils se gardent bien de préciser où eut lieu le sanglant règlement de comptes (deux fils de l'ancien roi y passèrent aussi).
Signée de trois historiens lituaniens, The History of Lithuania before 1795 se contente de souligner que Daumantas aurait agi de concert avec Treniota, neveu de Mindaugas auquel il succéda à la tête de ce qui constituait alors une des puissances émergentes d'Europe. Quant à La Lituanie (par Leonas Treiberis), elle n'apporte pas grand-chose de neuf, si ce n'est que la vendetta inaugura "une période difficile et confuse" jusqu'au règne de Gediminas (photo) à partir de 1316.
Confus, mon esprit l'est aussi en progressant dans cette petite recherche. Le salut passerait-il par Google? Tentons notre chance. Enfer et damnation, le chapitre de Wikipedia consacré à Mindaugas contourne aussi la difficulté (peut-être devrais-je en faire autant?). Assassinat il y eut, aucun doute là-dessus, mais rien sur le lieu. Tout juste lit-on que la victime "fut enterrée avec ses chevaux, conformément à la tradition". Très bien, mais... N'ai-je pas lu un peu plus tôt sur le blog Art et culture de Lituanie (le 18 avril) que, "selon la légende, pour commémorer le règne du roi Mindaugas, ce dernier aurait été enseveli assis sur un trône d'or"? Il faudrait se mettre d'accord. A moins qu'or et chevaux aient cohabité dans cet ultime repos du guerrier. Ladite légende localise cette tombe dans la ville biélorusse de Nowogrodek (alias Navahrudak en biélorusse ou Naugardukas en lituanien).
Retournons dans l'univers sans fond de Google. Tiens, un site internet d'un expert de l'histoire de la Latgale, région lettone où se trouve Aglona. Lui a la bonne idée de préciser qu'un doute subsiste entre deux localités (Aglona et Nowogrodek). Mais il penche en faveur de la première en citant un chroniqueur du début du 17e siècle. Celui-ci aurait trouvé sur place une plaque en marbre endommagée portant une inscription latine attestant de la présence en ce lieu des restes de feu Mindaugas (ce qui, entre nous, ne garantit pas pour autant qu'il ait été tué au même endroit, mais ne coupons pas les cheveux en quatre, les lecteurs arrivés jusqu'ici risquent d'aller voir ailleurs...). Pour apporter plus de poids à son argumentaire, l'expert ajoute que de vieux habitants d'Aglona avaient coutume de parler des ruines d'une "tour du roi" située dans le cimetière. Cela dit, peut-on faire entièrement confiance à cette source, qui fait remonter l'assassinat de Mindaugas à 1268, et non à 1263 comme lu partout ailleurs? Simple coquille, sans doute, personne n'est à l'abri. Mais restons sur nos gardes.
Que faire de tout ça?
On peut sourire en pensant que l'histoire ancienne comporte des zones d'ombre non dénuées de charme. Ou s'amuser des tentatives des uns et des autres de profiter de ce flou pour ramener la couverture à eux. Un monument à Mindaugas à côté de la cathédrale d'Aglona? Voilà qui attirerait encore plus de pèlerins lituaniens dans cette commune lors du plus grand raout catho de la région (suivent une photo prise lors de ma visite le 15 août dernier, et d'autres au pied de ce billet).
On peut aussi suggérer à des archéologues-historiens d'aller mener des recherches approfondies sur le terrain, histoire d'en avoir le coeur net. Pourquoi pas avec des détecteurs de métaux? Mais pour utiliser cet ustensile en Lituanie, il faudra désormais se faire adouber par les autorités. Le parlement vient de voter (le 27 avril) une loi en ce sens pour éviter que des trésors enfouis ne disparaissent dans la besace de malandrins avant de se retrouver, telles ces épées de vikings déterrées en catimini du côté de Klaipeda, sur des sites de vente en ligne.
