vendredi 29 janvier 2010

Mourir seul à Oslo

Habiter en Norvège, classée par une agence de l'ONU comme le meilleur pays où vivre au monde, et mourir en anonyme complet. C'est l'histoire décelée par Magasinet, le supplément hebdomadaire d'un quotidien du royaume, Dagbladet. Le 5 octobre dernier en début d'après-midi, un homme tombe tout seul de son vélo dans un quartier d'Oslo. Attaque cardiaque. Lorsque arrive l'ambulance, il est trop tard. "Personne ne savait d'où il venait ni où il allait, ni s'il cherchait quelque chose."
L'homme, la cinquantaine, vêtu simplement, ne porte aucun papier sur lui, juste un peu d'argent et un trousseau de clés. Les journées passent, personne ne se manifeste pour s'inquiéter de son sort. Une des clés du défunt permet à la police de remonter jusqu'à un local. Elle y trouve une enveloppe, avec un nom. Jan Erik Fosshaug. Le mystère est en partie levé. Il s'agit d'un fils unique né à Oslo le 22 août 1946 de parents décédés, sans aucune famille à la ronde, pas même un cousin éloigné. A-t-il fêté son dernier anniversaire tout seul?
Un avis de décès est publié dans le journal. Le jour de la crémation, personne ne vient. Financée par la municipalité, elle a lieu dans la plus stricte intimité, en présence de deux employés des pompes funèbres.
Un journaliste de Magasinet tente alors de reconstituer l'existence du disparu. Après "550 coups de fil" et une quête de plusieurs semaines, il rassemble des bribes de la vie de Jan Erik Fosshaug. L'acte de naissance est découvert dans les archives communales. Père ouvrier en bâtiment, mère au foyer. Tous trois habitaient dans un 26 m²... avec deux autres enfants, des filles issues d'un premier mariage du paternel. Surprise, l'une des demi-soeurs de l'homme à la bicyclette vit encore, mariée, sous un autre nom. Le journal parvient aussi à retrouver un ancien camarade d'école. Il montre une photo de classe. Sans le savoir, lui et Fosshaug habitaient dans le même quartier. Une ancienne connaissance du défunt, un autre solitaire partageant 29 m² avec deux perroquets, ouvre ses portes et ses souvenirs au journaliste. Les contours du disparu se précisent, un grand enfant à l'esprit un peu confus, n'ayant jamais eu de travail, volontiers serviable, alcoolique à ses heures. La ville d'Oslo, alertée sur sa santé fragile, n'aurait rien fait pour mieux le prendre en charge.
Publiée le 26 janvier dans Magasinet sous le titre "L'invisible", l'histoire a rendu l'inconnu plus célèbre qu'il ne l'a jamais été sa vie durant. Ce type de destin est moins extraordinaire qu'on ne le croit en Norvège (comme ailleurs). Selon le journal, dans la capitale d'un des pays les plus riches au monde grâce au pétrole, environ 70 personnes par an sont enterrées de la sorte, en catimini.

jeudi 28 janvier 2010

Klods Monē ou la diversité européenne

Cela fait toujours sourire de voir les noms étrangers écrits à la mode lettone. Cette pratique en vigueur depuis le retour de la Lettonie à l'indépendance, l'entrée du pays dans l'Europe ne l'a pas faite disparaître. Dernier exemple en date: l'exposition inaugurée le 22 janvier au Musée national des beaux-arts, à Riga. Gleznots Normandijā ("Peindre en Normandie") rassemble quelques belles pointures françaises. Des noms? Klods Monē, Gistavs Kurbē, Žans Batists Kamils Koro. Jusque là tout va bien? Moins reconnaissables sont les Šarls Dobiņjī, Eduārs Vijāra, Rauls Difī, Ādolfs Fēlikss Kalss...

