LES ÉLECTEURS suédois vont aux urnes aujourd'hui, dimanche 9 septembre 2018, pour renouveler le Parlement, les conseils généraux et les conseils municipaux. Comme ailleurs en Europe, l'extrême droite progresse. Le principal parti suédois représentant ce courant politique, les Démocrates de Suède (SD), devrait, à en croire toutes les études d'opinion, obtenir des résultats d'une ampleur inédite dans ce pays. En tout cas, supérieurs à ceux des élections de 2014 (12,9% au niveau national), précédent record pour ce parti issu de la mouvance ultranationaliste.
A sa création en 1988, il s'agissait d'un groupuscule mêlant néonazis, partisans la "race blanche", anticommunistes acharnés, sympathisants du régime d'apartheid en Afrique du Sud, etc. Comment ce parti a-t-il changé avec le temps, sous la houlette de Jimmie Åkesson? Qu'est-ce qui le diffère des partis de droite dite populiste qui sont devenus des forces incontournables au Danemark et en Norvège? Comment une telle formation en est-elle arrivée à pouvoir dépasser les conservateurs du plus que centenaire parti des Modérés, etc.? Anna-Lena Lodenius, une journaliste-auteure qui planche sur l'extrême droite suédoise depuis plus de 30 ans*, répond à mes questions.
Les Démocrates de Suède ont-ils évolué d’un
point de vue idéologique ou bien sont-ils, grosso modo, restés les mêmes ?
Ils n’ont pas changé. C’est quasiment le même parti qu’à ses débuts. Ce qui a changé tout de
même, c’est l’ampleur des sujets qu’il aborde. Au début, l’immigration et la
race suédoise étaient les seuls thèmes qui unifiaient ses membres et que ceux-ci
mettaient en avant. Depuis qu’ils ont commencé à avoir des députés au Riksdag (le Parlement
suédois), en 2010, ils ont dû s’intéresser à beaucoup d’autres sujets, formuler des
idées et des propositions les concernant, notamment sur l’État-providence et d'autres pans de la société qui, selon eux, sont menacés par l'arrivée d'étrangers dans le pays.
Autre chose a changé, qui ne tient pas
au parti, c’est la manière dont on voit les choses dans le pays, et notamment
la manière dont sont perçus les Démocrates de Suède. Une partie de l’opinion
publique pense que les origines néonazies du parti, c’est de la vieille
histoire et que ça n’a pas plus guère d’importance aujourd’hui. Le discours
narratif des Démocrates de Suède à propos du « peuple contre les élites » est de plus en plus écouté, tout comme celui sur le côté « politiquement
correct » des médias traditionnels et des autres partis sur des questions comme le multiculturalisme,
le racisme, etc. Idem pour l’idée selon laquelle « la Suède vit une crise
exceptionnelle qui ne cesse d’empirer ». De plus en plus de Suédois
pensent qu’il vaut mieux voter pour les Démocrates de Suède, même s’ils ne sont
pas d’accord avec tous les points du programme de ce parti. Sa théorie du « nous
contre tous les autres » fonctionne.
Le qualificatif populiste
de droite est-il approprié pour décrire ce
parti ?
Le populisme
de droite, c’est autre chose. On en trouve plusieurs manifestations dans
les autres pays nordiques, il s’agit des mouvements de mécontentement nés au Danemark,
en Norvège et en Finlande, dans les années 1970. Des mouvements qui remettaient
en cause une fiscalité lourde, une omnipotence de l’État, etc. Même si le Parti
du peuple danois, les Vrais Finlandais et, en Norvège, le Parti du progrès ont évolué par la suite vers
des positions et des discours anti-immigration et anti-UE, ils n’ont pas le
même fondement idéologique que les Démocrates de Suède. **
Ce parti-là ressemble
davantage à l’ex-Front national français, avec un racisme sous-jacent. Il parle
beaucoup plus de « peuple suédois », de « la culture suédoise »,
des « valeurs suédoises », de svenskhet (la « suéditude », ou le fait d’être intrinsèquement suédois). La direction
du parti fait tout pour qu’il ne soit pas associé au nazisme ou au racisme, en
excluant des membres ou des élus locaux ayant tenu des propos douteux ou
carrément racistes, mais derrière cette vitrine, cela n’a pas disparu, loin de
là.
Justement, comment expliquer que les révélations de médias sur les dérapages de responsables des
Démocrates de Suède n’ont pas eu d’impact négatif sur l'image ou la progression du parti***?
Il
peut y avoir un
impact négatif dans l’opinion publique, mais il n’est que limité et de
courte
durée. Puis le parti repart à la hausse. Peu importe, semble-t-il. Une
partie grandissante de la population pense
que les Démocrates de Suède sont les plus crédibles sur les question
liées à l’immigration. Qu’ils sont les dépositaires d'une recette
originelle et que les autres ne sont que des
copies. Et si la plupart des autres partis vont dans le même sens que
lui, il
ne reste plus aux Démocrates de Suède qu'à aller de l’avant et à
développer leurs idées.