Bonne nouvelle: l'histoire suscite encore des convoitises! Et permet à des gens comme moi de remettre au lendemain les articles qu'ils auraient pu écrire le jour même.
jeudi 29 avril 2010
mardi 27 avril 2010
Ombres chinoises sur la Petite sirène
Qu'en aurait pensé Hans Christian Andersen? La Petite sirène, statue inspirée par l'un de ses contes, a quitté Copenhague! Pour un premier voyage depuis son installation, en août 1913, sur un rocher du port danois, la célèbre créature à la queue de poisson - 175 kilos sur la balance tout de même - n'a pas mégoté: direction la Chine. Shangaï plus exactement, où elle est d'ores et déjà le clou incontestable du pavillon représentant le Danemark à l'Expo 2010 qui ouvrira samedi. Pour l'occasion, le royaume a imaginé un concept un peu tiré par les cheveux: celui du pays du "Welfairytale". Ou comment mettre dans un même panier welfare scandinave et fairy tales... Séduire ces Chinois au grand appétit vaut bien quelques contorsions du genre. En six mois, près de 100 millions de visiteurs sont attendus à l'Expo de Shangaï, dont 95% de ressortissants du pays hôte. Andersen serait, lit-on dans la presse danoise, extrêmement populaire parmi les centaines de millions d'enfants chinois. Alors...
Le déracinement de l'icône danoise, la plus belle des six filles du Roi de la mer, a provoqué quelques remous dans le royaume. Est-ce bien nécessaire de l'expédier de l'autre côté du globe? En Chine, qui plus est? Et qu'en penseront tous ces touristes étrangers mal informés qui, lorsqu'ils se rendront sur la promenade Langelinie, trouveront jusqu'à fin novembre une installation vidéo signée d'un artiste chinois (Ai Weiwei) en lieu et place de la belle, d'ordinaire assise là, "silencieuse et réfléchie"?
Il n'est pas dit toutefois que H. C. Andersen se serait plaint d'une telle aventure orientale. L'écrivain aimait à voyager. Entre 1831 et sa mort, il mena une trentaine d'expéditions hors de Copenhague. Car c'est bien d'expéditions dont il s'agissait à l'époque, dès lors qu'on s'éloignait de son pré carré. Andersen ramena de ces périples des récits enlevés, qui nous rappellent qu'il n'excellait pas uniquement dans l'écriture de contes. L'un de ces récits, presque prémonitoire, s'intitule... Ombres chinoises.
Enfin, le titre complet est Ombres chinoises d'un voyage dans le Harz, la Suisse saxonne, etc, etc au cours de l'été 1831 (sic). Le Danois n'est pas allé plus loin que le Proche-Orient. Pourquoi donc ombres chinoises? L'enfant d'Odense s'en explique dans l'entame de ce récit du tout premier voyage qu'il entreprit hors de son pays, à l'âge de 26 ans. Après avoir averti le lecteur que sa narration n'aurait rien de plus originale ni théâtrale que les contrées traversées et les gens rencontrés, il poursuit: "Je vais ouvrir mon coeur et montrer toute une série de tableaux bariolés, un voyage enchanté. Pas besoin de tendre une toile sur le mur, c'est trop de dérangement. Nous avons la page blanche dans le livre, c'est là que vont apparaître les images; elles sont dessinées, il est vrai, à traits un peu approximatifs, mais l'on se souviendra que ce ne sont là que des ombres chinoises de la réalité."
J'emprunte ces lignes à Michel Forget, qui a traduit pour la première fois en français quatre des récits de voyage ramenés par le poète-écrivain, rassemblés en un seul et même volume que je recommande (Voyages, publié cette année chez Riveneuve). Les trois autres excursions nous conduisent Chez Charles Dickens (dans le Kent, "à vingt-sept lieues de Londres"), dans la région danoise de Skagen, avant de terminer au Portugal via Bordeaux. Mon petit pois, non, mon petit doigt me dit pourtant que les édiles de Copenhague n'auront pas l'idée d'y expédier, là aussi, la Petite sirène, une fois son exil chinois achevé...