Cela ne fait pas toujours sourire de voir son nom d'étranger écrit à la mode lettone. Je pense là à des amis, à des connaissances, qui parce qu'ils sont résidents, mariés à une personne du cru ou devenu parent d'un enfant né dans le pays balte, ont dû se/le faire enregistrer auprès d'une autorité quelconque. Expliquer à un(e) fonctionnaire local(e) que son nom de famille s'écrit d'une façon bien précise depuis des générations, et pas autrement, ne sert strictement à rien. Admettre que son fiston, dans ses papiers, devra porter un patronyme légèrement différent du sien n'est guère plus facile.
C'est sans doute le prix à payer pour le maintien d'une certaine diversité européenne...
Antuāns Jākobs

lundi 25 janvier 2010

Après e.s.t., l'usine à sons

Pour ceux qui, comme moi, ont regretté la mort, il y a un an et demi, du pianiste suédois Esbjörn Svensson, meneur du génial trio e.s.t., voilà une nouvelle qui ouvre quelques perspectives intéressantes. Dan Berglund, celui des trois qui tenait la contrebasse, est retourné à l'usine à sons, ou l'usine à notes, selon la traduction choisie pour Tonbruket, le nom du groupe qu'il a formé en Suède où il vient de sortir un disque. Des notes et des sons en tous genres, il y en a à profusion dans cette nouveauté éclectique.
Plus encore qu'e.s.t., Dan Berglund regarde résolument au-delà du jazz, comme s'il voulait pousser plus loin encore la démarche entam
ée à trois sous la houlette d'Esbjörn Svensson, disparu dans un accident de plongée à l'âge de 44 ans. Berglund avait rejoint le pianiste et Magnus Östrom, son batteur et ami d'enfance, en 1993 seulement. "Avant Dan, nous avions épuisé cinq ou six bassistes sans trouver celui que nous voulions...", m'avait raconté Svensson lors d'une rencontre avec les membres du trio au printemps 2004 pour un portrait dans Le Monde.
Silhouette légèrement rebondie, crâne chauve, Dan B
erglund mit de l'huile dans les rouages un brin abrasifs imaginés par Esbjörn et Magnus, deux fortes têtes. Dan vient de la "ville des pèlerins" (Pilgrimstad), un bled qui en compte moins de 400, dans le comté de Jämtland, loin au nord de Stockholm. A onze ans, il commence à tâter de la guitare pour accompagner son père, amateur d'accordéon, dans des chansons traditionnelles suédoises. Du folk au "hard rock sans papa", le pas est vite franchi. Un parcours favorisé sans le savoir par... la Fondation évangélique de la patrie, une "filiale" de l'Eglise suédoise (luthérienne, bien sûr). "Une fois par semaine, avait plaisanté le contrebassiste lors de notre rencontre de 2004, on parlait un peu de religion entre ados et on buvait beaucoup! C'est comme ça que ça je suis entré en contact avec Dieu... Non, avec un prof de musique!" A Östersund, la grande bourgade du coin. Chœurs, fanfares, tout est bon pour le jeune Dan, qui entre-temps s'est mis à la basse électrique. "Le jazz ne m’intéressait pas du tout à l’époque."
Il commence ensuite une formation de réparateur de téléviseur, tout en étudiant la musique le soir, toujours à Östersund. "Là, j’ai été obligé de me mettre à la contrebasse pour être admis. Mon prof de musique est arrivé un jour chez nous avec un de ces gros instruments en disant, hop tu l’as acheté! J’en ai eu pour quelque 4000 couronnes (environ 400 euros)... Je trouvais que c’était très ennuyeux, on ne jouait que du classique, mais je me suis accroché." Notre homme finit par trouver un travail dans l’orchestre de la région, financé par l’Etat suédois. Il découvre le jazz, rencontre Esbjörn et Magnus. La suite, les amateurs d'e.s.t. la connaissent.