Les SD ne sont pas le seul parti d’extrême droite dans le pays. D'anciens membres ont formé, avec d’autres nationalistes, l’Alternative
pour la Suède, sur le modèle de l’AfD allemande. Plus radical
encore, le Mouvement de résistance nordique (NMR) appelle à la création d’une
république nationale-socialiste dans cette région et s’est distinguée par de récents défilés de militants en uniforme dans quelques communes du pays. Comment ces mouvements interagissent-ils ? Est-ce que
les Démocrates de Suède peuvent perdre des voix à cause de ces nouveaux venus ?
Je ne crois pas. Les
Démocrates de Suède voient plutôt ça d’un bon œil, ils n’en apparaissent que
plus respectables. Le NMR est très petit comme mouvement, mais il alimente et a
le soutien d’un grand nombre de blogs, de podcasts et autres réseaux liés à Internet,
toute une mouvance de l’alt-droite (la droite alternative) qui exprime des idées extrêmement
racistes, antisémites, etc. Avec, ici et là, le soutien de militants ou de
responsables locaux des Démocrates de Suède.
Toujours au niveau
local, l’intérêt pour les idées xénophobes
grandit chez des responsables d’autres partis de la droite traditionnelle, surtout
chez les conservateurs et les chrétiens-démocrates. C’est bon pour les Démocrates de Suède et pour l’alt-droite, qui cherchent
à élargir le spectre ce qu’il est possible de dire ou non dans la sphère publique.
Pour les SD, cette tendance peut lui offrir des perspectives de développement.
Enfin, comment les SD sont-ils structurés, comment
ça se passe à la tête du parti, son chef Jimmie Åkesson est-il le seul à
décider ?
On a là un petit groupe
de jeunes hommes qui étudiaient à Lund au même moment [à la fin des années 1990-début des années 2000]. Ils se sont liés d’amitié dans
cette ville universitaire du sud, après des parcours assez similaires. Un petit groupe
qui se voulait assez intellectuel, avec Jimmie Åkesson, Mattias Karlsson, Richard Jomshof et Björn Söder****. Ce groupe s’est mis en tête de prendre la tête du parti, comme
on peut le faire quand on est jeune et qu’on vit pour un idéal. Lorsqu’en 2005,
Jimmie Åkesson a défié Mikael Jansson, qui dirigeait les SD depuis dix ans,
les trois autres l’ont soutenu dans sa prise du parti. Ces hommes-là constituent
aujourd’hui le noyau dur de la direction des Démocrates de Suède. Jomshof en est
le secrétaire général, Söder est le vice-président du Parlement sortant. Quant
à Karlsson, c’est l’idéologue du parti, celui qui pèse le plus. Jimmie Åkesson
l’écoute beaucoup, il dit beaucoup de choses que Karlsson a écrites. Ils
sont très loyaux l’un envers l’autre.
x x x
** Pour plus de détails, L'Europe du Nord gagnée par le populisme de droite, article que j'avais écrit en 2010 dans la revue trimestrielle Politique internationale.
*** Les dernières révélations en date remontent à fin août-début septembre et sont le résultat du travail en commun réalisé par le quotidien Expressen et le journal antiraciste Expo. Un exemple (en suédois).
**** Lire à ce propos (en suédois) un article récent sur cet épisode, paru dans le journal des étudiants de Lund
NB: Un autre bon connaisseur de l'extrême droite suédoise et de ses origines, Anders Sannerstedt, professeur de sciences politiques sur le point de prendre sa retraite à l'Université de Lund, fait la description suivante des Démocrates de Suède: « A l’origine, c’était un rassemblement de jeunes gens issus de groupuscules nationalistes, ce qu’ils sont restés depuis. En tant que tels, ils sont opposés à l’immigration et à l’Union européenne. Ils veulent réduire les possibilités pour les femmes d’avorter. Ils aiment aussi se décrire comme sociaux-conservateurs, ce qui les place à droite pour certains sujets – ils n’aiment pas les impôts – et à gauche pour d’autres – ils aiment l’Etat-providence (...) Ce qui est nouveau avec les SD, c’est qu’ils n’ont plus la rhétorique raciste des débuts, lorsque leurs membres proclamaient la suprématie de la race blanche et affirmaient vouloir la préserver. Peu à peu, ces allusions ont disparu. Et lorsque des membres du parti y reviennent en public, ce qui arrive de temps à temps, pas plus tard que fin août en Scanie, ils sont exclus. Désormais, les SD disent ne pas croire que des cultures différentes puissent coexister côte à côte, avec toutefois une exception pour les chrétiens d’Orient. Quant aux critiques à l’encontre de l’islam, elles sont nettement moins audibles qu’avant, pour des raisons purement tactiques. De toutes façons, les électeurs savent à quoi s’en tenir. » Propos tirés de l'article En Scanie, l'extrême droite suédoise nourrit de grands espoirs" , paru le 7 septembre dans Mediapart.