Le déracinement de l'icône danoise, la plus belle des six filles du Roi de la mer, a provoqué quelques remous dans le royaume. Est-ce bien nécessaire de l'expédier de l'autre côté du globe? En Chine, qui plus est? Et qu'en penseront tous ces touristes étrangers mal informés qui, lorsqu'ils se rendront sur la promenade Langelinie, trouveront jusqu'à fin novembre une installation vidéo signée d'un artiste chinois (Ai Weiwei) en lieu et place de la belle, d'ordinaire assise là, "silencieuse et réfléchie"?
Il n'est pas dit toutefois que H. C. Andersen se serait plaint d'une telle aventure orientale. L'écrivain aimait à voyager. Entre 1831 et sa mort, il mena une trentaine d'expéditions hors de Copenhague. Car c'est bien d'expéditions dont il s'agissait à l'époque, dès lors qu'on s'éloignait de son pré carré. Andersen ramena de ces périples des récits enlevés, qui nous rappellent qu'il n'excellait pas uniquement dans l'écriture de contes. L'un de ces récits, presque prémonitoire, s'intitule... Ombres chinoises.
Enfin, le titre complet est Ombres chinoises d'un voyage dans le Harz, la Suisse saxonne, etc, etc au cours de l'été 1831 (sic). Le Danois n'est pas allé plus loin que le Proche-Orient. Pourquoi donc ombres chinoises? L'enfant d'Odense s'en explique dans l'entame de ce récit du tout premier voyage qu'il entreprit hors de son pays, à l'âge de 26 ans. Après avoir averti le lecteur que sa narration n'aurait rien de plus originale ni théâtrale que les contrées traversées et les gens rencontrés, il poursuit: "Je vais ouvrir mon coeur et montrer toute une série de tableaux bariolés, un voyage enchanté. Pas besoin de tendre une toile sur le mur, c'est trop de dérangement. Nous avons la page blanche dans le livre, c'est là que vont apparaître les images; elles sont dessinées, il est vrai, à traits un peu approximatifs, mais l'on se souviendra que ce ne sont là que des ombres chinoises de la réalité."
J'emprunte ces lignes à Michel Forget, qui a traduit pour la première fois en français quatre des récits de voyage ramenés par le poète-écrivain, rassemblés en un seul et même volume que je recommande (Voyages, publié cette année chez Riveneuve). Les trois autres excursions nous conduisent Chez Charles Dickens (dans le Kent, "à vingt-sept lieues de Londres"), dans la région danoise de Skagen, avant de terminer au Portugal via Bordeaux. Mon petit pois, non, mon petit doigt me dit pourtant que les édiles de Copenhague n'auront pas l'idée d'y expédier, là aussi, la Petite sirène, une fois son exil chinois achevé...
jeudi 22 avril 2010
En remontant les rues d'Oslo
De retour d'Oslo, entre deux nuages de cendres, avec des idées de projet à creuser. Il est encore trop tôt pour en parler. Ce que je peux dire ici, c'est qu'en traversant cette ville à pied, l'autre soir, pour aller de la gare à l'hôtel, j'ai été pris d'un sentiment - n'ayons pas peur des mots... - de bien-être. Le dégradé bleuté du ciel tirant vers la nacre, annonciateur des nuits claires d'été? L'impression de retrouver une ville que je commence à connaître un peu, depuis le temps? Le souvenir de mon 1er vrai reportage dans ce pays? C'était en novembre 1994, avec Pia, ma collègue anglophone de l'AFP. Les Norvégiens s'apprêtaient à dire "non merci" à l'Europe que leur proposaient la classe politique et les milieux économiques nationaux. Première rencontre concrète avec l'euroscepticisme pour le jeune journaliste que j'étais.