jeudi 21 janvier 2010

Où l'on reparle de Stieg Larsson

Qui était vraiment l'homme qui a écrit la désormais célèbre trilogie Millenium? Pour avoir donné son interprétation et raconté ses souvenirs dans un livre publié le 13 janvier à Stockholm, Kurdo Baksi, un ami de Stieg Larsson et camarade de lutte contre le racisme en Suède, est aujourd'hui dénoncé par d'autres anciens proches et collègues du défunt. Ainsi que par Eva Gabrielsson, sa compagne de toujours, autour de laquelle la polémique s'était jusqu'alors cristallisée depuis la mort de l'auteur, il y a plus de cinq ans.
Après l'héritage financier généré par les ventes astronomiques des polars, c'est l'héritage intellectuel et amical qui fait l'objet d'une âpre querelle. Kurdo Baksi, un Kurde de Turquie arrivé en Suède en 1980, connaissait sans doute bien Stieg Larsson. Ils ont travaillé ensemble, ils se sont serrés les coudes face à des groupuscules néonazis actifs et parfois dangereux. Avec son magazine Svartvitt (Noirblanc), Kurdo Baksi a maintenu à flot Expo, la revue militant contre l'extrême droite que Larsson avait cofondée. Mais avait-il pour autant une image entière et précise de celui qu'il décrit comme un croisement du dalaï-lama et de Fifi Brindacier? Sur quelle base se fonde-t-il pour affirmer, notamment, que Larsson bidonnait certaines dépêches lorsqu'il travaillait à l'agence de presse suédoise TT? D'autres anciens proches de l'écrivain s'insurgent et crient même, comme Eva Gabrielsson, au "meurtre" post mortem. Bigre.
Sont-ils scandalisés de voir Baksi insulter (par endroits seulement) la mémoire du défunt et vendre des livres sur son nom? Ou bien regrettent-ils d'avoir été pris de cours par la publication de cet ouvrage controversé? Baksi raconte avoir décidé de prendre la plume pour évoquer "son" Stieg, parce que personne d'autre en Suède ne l'avait encore fait. En février 2009, Eva Gabrielsson, notamment, m'avait assuré vouloir donner sa version écrite de l'homme avec lequel elle vécut 32 ans. Rien n'est encore sorti. Le fait que le livre de Kurdo Baksi soit publié chez Nordstedts, l'éditeur suédois de la trilogie Millenium, ne doit la rendre que plus amère. Elle considère cette maison d'édition comme une alliée du frère et du père de l'auteur, avec lesquels elle est encore en bisbille. En décembre dernier, elle a rejeté une offre de ces derniers équivalant à deux millions d'euros pour solde de tout compte.
Le livre de Baksi relance une triste polémique et l'empoisonne. La petite scène antiraciste stockholmoise se divise. Voilà qui doit faire jubiler tous les racistes que compte la Suède, et ils sont plus nombreux que ne l'ont montré jusqu'à présent les élections nationales. Les prochaines législatives auront lieu le 19 septembre.

mardi 19 janvier 2010

E la Daugava va

La Daugava ce n'est pas la Volga, bien qu'elles trouvent toutes deux source dans les mêmes collines de Valdaï, près de Novgorod. Impétueuse, la Daugava ne l'est pas lorsqu'elle traverse Riga et vient se jeter dans son golfe largement ouvert sur la Baltique. Des barrages hydroélectriques construits en amont sur le territoire letton l'ont castrée pour longtemps. Cela n'empêche pas ce beau fleuve de déborder de temps à autre sur une vaste étendue restée (à dessein) vierge de toute construction: un ancien aéroport de Riga, du côté de la lointaine banlieue de Boldejara, sur la rive gauche.
A l'époque soviétique, il ne faisait pas bon de traîner tard le soir dans les rues mal éclairées de ce quartier fait de maisons en bois. Des petites frappes, dit-on, y trouvaient refuge. Aujourd'hui encore, les habitants de Bolderaja passent pour peu commodes et indépendants d'esprit. Nous sommes là à une encablure de la mer, sur une terre de dunes plantées de pins et de bouleaux par laquelle transitaient les envahisseurs de tous poils. Ca forge le caractère.
Ce quartier a gardé un air d'antan avec ses bicoques de gingois...




...et l'ancienne fortification bâtie par les occupants suédois au 17è siècle. Celle-ci a hébergé depuis des cosaques russes et des soldats de l'armée Rouge. Ses résidents avaient pour habitude, les beaux jours venus, de retrouver leur dulcinée sur une île voisine. On y procréa plus qu'ailleurs... Ce qui vaut au lieu le sobriquet de Mīlestības saliņa, l'Île de l'amour (photo de gauche, hors saison d'accouplement).
En piteux état, l'ancienne fortification à la Vauban attend une hypothétique rénovation, tandis que des artistes lettons lui redonnent vie de temps à autre.

Promenade hivernale à l'embouchure d'un fleuve qui n'est pas dénué d'une certaine allure. Comme la Volga, il a inspiré bon nombre de chansons...




