APRÈS la République d'Estonie il y a trois jours, le 20 octobre 2018, c'est au tour de celle de Lettonie de fêter le centenaire de sa fondation par un concert à la Philharmonie de Paris. Au programme de cette soirée baptisée Grand Nord, le Concerto pour piano n° 4 de Rachmaninov, la Symphonie n° 6 "Pathétique" de Tchaïkovski et, pour commencer, Musica appassionata du "régional de l'étape", le Letton Peteris Vasks. Le tout interprété par l'Orchestre national symphonique de Lettonie sous la direction d'Andris Poga, avec Nicholas Angelich au piano.
On imagine qu'étant donné la moindre notoriété de Vasks hors de son pays, bien moindre en tout cas que celle de l'Estonien Arvo Pärt, présent lors du concert du 20 octobre, la Philharmonie a convaincu l'ambassade de Lettonie en France d'ajouter deux valeurs sûres (russes) pour attirer un public suffisamment nombreux... Dommage parce que l’œuvre du plus grand compositeur letton vivant vaudrait à elle seule un concert entier. On peut toutefois comprendre les organisateurs.
Le portrait était paru sur le site Regards sur l'Est, qui continue vaillamment à publier dossiers et infos courtes sur ce qui se passe "à l'Est", pour faire simple (je recommande à ceux qui ne le connaissent pas d'aller y faire un tour).
Peteris Vasks est d'autant plus d'actualité cet automne en France que certaines de ses œuvres seront interprétées lors de la prochaine édition des Boréales consacrée aux Baltes (Estonie, Lettonie et Lituanie), comme vous le verrez dans ce programme (en pdf). Arvo Pärt aussi sera joué, tout comme son compatriote Veljo Tormis et d'autres compositeurs baltes moins connus (Pärt Uusberg, Eriks Ešenvalds, Vytautas Miškinis).
Rendez-vous donc du 15 au 25 novembre à Caen et dans sa région. A moins que vous n'alliez, comme moi, au festival Littératures européennes Cognac, qui se tiendra du 15 au 18 novembre avec, cette année, "les pays de la Baltique" à l'honneur (voir le programme en pdf). Dommage, encore une fois, que les deux événements n'aient pas lieu à des dates différentes... Mais assez tardé, place au portrait.
PETERIS VASKS, LA MUSIQUE EST DANS LA NATURE
Par Antoine JACOB* Le 17/11/2005
Le plus grand compositeur letton vivant évoque son parcours à l’époque soviétique et sa conception apaisée de la musique, alors que certaines de ses œuvres sont jouées ce mois-ci en France.
Ses yeux bleus brillent d’une douceur infinie. Avec sa barbe grise et sa calvitie prononcée, ses joues rosies par l’émotion qu’il puise en lui pour parler de sa musique, Peteris Vasks ressemble à un lutin géant sorti d’une forêt impénétrable où il entretiendrait un univers déconnecté de la réalité. Ses bras, que découvre un pull de laine épaisse remonté jusqu’aux coudes, sont ceux d’un bûcheron. « L’essentiel pour moi, aujourd’hui, est de raconter à travers ma musique la beauté qui se trouve dans la nature et dans l’homme », souffle celui qui est généralement considéré comme le plus grand compositeur letton vivant. Certaines de ses œuvres seront jouées en novembre en France, dans le cadre du festival L’Etonnante Lettonie (1).
L’alibi du folklore
Il est loin le temps où Peteris Vasks faisait sourdre la colère dans ses compositions. « Quand j’étais jeune, je mettais une énergie presque méchante à réveiller l’audience endormie », se souvient-il. Ce fils de pasteur luthérien, l’une des deux principales religions en Lettonie, trouvait là le moyen d’exprimer son opposition au sort qui frappait alors un pays annexé et occupé par l’Union soviétique. A cause de la profession de son père, il avait été empêché de poursuivre ses études musicales à Riga. Il perfectionna son art dans la Lituanie voisine, à Vilnius, tout en découvrant l’avant-garde polonaise.
C’est un peu par la force des choses que Peteris Vasks, amateur de musique sérielle, se plongea dans le patrimoine folklorique de son pays. « Le folklore paraissait si lointain et archaïque aux autorités communistes qu’il ne les inquiétait pas beaucoup », pointe-t-il. En réalité, ce retour aux sources, vécu aussi dans la danse ou la poésie, « nourrissait la conscience nationale» en cette période sombre. «Grâce à la musique, je restais libre à l’intérieur de moi ».
Sans compromission
Derrière le Rideau de fer, le compositeur, qui gagna un temps sa vie en jouant de la contrebasse dans un grand orchestre, a bâti une œuvre riche et variée, sans se compromettre avec le régime communiste. Il aurait pu choisir la voie de l’exil, empruntée par l’Estonien Arvo Pärt. Un choix qui a valu à ce dernier une notoriété internationale dont le Letton ne jouit pas encore. Il n’en a cure. « Si je n’arrive pas à atteindre le grand public, je ne l’accuserai jamais de ne pas avoir compris mon œuvre. La vanité est la pire des choses », glisse-t-il.
Le nom et la musique de Peteris Vasks ont toutefois commencé à franchir les frontières. Sa rencontre avec le Kronos Quartet lui a ouvert les portes du Théâtre de la Ville, à Paris, où son quatuor à cordes n°4, hommage à un siècle finissant, fut donné en 2000. Les Français ont pu le réentendre en novembre 2004 à Caen, en marge du festival des Boréales. L’intéressé se réjouit de pouvoir faire passer son message en forme d’interrogation : « Pourquoi est-on si pressé, où va-t-on ? »
* Correspondant du Monde à Berlin, en charge des États baltes jusqu’à l’été 2005 et auteur du livre Les pays baltes. Indépendance et intégrations (Ed. Alvik, Paris, 2004)