Là, en arpentant les trottoirs quasi déserts de Grensen, je me suis dit que j'avais beaucoup de chance de faire ce foutu métier. Malgré la mauvaise passe actuelle traversée par la presse, malgré les critiques récurrentes contre les journalistes et les médias, souvent mis dans un même panier bien pratique par leurs contempteurs. Comme si les choses iraient mieux sans personne qualifiée pour les raconter et les décrypter du mieux possible, selon des règles déontologiques parfois bafouées, souvent respectées.
En attaquant la rue pentue longeant le parc du château royal, je songeais aussi à cette région devenue mon terrain de "jeu" habituel. L'aiguillage vers le Nord ne s'est pas fait complètement par hasard, même si aujourd'hui je pourrais être en poste à l'autre bout du monde. Est-ce que je regrette cet enracinement? Non, disons que je n'y pense que très rarement. J'ai beau avoir l'impression de me répéter de temps à autre, je n'ai toujours pas épuisé mon sujet, loin de là. Le champ d'action est vaste, surtout depuis que je l'ai élargi aux Baltes. De quoi alimenter encore des années d'écriture et de reportages.
Quelques mots encore sur la méfiance de la Norvège à l'égard de l'UE. Au lendemain de ma balade vespérale, j'écoutais Geir Lundestad, le secrétaire du Comité Nobel norvégien et directeur de l'Institut Nobel, me raconter combien l'hypothèse d'un ralliement du royaume prospère à l'Union lui paraissait éloignée. "Je ne vois pas quel intérêt les Norvégiens auraient à rejoindre cette organisation, dont ils se sentent si éloignés. Le pays est devenu tellement riche grâce au pétrole!" L'historien, que je rencontrais pour un entretien à paraître dans la revue Politique internationale, avait fait, il y a pas mal d'années, un pronostic sur une possible date d'entrée de la Norvège dans l'UE: pas avant 2016, avait-il avancé dans un journal. "Aujourd'hui, je ne pense même pas que ce sera le cas", observe-t-il, en refusant de se risquer à tout nouveau pronostic...
Là, en arpentant les trottoirs quasi déserts de Grensen, je me suis dit que j'avais beaucoup de chance de faire ce foutu métier. Malgré la mauvaise passe actuelle traversée par la presse, malgré les critiques récurrentes contre les journalistes et les médias, souvent mis dans un même panier bien pratique par leurs contempteurs. Comme si les choses iraient mieux sans personne qualifiée pour les raconter et les décrypter du mieux possible, selon des règles déontologiques parfois bafouées, souvent respectées.
En attaquant la rue pentue longeant le parc du château royal, je songeais aussi à cette région devenue mon terrain de "jeu" habituel. L'aiguillage vers le Nord ne s'est pas fait complètement par hasard, même si aujourd'hui je pourrais être en poste à l'autre bout du monde. Est-ce que je regrette cet enracinement? Non, disons que je n'y pense que très rarement. J'ai beau avoir l'impression de me répéter de temps à autre, je n'ai toujours pas épuisé mon sujet, loin de là. Le champ d'action est vaste, surtout depuis que je l'ai élargi aux Baltes. De quoi alimenter encore des années d'écriture et de reportages.
Quelques mots encore sur la méfiance de la Norvège à l'égard de l'UE. Au lendemain de ma balade vespérale, j'écoutais Geir Lundestad, le secrétaire du Comité Nobel norvégien et directeur de l'Institut Nobel, me raconter combien l'hypothèse d'un ralliement du royaume prospère à l'Union lui paraissait éloignée. "Je ne vois pas quel intérêt les Norvégiens auraient à rejoindre cette organisation, dont ils se sentent si éloignés. Le pays est devenu tellement riche grâce au pétrole!" L'historien, que je rencontrais pour un entretien à paraître dans la revue Politique internationale, avait fait, il y a pas mal d'années, un pronostic sur une possible date d'entrée de la Norvège dans l'UE: pas avant 2016, avait-il avancé dans un journal. "Aujourd'hui, je ne pense même pas que ce sera le cas", observe-t-il, en refusant de se risquer à tout nouveau pronostic...
vendredi 16 avril 2010
Le monstre Eyjafjallajökull
La nature fait parfois bien les choses. Alors que mon frère, ma soeur et sa petite famille sont venus me rendre visite à Stockholm, où je les ai rejoints mardi, nous voilà tous "condamnés" à passer quelques journées de plus ensemble. Venues d'Islande, les cendres volcaniques nous gratifient de ce cadeau imprévu, en empêchant tout avion de décoller.