mercredi 13 janvier 2010

Ca barde aux Féroé

Les Vikings avaient-ils le mal de mer? La question me passait par la tête lors de mes premières traversées de la Baltique à bord d'immenses ferries où, en dépit de la taille du navire et de l'âge du capitaine, le vomis peut surgir pour d'autres raisons qu'une absorption effrénée de boissons alcoolisées. J'avais du mal à croire que, sur leurs drakkars effilés, ces gaillards avaient tous le coeur bien accroché... Jusqu'au jour où j'ai mis les pieds sur l'archipel des Féroé. Là, dans ces magnifiques îles résistant tant bien que mal aux tempêtes de l'Atlantique du Nord, on me raconta que les Vikings y débarquaient les plus malades d'entre eux avant de poursuivre vers l'Islande.
A regarder sa tr
ogne barbue, le chanteur féringien Búi Dam, alias Budam (son nom d'artiste), est le digne descendant d'un de ces Vikings abandonnés en cours de route. Peut-être du barde du drakkar... Car Budam, qui a récemment joué aux Boréales de Caen lors d'une petite tournée française, a du coffre. Il y a chez lui du Tom Waits des années de jeunesse.
Un néo-ménestrel féringien qui, selon toute vraisemblance, ne boit pas que de l'eau? Ca vaut la peine de tendre l'oreille! On est là dans un registre nettement moins grandiloquent que celui de Týr, groupe de hard lugubre originaire du même rocher venteux et qui, lui, joue à fond sur la mythologie nordique. Cette vidéo-là, à mon humble avis, vaut surtout le détour pour les photos de l'archipel...
Moins festif et balisé que le répertoire de Budam, celui d'O
rka, un autre groupe de l'archipel des Féroé qui, lui, ne chante pas en anglais mais en langue féringienne et affirme n'utiliser que des instruments confectionnés sur place. A la fin du morceau Volmar, n'entendez-vous pas le couinement caverneux d'une baleine croisant au large? A moins que ça ne soit une vache écossaise...
Orka se réclame volontiers de Kristian Blak, dont l'album Klæmint, ramené de mon périple aux Féroé, m'envoûte encore. Une oeuvre qui n'est pas des plus rigolotes, je l'admets... Mais elle me renvoie à chaque fois au fond de la grotte baignée par la mer où ce vétéran (danois) de la scène locale enregistra son opus.
Cette grotte tout en hauteur, creusée par le ressac dans la falaise, j'ai pu la visiter à bord d'un canot pneumatique. "La mer est calme aujourd'hui", m'avait-on dit ce jour-là. Pourtant je crois bien me souvenir que j'ai eu le mal de mer.

lundi 11 janvier 2010

L'Estonie, comment ça s'écrit?

Même si ce reportage de France 24 sur la lutte contre l'illettrisme en Estonie (diffusé le 30 décembre) a déjà été mis en ligne par quelques blogueurs français dans ce pays, j'ai eu envie de le présenter ici. Il tombe à pic pour nous rappeler que les pays baltes ne sont pas condamnés à être abonnés aux mauvaises nouvelles.
Il reste à voir si ces bons résultats concernent autant les enfants de l'importante minorité russophone du pays que ceux des Estoniens de souche.
Il n'empêche. Ce pays s'inscrit une fois de plus dans le sillage de la Finlande, son voisin du Nord dont le système éducatif, s'il n'est pas parfait, arrive régulièrement en tête d'un classement international (Pisa) évaluant la situation dans une cinquantaine de pays. L'Estonie figurait d'ailleurs en bonne place dans l'édition 2006 de l'étude, la dernière en date à ce jour.

samedi 9 janvier 2010

Kit ou double

Enquêter sur Ingvar Kamprad, le fondateur d'IKEA, ce n'est pas comme monter un meuble en kit tout droit sorti d'un de ses magasins bleu et or. On ne vous livre pas tous les morceaux à l'intérieur du paquet plat. Heureusement d'ailleurs, ça ne rend l'exercice que plus amusant (comme si j'aimais le bricolage...). Le Suédois, qui fêtera ses 84 ans le 30 mars, n'accorde que très peu d'entretiens aux médias. Pour "L'Ikea-man", le portrait que je viens de réaliser pour Challenges, il a donc fallu rassembler les pièces éparses du puzzle. Si les langues ne se dénouent pas facilement à l'intérieur d'IKEA, il existe ailleurs des gens plus diserts. Et quelques livres (la plupart en suédois) sur ce fils d'immigré allemand et sa "famille", comme il qualifie l'entreprise qu'il a fondée... en 1943.
Au moment où Saab est en voie de liquidation, où Volvo (voitures) est vendue aux Chinois, où Ericsson est largement distancée par Nokia, etc., Kamprad est sûr d'une chose: il laissera derrière lui la seule entreprise suédoise à s'être vraiment imposée au niveau mondial. Désormais, l'octogénaire n'a qu'une hantise: c'est que son "bébé" périclite après sa disparition.

