Mission accomplie, contrat rempli pour un projet de livre dont je reparlerai plus tard: ma pause sans blog peut donc s'interrompre. La reprise sera-t-elle molle ou intense, le rythme lambin ou effréné? Mystère. Cela dépendra de la densité du printemps et de l'été à venir, du nombre de visites que l'on viendra gentiment me rendre, du bon vouloir de rédactions, de mon inspiration du moment et de tant d'autres éléments plus ou moins prévisibles...
C'est reparti!
C'est reparti!
Hambourg-Kirkenes, plus de 2200 kilomètres à vol de goéland argenté. Un bon gros millier de milles marins à remonter jusqu'au-delà du cercle arctique. C'est la distance qu'il faut à Petersen, le capitaine du Polarlys (aurore boréale, en norvégien), pour démêler les fils d'une intrigue qui se déroule à huis clos, à bord du bateau à vapeur qu'il commande. Une histoire louche, la mort d'une jeune femme, piquée à la morphine lors d'une orgie du côté de Montparnasse, doublée d'un meurtre, dans une cabine du navire, d'un policier allemand monté à bord in extremis, avant le départ de Hambourg par une après-midi de février.
Les amateurs de Georges Simenon ont sans doute reconnu la trame de l'un des premiers livres signés de son vrai nom par celui qui n'est alors qu'un jeune graphomane méconnu. Lorque Le passager du Polarlys paraît chez Fayard en 1932, le commissaire Maigret n'a encore qu'une affaire à son actif, celle résolue dans Pietr le Letton, publié un an plus tôt. Ne serait-ce que pour leurs titres, voilà deux romans qui ont aisément leur place dans ce blog nordico-balte. Même si de Lettonie il ne sera finalement que très peu question: étrangement, Pietr a pour patronyme Johannson (sic) et son frère jumeau, Hans, est un "sujet estonien", pour citer le rapport rédigé in fine par Maigret lors d'une enquête qui le mène... à Fécamp.
Dans Le passager du Polarlys, en revanche, on en a pour son argent en termes de dépaysement et de frimas nordiques. Pour 3,50 francs (prix initial de mon édition de poche publiée en 1965, acquise pour 50 centimes d'euro lors d'une braderie), le lecteur a droit à toute la gamme chromatique de la mer et du littoral norvégien, lorsque la brume daigne s'étioler. Avec l'officier de quart, il se prend des "paquets de mer" sur le dos et passe par tous les états de transe glaciale. Gare aux engelures!
Simenon ne fait pas dans la dentelle lorsqu'il oppose la pollution de la populeuse cité hanséatique à la pureté et au dénuement des côtes norvégiennes. Hambourg? "Un brouillard exceptionnel, jaune et gris, chargé de suie, crachotant une humidité glacée, pesait sur le port (...) Toutes les sirènes hurlaient à la fois, en une cacophonie qui couvrait le grincement des grues". Tandis qu'au-delà du port norvégien de Trondheim, les "routes n'existent plus et il est encore moins question de chemins de fer. Ce sont les vapeurs côtiers, dans le genre du Polarlys, qui doivent assurer toutes les communications, les relations postales et le transport des vivres" entre villages isolés. Celui que commande Petersen "n'avait rien de prestigieux. C'était un vapeur d'un millier de tonneaux, sentant la morue, le pont toujours encombré de fret".
De nos jours, si des routes en bitume ont été tirées le long du littoral déchiqueté et des tunnels creusés pour relier les fjords, si l'avion sert aux plus pressés, les navires côtiers continuent à jouer un rôle important dans l'acheminement de personnes et de biens. Le trajet est désormais assuré par les express côtiers de la fameuse compagnie Hurtigruten (voir ici leur emplacement au moment présent). Une douzaine de bâtiments aux noms fleurant bon le Septentrion... MS Nordstjernen, MS Trollfjord, MS Nordlys, MS Midnatsol, MS Nordkapp, etc. Il y a même un MS Polarlys, successeur de celui dont s'est inspiré Simenon (photo).
Car, d'après ce que j'ai lu ici et là, durant l'hiver 1929- 1930, le romancier a emprun- té l'un de ces vapeurs entre les ports de Bergen et de Kirkenes, alors gros bourg bâti dans l'extrême Nord norvégien, à la frontière avec la Finlande, non loin de Mourmansk la Soviétique. Le bateau était-il commandé par un capitaine ressemblant à celui du roman, Petersen, "petit homme énergique, trapu, costaud"? A suivre les réflexions de ce personnage, on se demande parfois si l'on n'a pas à faire à un double de Maigret, marié mais peu présent au foyer pour raison professionnelle, bourru sur les bords.
"Jamais Petersen n'avait été aussi mécontent de lui-même, aussi dérouté, et pourtant il. n'eût pas pu dire pourquoi. Cela ressemblait aux cauchemars imprécis qu'on fait certaines nuits d'indigestion."
En tout cas, Simenon a su capter ce qui constitue, à mon avis, l'un des traits caractéristiques des habitants du royaume. "En bon Norvégien de classe moyenne, écrit-il à propos du capitaine, il préférait ignorer les situations équivoques qui existent fatalement de par le monde".