Merci Eyjafjallajökull!
Pour un volcan qui ne se réveille au mieux qu'une fois tous les deux siècles, avouez que c'est une aubaine.
Evidemment, parmi les centaines de milliers de personnes affectées par la paralysie de l'espace aérien dans tout le nord de l'Europe, certains ne conçoivent pas les choses de la même façon. De là à y voir une vengeance métaphysique de la nature islandaise, après les mauvais traitements infligés à l'île par les méchants capitalistes britanniques et néerlandais, il y a un pas que d'aucuns n'hésitent pas à franchir, plus ou moins sérieusement.
Et ils ont raison, les bougres! J'en ai la "preuve". Elle m'a été envoyée d'Islande. Une photo satellitaire du volcan incriminé. De quel monstre s'agit-il, à votre avis?
Merci Eyjafjallajökull!
Pour un volcan qui ne se réveille au mieux qu'une fois tous les deux siècles, avouez que c'est une aubaine.
Evidemment, parmi les centaines de milliers de personnes affectées par la paralysie de l'espace aérien dans tout le nord de l'Europe, certains ne conçoivent pas les choses de la même façon. De là à y voir une vengeance métaphysique de la nature islandaise, après les mauvais traitements infligés à l'île par les méchants capitalistes britanniques et néerlandais, il y a un pas que d'aucuns n'hésitent pas à franchir, plus ou moins sérieusement.
Et ils ont raison, les bougres! J'en ai la "preuve". Elle m'a été envoyée d'Islande. Une photo satellitaire du volcan incriminé. De quel monstre s'agit-il, à votre avis?
vendredi 9 avril 2010
BALTE-TRAP: cher président letton
J'inaugure aujourd'hui une rubrique particulière sur ce blog. Une sorte de coup de gueule contre un événement, une initiative ou un propos balte qui m'aura mis de mauvaise humeur ou m'aura paru déplacé, risible, lamentable, outrancier, vulgaire... Je ne me livrerai pas ici à des attaques gratuites (ce n'est pas ma tasse de thé) ni ne chercherai à donner des leçons. Mais je n'ai rien contre un mini-pamphlet, pour peu qu'il soit étayé. En suivant la suggestion d'un oncle avisé, j'intitulerai ce genre de billet "Balte-trap" (à balles à blanc, bien sûr).
Le premier concerne des propos tenus par le président letton, Valdis Zatlers. Dans un entretien à la radio allemande Deutsche Welle, il affirme tout d'abord que "les Lettons se sentent beaucoup mieux qu'il y a un an". Affirmation plus que contestable. Certes, la situation financière du pays est moins instable depuis l'emprunt accordé par le FMI et l'UE. Plus de 7 milliards d'euros sur la table, ça calme les marchés. Mais la crise creuse son sillon d'une manière plus profonde qu'il y a un an, les bas de laine s'amenuisent, le chômage dépasse les 20%, les indemnités (quand on y a droit) viennent à terme, la lassitude gagne, le moral en prend un coup, les gens partent chercher du boulot à l'étranger. Bref, il faudrait être aveugle pour ne pas le voir et de mauvaise foi pour ne pas l'admettre publiquement.
Ensuite, le président Zatlers fait très fort lorsque la radio lui demande pourquoi donc, contrairement à la Grèce, la population lettone ne proteste pas contre les mesures d'austérité. Et quel "conseil concret" pourrait-il donner au gouvernement d'Athènes?
Réponse: comme en Lettonie, "vous devez engager un processus permanent de négociations avec toutes les organisations non-gouvernementales, avec tous les partenaires publics et plus important encore, avec la population. Il faut faire comprendre à toute personne vivant dans le pays que le problème est aussi le sien."
