dimanche 16 mars 2014

De retour d'une marche d'anciens de la Légion lettonne


UN 16 MARS letton encore plus risqué que les précédents, en raison de la tenue le même jour du référendum en Crimée et de la crainte d'éventuelles provocations, pro-russes ou ultranationalistes. L'avertissement avait été lancé par les autorités lettonnes. Pour l'ancien directeur du Bureau de la protection constitutionnelle (sécurité intérieure), il s'agissait même du "plus dangereux" des 16 mars, journée habituellement porteuse de tensions: des Lettons rendent alors hommage à ceux qui, pendant la 2e Guerre mondiale, se sont battus contre les Soviétiques au sein de la Légion SS lettonne créée en janvier 1943 sur ordre de Hitler. Une tradition assez récente - elle n'a commencé sur le territoire letton qu'à la fin de l'occupation soviétique, importée là par une association de vétérans en exil, les Faucons de la Daugava, qui l'avait instaurée en 1952 dans un camp de prisonniers de guerre situé en Belgique.

Pour éviter tout dérapage le 16 mars, le gouvernement letton a pris l'habitude depuis une dizaine d'années de déployer un important dispositif de sécurité. Et ce, tout du long du parcours du cortège emprunté par les vétérans de la Légion lettonne, leurs proches, leurs sympathisants et ceux qui voient en eux des "combattants de la liberté" ayant pris les armes pour contre l'Armée rouge et le régime soviétique, qui avaient occupé la Lettonie été 1940 et été 1941 et déporté plusieurs dizaines de milliers de personnes.

En ce dimanche 16 mars 2014, policiers anti émeutes, policiers tout courts et membres d'une entreprise de sécurité privée à la tenue quasi-militaire sont mobilisés pour encadrer la marche d'une vingtaine de vétérans, à vue d'oeil, et des leurs. Au total, environ 500 personnes (sans compter les gros bras et les journalistes, priés - pour la 1ère fois - d'endosser des vestes de couleur orange ou jaune identifiées "Presse") se sont rassemblées devant la cathédrale luthérienne de Riga où était donnée une messe en l'honneur des "héros" du jour.


Parmi elles, il y a cette Lettonne de 26 ans au manteau anthracite, Irina Mackus, venue de Sigulda pour offrir un bouquet de fleurs. "L'arrière-grand-père et le grand-père de mon mari se sont battus contre l'armée Rouge. Même s'ils étaient dans l'armée allemande, ce sont des patriotes et je veux remercier ceux qui ont fait comme eux", me dit-elle, tout en reprochant aux médias de "politiser" l'événement. Elle reconnaît avoir "toujours" donné son suffrage au parti ultranationaliste qui siège au gouvernement. Parti qui, à l'exception d'un de ses membres (ministre de la Protection de l'environnement et du Développement régional, démis de ses fonctions depuis), s'est plié à la consigne de la Premier ministre de ne pas assister à l'hommage aux anciens légionnaires, autorisé néanmoins par les autorités.


Précédé d'un porteur de drapeau letton et d'un pasteur, le cortège a arpenté les rues partiellement enneigées de la vieille ville. Avec une nouveauté, me semble-t-il, des pancartes rejetant à la fois le nazisme et le communisme, Hitler et Staline (écoutez 33 minutes de son enregistré tout du long de la marche).
Maintenu à distance, un groupe d'une trentaine de militants "antifascites" arrivés la veille d'Allemagne se fait entendre, sans effet. "C'est inacceptable de rendre hommage à d'anciens SS, en Allemagne on ne fait pas ça", m'avait dit un peu plus tôt Udo Stegemann, venu de Potsdam. Plus loin, ce sont quelques sifflements et slogans ("Fascistes", "Honte") émis par d'autres manifestants qui accueillent les vétérans sur l'esplanade du Monument à la liberté. Cela ne perturbe en rien le dépôt de gerbes.


En contrebas, une petite trentaine de membres de la minorité russe tentent de se faire entendre derrière un double cordon de policiers en vestes jaune fluo.


Je m'approche, parle à un barbu qui arbore sur sa veste un ruban aux couleurs orange et noire. Celles de l'Ordre de Saint-Georges, décoration russe de l'époque tsariste réinstauré après 1991. "Le symbole de l'unité russe", m'affirme en russe Sergejs Matasovs via une interprète. Une unité russe qui, à l'entendre, pourrait aussi englober la Lettonie, jadis sous contrôle tsariste puis, pendant un demi-siècle, soviétique.
Hormis quelques échanges oraux ("Lettons fascistes!" contre "Rentrez chez vous!"), la marche des vieux légionnaires s'est achevée dans un cimetière sans incident particulier. Sans doute à cause d'une météo capricieuse et grâce au déploiement massif de forces de police.


Sans doute aussi parce qu'une bonne partie des deux millions d'habitants de Lettonie, côté letton comme côté "russe", n'ont guère envie de se compliquer la vie avec des histoires anciennes et complexes. En rentrant chez moi à pied dans une ville par ailleurs très paisible, je me prends à espérer que cela durera ainsi, malgré l'Ukraine et tout le reste. Tant que des excités des deux bords n'arriveront pas à être pris au sérieux...