vendredi 8 janvier 2010

Glaciale vengeance

Petite suite ironique à mon billet du 5 janvier (Le pari risqué d'Olafur), qui a pour toile de fond la crise économique en Islande.
Rappelons qu'en pleine tempête financière sur l'île, le gouvernement de Londres avait gelé les avoirs (assets en anglais, ce qui a son importance, vous le verrez) des banques islandaises dans le Royaume-Uni pour protéger les épargnants britanniques. Et ce, en usant d'une loi anti-terroriste! Bien des Islandais ne l'ont toujours pas digéré...
Depuis, Londres insiste pour que l'Islande - donc les contribuables du pays - rembourse l'argent dépensé pour compenser les épargnants britanniques ayant perdu leurs économies dans la tourmente Icesave.
Et voilà que ce matin, tandis que le Royaume-Uni croule sous la neige, je reçois de Reykjavik un courriel très simple, avec juste une photo et quelques mots:

Peuple britannique: rendez vous et nous reprendrons notre mauvais temps.
Cordialement,
L'Islande











En guise de légende photo, cette phrase qui se traduit d'elle-même:
British citizen in downtown London said: "We froze their assets... Now they freeze our asses!"

jeudi 7 janvier 2010

Devinettes russo-lettonnes

Première devinette:
Qui a prononcé les phrases suivantes? "Je vous dis honnêtement que je fais tout mon possible pour liquider les États baltes. […] Vous avez l’impression d’être indépendants mais ça se terminera dans le sang, le vôtre. Vous n’avez pas eu de chance géographiquement, parce que vous êtes situés à notre porte. Vous êtes sur notre chemin direct vers la mer. La Russie a besoin de ports, l’occupation des États baltes est donc inévitable […]. La guerre est inévitable et l’Estonie, la Lettonie et la Lituanie disparaîtront entièrement et définitivement de la carte politique mondiale."
La bonne réponse est... le Russe Vladimir Jirinovski, dans un entretien au quotidien estonien Postimees publié en avril 1996.
La citation ne date pas d'hier mais l'homme aux convictions ultra-nationalistes n'a pas changé d'un iota sur ce point-là. Ce populiste, accessoirement ancien du KGB, est réputé pour ses provocations en tous genres. Il revendique notamment le retour des anciennes républiques soviétiques (et de l'Alaska!) dans le giron russe. Un trublion patenté, dont le parti (dit libéral-démocrate) s'est tout de même hissé au 3e rang lors des législatives russes de décembre 2007 (avec plus de 8% des voix)... Cela lui vaut d'occuper jusqu'à aujourd'hui la vice-présidence de la Douma (la chambre basse du parlement). A l'élection présidentielle de 2008, Jirinovski a obtenu plus de 9% des voix.

Seconde devinette:
Le gouvernement letton vient de déclarer persona non grata un membre de la délégation russe invitée en tant qu'observatrice à une session de l'Assemblée parlementaire de l'Otan, fin mai à Riga. Comment s'appelle ce délégué?