On croit rêver! Je connais peu de pays d'Europe où le pouvoir politique est si discrédité, si peu écouté et respecté de la population qu'en Lettonie. Cela se reflète dans les études d'opinion Eurobaromètre (voir page 5), soulignant que les Lettons sont les Européens éprouvant la plus grande défiance à l'égard de leur gouvernement (88%), de leur parlement (92%) et de leurs partis politiques (95%)!
La manière dont Valdis Zatlers a été désigné au poste de président (doté de peu de pouvoirs ici) est d'ailleurs l'une des manifestations du déficit démocratique qui touche ce pays. En 2007, les partis aux affaires sont allés chercher en dernière minute ce directeur d'hôpital - chirurgien fort respecté mais sans aucune expérience politique ni internationale - pour le faire élire par le parlement au suffrage indirect...
Quant à "toutes les ONG" dont parle le locataire du palais prési- dentiel (photo), elles sont, à l'image de la société civile lettone, sous-représentées et considérées comme inutiles, voire nuisibles, par le pouvoir politique.
Dans le même entretien, Valdis Zatlers n'hésite pas à se contredire lorsqu'il estime qu'il est "nettement mieux" que les discussions sur les mesures d'austérité en Lettonie aient eu lieu à l'intérieur de la coalition gouvernementale plutôt que "dans les médias" (dans le genre dialogue, on fait mieux...). Et le président d'ajouter: "Cela renforce la confiance de la société". Hum.
Il est vrai qu'à quelques exceptions près (une émeute le 13 janvier 2009 et quelques timides manifestations contre une fermeture d'hôpital ici, d'une école là), les Lettons n'ont pas exprimé en public leur mécontentement ou leur frustration de voir le pays plonger dans la crise (petit rappel: -18% de PIB en 2009 par rapport à l'année d'avant, soit la plus forte chute de toute l'UE).
Oui, contrairement aux Grecs et à d'autres, les Lettons ont tendance à faire le dos rond, à accepter en serrant les dents, à se replier sur leur sphère privée en attendant des jours meilleurs. Comme durant la période soviétique.
Mais essayer, comme le président Zatlers, de faire passer la Lettonie pour un modèle de dialogue social relève de la supercherie. Et le fait que la Deutsche Welle n'ait pas accompagné cet entretien d'un article d'éclairage pour "recadrer" la bonne parole présidentielle prive l'auditeur/lecteur peu averti d'une mise en perspective qui aurait été plus qu'utile. C'est dit.
Le premier concerne des propos tenus par le président letton, Valdis Zatlers. Dans un entretien à la radio allemande Deutsche Welle, il affirme tout d'abord que "les Lettons se sentent beaucoup mieux qu'il y a un an". Affirmation plus que contestable. Certes, la situation financière du pays est moins instable depuis l'emprunt accordé par le FMI et l'UE. Plus de 7 milliards d'euros sur la table, ça calme les marchés. Mais la crise creuse son sillon d'une manière plus profonde qu'il y a un an, les bas de laine s'amenuisent, le chômage dépasse les 20%, les indemnités (quand on y a droit) viennent à terme, la lassitude gagne, le moral en prend un coup, les gens partent chercher du boulot à l'étranger. Bref, il faudrait être aveugle pour ne pas le voir et de mauvaise foi pour ne pas l'admettre publiquement.
Ensuite, le président Zatlers fait très fort lorsque la radio lui demande pourquoi donc, contrairement à la Grèce, la population lettone ne proteste pas contre les mesures d'austérité. Et quel "conseil concret" pourrait-il donner au gouvernement d'Athènes?
Réponse: comme en Lettonie, "vous devez engager un processus permanent de négociations avec toutes les organisations non-gouvernementales, avec tous les partenaires publics et plus important encore, avec la population. Il faut faire comprendre à toute personne vivant dans le pays que le problème est aussi le sien."
On croit rêver! Je connais peu de pays d'Europe où le pouvoir politique est si discrédité, si peu écouté et respecté de la population qu'en Lettonie. Cela se reflète dans les études d'opinion Eurobaromètre (voir page 5), soulignant que les Lettons sont les Européens éprouvant la plus grande défiance à l'égard de leur gouvernement (88%), de leur parlement (92%) et de leurs partis politiques (95%)!
La manière dont Valdis Zatlers a été désigné au poste de président (doté de peu de pouvoirs ici) est d'ailleurs l'une des manifestations du déficit démocratique qui touche ce pays. En 2007, les partis aux affaires sont allés chercher en dernière minute ce directeur d'hôpital - chirurgien fort respecté mais sans aucune expérience politique ni internationale - pour le faire élire par le parlement au suffrage indirect...
Quant à "toutes les ONG" dont parle le locataire du palais prési- dentiel (photo), elles sont, à l'image de la société civile lettone, sous-représentées et considérées comme inutiles, voire nuisibles, par le pouvoir politique.
Dans le même entretien, Valdis Zatlers n'hésite pas à se contredire lorsqu'il estime qu'il est "nettement mieux" que les discussions sur les mesures d'austérité en Lettonie aient eu lieu à l'intérieur de la coalition gouvernementale plutôt que "dans les médias" (dans le genre dialogue, on fait mieux...). Et le président d'ajouter: "Cela renforce la confiance de la société". Hum.
Il est vrai qu'à quelques exceptions près (une émeute le 13 janvier 2009 et quelques timides manifestations contre une fermeture d'hôpital ici, d'une école là), les Lettons n'ont pas exprimé en public leur mécontentement ou leur frustration de voir le pays plonger dans la crise (petit rappel: -18% de PIB en 2009 par rapport à l'année d'avant, soit la plus forte chute de toute l'UE).
Oui, contrairement aux Grecs et à d'autres, les Lettons ont tendance à faire le dos rond, à accepter en serrant les dents, à se replier sur leur sphère privée en attendant des jours meilleurs. Comme durant la période soviétique.
Mais essayer, comme le président Zatlers, de faire passer la Lettonie pour un modèle de dialogue social relève de la supercherie. Et le fait que la Deutsche Welle n'ait pas accompagné cet entretien d'un article d'éclairage pour "recadrer" la bonne parole présidentielle prive l'auditeur/lecteur peu averti d'une mise en perspective qui aurait été plus qu'utile. C'est dit.
mardi 6 avril 2010
Histoire d'oeufs à la mode lettone
Que fait-on à Pâques en Lettonie, après un long hiver comme celui qui vient de s'achever? Pour peu que l'on se trouve dans une famille catholique (le degré de croyance importe peu), on commence, la veille au soir, par décorer des oeufs frais par dizaines. Fragments de fougères et autres bribes végétales sont appliqués sur la coquille de l'oeuf pour laisser leurs empreintes. Le tout est recouvert d'un morceau de bas découpé aux ciseaux et maintenu autour de l'ovale par du fil à coudre. Ou bien l'on dessine des motifs à même la coquille avec le cul d'une bougie.
On plonge les oeufs dans deux grandes casseroles d'eau. Dans l'une baignent des peaux d'oignon frais pour donner à la coquille une couleur chaude et dorée. Dans l'autre, des mûres ramassées l'été précédent: effet mauve garanti. Quelques minutes plus tard, on défait la gangue de tissu pour découvrir les motifs imagés laissés par les fibres naturelles. Un léger badigeonnage à l'huile et le tour est joué.
Le lendemain, dégustation des oeufs en famille, au petit-déjeuner (au retour de la messe pour les pratiquants) et à chaque repas de la journée... Salades composées généreusement arrosées de mayonnaise, tranches de viandes diverses servies froides et gâteaux à base de fromage blanc caillé suffisent à caler les estomacs pour quelques bonnes heures.