mardi 5 janvier 2010

Le pari risqué d'Olafur

Voilà qui augure d'un hiver chaud en Islande. Olafur Ragnar Grimsson, le président de l'île en crise, vient, à la mi-journée, de mettre son veto à une loi péniblement adoptée par le parlement de Reykjavik. Une décision présidentielle qui va à la fois diviser un peu plus la société islandaise, compliquer la sortie de crise et rendre plus incertaine la marche de l'Islande vers une possible adhésion à l'UE.
Résumons: lorsque la tempête financière partie des Etats-Unis s'abat sur l'île, en octobre 2008, plus de 320 000 épargnants britanniques et néerlandais font partie des victimes de l'effondrement du secteur bancaire de l'île. Ces braves gens (aussi nombreux que la population islandaise!) avaient commis l'erreur de croire aux promesses de rendement juteux brandies par Icesave. Il s'agit d'une filiale en ligne de Landsbanki (photo), une des trois grosses banques de l'île dirigées par des hommes d'affaires aussi intrépides que sourds aux avertissements venus de l'étranger quant aux risques d'éclatement de la bulle qu'ils avaient créée (lire mon analyse dans Politique internationale).
Les gouvernements britannique et néerlandais se sont alors faits fort de réclamer à Reykjavik des compensations pour leurs citoyens floués. Le nouveau gouvernement islandais, issu des urnes en avril 2009, n'a guère d'autre choix que d'accepter la solution proposée par Londres et La Haye. Car, dans le cas contraire, ces capitales menacent implicitement de bloquer la candidature de l'Islande à l'UE. Quant au FMI, il soumet le versement de tranches du prêt accordé à l'île à l'acceptation de cette solution financière.
Le hic, c'est que pour beaucoup d'îliens, la potion est trop amère. L'Islande, en acceptant la loi Icesave, s'engage à payer d'ici 2024 environ 3,8 milliards d'euros. Soit près de 40% du PIB annuel de ce petit pays fortement touché par la crise. D'où la mobilisation des opposants à la loi, qu'ils rebaptisent "Iceslave" (jeu de mots entre Icesave et slave, esclave en anglais). Quelque 60 000 personnes, soit un quart des électeurs islandais, demandent alors au président de la république de mettre son véto au projet de loi, péniblement adopté par le parlement le 30 décembre.
Le pouvoir de promulguer les lois est l'une des seules prérogatives concrètes du président, d'après la Constitution. En général, il (ou elle) ne se fait jamais prier. Mais en son "palais" présidentiel (photo), Olafur, comme l'appellent ses concitoyens, a bien des choses à se faire pardonner. Avant la crise, cet ancien militant de gauche (en fonction depuis 1996) a paradé aux côtés des "nouveaux Vikings", ces hommes d'affaires ultralibéraux ayant grandement contribué à la faillite du pays. Sa cote de popularité étant au plus bas, il voit dans le rejet de la loi Icesave une occasion idéale de se refaire une virginité en surfant le mécontentement populaire qu'elle suscite.
Ainsi décide-t-il de dire stop!
Avec pour conséquence de placer le gouvernement de Reykjavik en porte-à-faux vis-à-vis des créanciers de l'Islande et de l'UE. Et d'approfondir les divisions sur l'île, partagée entre le besoin de s'ancrer à l'Europe et à sa monnaie, et l'amertume causée par les coupes budgétaires draconiennes résultant des prêts accordés par l'étranger. Comme l'écrit Gérard Lemarquis dans Le Monde daté du 5 janvier, "l'affaire Icesave est un psychodrame national par lequel les Islandais peuvent exorciser la crise et retrouver un semblant de dignité dans un rejet des responsabilités sur les Britanniques et les Néerlandais".
Voilà donc qui augure d'un hiver chaud en Islande, avec la tenue désormais très probable d'un référendum national sur la loi Icesave, rendu possible par le veto mis par un président en quête de popularité.

Le Copenhague de J. C. Grøndahl

Evocation d'un Copenhague presque surrané dans Bruits du coeur de Jens Christian Grøndahl, que je viens de terminer (Gallimard, 2002, traduit du danois par Alain Gnaedig). D'une plume sûre et légère, l'auteur décrit les sentiments et l'amour qui unissent les trois personnages principaux, le narrateur d'un côté, un frère et une soeur de l'autre. Le fils unique est issu d'une famille qui se décompose sous ses yeux d'enfant dans le quartier chaud du Copenhague des années 70, juste derrière Hovedbanegarden, la gare centrale. Quartier qui, s'il est encore hanté par quelques drogués et émaillé de sex-shops, se normalise peu à peu, se formate.

Extrait:
"Mon père tenait l'hôtel pour un oncle, qui est mort depuis longtemps. Je n'aurais pas considéré le quartier comme un des plus durs de la ville si ma mère ne m'avait parlé avec mépris des putes, des cinés pornos et des truands qui, dans mon imagination, donnaient aux cafés des airs de films. Elle n'était pas bornée, mais bien des gens l'auraient certainement traitée de snobinarde, ce dont certains ne se privaient pas. A l'époque, je ne connaissais pas le sens de ce mot.
"C'était elle qui assumait le quotidien, mon père, lui, disparaissait. Il dormait jusqu'à une heure avancée de la matinée et il passait le reste du temps à traîner dans les bistrots ou à jouer avec quelques Yougoslaves dans des arrière-boutiques un peu plus bas dans la rue. Il était toujours bien habillé, presque tiré à quatre épingles, avec un faible pour les chemises rouge vif et les foulards de soie, de plus, ses chaussures étaient toujours aussi étincelantes. C'est lui qui m'a appris à cirer mes chaussures, mais c'est aussi la seule chose dont je puisse dire avec certitude qu'il me l'a correctement enseignée."

Après une aventure avec un Français sur la Côte d'Azur, la mère du narrateur emménage avec ce dernier dans la lointaine banlieue Nord de Copenhague. Là même où j'ai vécu quelques semaines avant de m'installer, le temps d'un hiver glacial des années 80, dans le quartier plus central de Nørrebro.

"Je venais d'un endroit totalement différent des autres, eux qui avaient grandi là, dans les villas aux jardins profonds. Mais ce n'étaient ni les jardins ni les villas chics et impénétrables qui me faisaient la plus forte impression. C'était le silence particulier, uniquement rompu par le gazouillis des oiseaux, le vrombissement assoupi des tondeuses à gazon et le murmure du vent dans les feuilles. Et, plus que tout, j'associais ce silence à l'assurance évidente et nonchalente qui était l'apanage de mes nouveaux camarades. (...) Je me sentais comme un intrus dans le parfum de rhododendron et de cytise des rues silencieuses (...). J'était tout à la fois un espion et un explorateur. La crainte, la témérité et la volatile sensation d'inconnu provoquaient des solutions enivrantes et toxiques dans mon être de doux ans."

Le narrateur, dont jamais le nom n'est dit, connaîtra d'autres émois, de moins en moins innocents, avec Ariane, la grande soeur d'Adrian, son camarade d'école dont il deviendra inséparable, avant que la vie ne les éloigne peu à peu l'un de l'autre. Beaucoup plus tard, il apprendra la nouvelle du décès d'Adrian à l'âge de 39 ans. C'est en fait le point de départ de ce roman intimiste. "J'ai reçu une lettre de mon plus vieil ami cinq jours après sa mort", lit-on dès la 1ère ligne. C'est là aussi l'occasion pour le narrateur de reprendre contact avec la soeur du disparu, de retisser dans sa mémoire les fils d'une vieille amitié, et pour Grøndahl de décortiquer ce qui crée et défait les sentiments, d'aborder quelques sujets naguère tabous...

dimanche 3 janvier 2010

Aux castors reconnaissants

Discussion au coin du feu, chez de bons amis à Riga: les castors sont dans la place! Renseignement pris, ils seraient plus d'une centaine. Et en bons rongeurs, ils font des dégâts, visibles en particulier le long du canal qui sépare la vieille ville de Riga des quartiers Art nouveau. On déplore déjà plusieurs victimes dans le parc forestier municipal. Y compris le long de l'opéra national, où une famille de castors notoirement actifs a pris ses quartiers d'hiver... Le patron des jardins et parcs de la ville s'arrache les cheveux: il est interdit de chasser le castor! Et la municipalité, en cette période de crise, n'a pas un sou vaillant pour acheter des filets de protection et protéger les arbres.

Walter-Kurau ou l'art de l'appropriation

Belle découverte à Riga d'un peintre, Johann Walter-Kurau, alias Janis Valters pour les Lettons. Bon paysagiste, en particulier, inspiré par l'impressionnisme, le fauvisme et l'expressionnisme.
L'artiste est né en 1869 d'une famille allemande installée dans ce qui n'était pas encore la Lettonie indépendante mais une province occidentale de l'empire russe. Sa ville natale s'appelait alors Mitau, l'ancienne capitale du duché de Courlande. Rebaptisée depuis Jelgava, à une quarantaine de km de Riga.
Le jeune peintre suit des cours à l'académie impériale des beaux arts de Saint-Pétersbourg en compagnie d'élèves lettons tout aussi prometteurs que lui. De retour à Mitau, il commence à peindre, expose à Riga avant de s'installer à Dresde en 1906. Donc bien avant l'indépendance de la Lettonie, douze ans plus tard. C'est là, en Allemagne, qu'il prend son nom de pinceau, Johann Walter-Kurau (les patronymes de son père et de sa mère). Il multiplie les voyages en Allemagne, à Rome, Paris, Moscou, ... En 1917, il déménage à Berlin, où il ouvre un atelier à Charlottenburg. Et se rapproche du courant expressionniste, alors à la mode en Allemagne. Il meurt en 1932 à l'âge de 63 ans.
Aujourd'hui, Janis Valters - les Lettons n'hésitent pas à se l'approrier... - est considéré comme l'une des figures importantes de la peinture lettone du début du 20ème siècle, avec Vilhelm Purvitis et Janis Rozentals, ses compagnons d'études à Saint-Petersbourg.
Exposition à voir jusqu'au 10 janvier au Musée national d'art letton.