Entre deux repas, une balade à pied ou en vélo s'impose. Quoi de plus tentant que d'aller constater le niveau particulièrement élevé de la rivière du coin? La neige si abondante cette année a fondu, faisant déborder le moindre cours d'eau du pays.
Chacun y va de son souvenir de la dernière crue. On constate que les cigognes sont de retour, déjà.
Retour à la maison sous un soleil printanier. Le moment idéal pour jouer à la pétanque lettone! Avec quoi? Des oeufs durs décorés, bien sûr, et une planche de bois en V. Dans une partie d'olu ripināšana (glissade d'oeufs), chacun cherche à faire rouler sa seule et unique "boule" le plus loin possible sur l'herbe. Ou bien à heurter l'oeuf du voisin, les règles ne sont pas importantes et la filouterie tolérée, voire appréciée...
Entre deux arbres, petit tour sur la balançoire ressortie au préalable de son abris hivernal. Tout en reprenant une lampée d'eau de bouleau (cet arbre en regorge cette année), on panse les plaies de l'hiver...
Puis on papote ici et là, selon affinités. La bière commence à couler. A flots très réduits en ce qui concerne la famille qui m'accueillait. Le cognac fait toutefois son apparition au dîner, composé des restes et de brochettes de poulet grillé à la braise. On le déguste tassé à une douzaine sous la gloriette rouverte pour l'occasion.
La fraîcheur tombe avec la nuit. C'est l'heure de se retrouver près de la cheminée pour continuer à échanger les nouvelles, tout en jetant un oeil à une mauvaise série télévisée. On s'endormira en comptant les oeufs passer.
On plonge les oeufs dans deux grandes casseroles d'eau. Dans l'une baignent des peaux d'oignon frais pour donner à la coquille une couleur chaude et dorée. Dans l'autre, des mûres ramassées l'été précédent: effet mauve garanti. Quelques minutes plus tard, on défait la gangue de tissu pour découvrir les motifs imagés laissés par les fibres naturelles. Un léger badigeonnage à l'huile et le tour est joué.
Le lendemain, dégustation des oeufs en famille, au petit-déjeuner (au retour de la messe pour les pratiquants) et à chaque repas de la journée... Salades composées généreusement arrosées de mayonnaise, tranches de viandes diverses servies froides et gâteaux à base de fromage blanc caillé suffisent à caler les estomacs pour quelques bonnes heures.
Entre deux repas, une balade à pied ou en vélo s'impose. Quoi de plus tentant que d'aller constater le niveau particulièrement élevé de la rivière du coin? La neige si abondante cette année a fondu, faisant déborder le moindre cours d'eau du pays.
Chacun y va de son souvenir de la dernière crue. On constate que les cigognes sont de retour, déjà.
Retour à la maison sous un soleil printanier. Le moment idéal pour jouer à la pétanque lettone! Avec quoi? Des oeufs durs décorés, bien sûr, et une planche de bois en V. Dans une partie d'olu ripināšana (glissade d'oeufs), chacun cherche à faire rouler sa seule et unique "boule" le plus loin possible sur l'herbe. Ou bien à heurter l'oeuf du voisin, les règles ne sont pas importantes et la filouterie tolérée, voire appréciée...
Entre deux arbres, petit tour sur la balançoire ressortie au préalable de son abris hivernal. Tout en reprenant une lampée d'eau de bouleau (cet arbre en regorge cette année), on panse les plaies de l'hiver...
Puis on papote ici et là, selon affinités. La bière commence à couler. A flots très réduits en ce qui concerne la famille qui m'accueillait. Le cognac fait toutefois son apparition au dîner, composé des restes et de brochettes de poulet grillé à la braise. On le déguste tassé à une douzaine sous la gloriette rouverte pour l'occasion.
La fraîcheur tombe avec la nuit. C'est l'heure de se retrouver près de la cheminée pour continuer à échanger les nouvelles, tout en jetant un oeil à une mauvaise série télévisée. On s'endormira en comptant les oeufs passer.
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