Et ce qui devait arriver arriva. Le principal parti de l'importante minorité russe de Lettonie a obtenu le meilleur score aux élections législatives. Ca s'est passé samedi, le 17 septembre, journée qui devrait rester dans l'histoire encore courte de cet Etat, 20 ans après son retour à l’indépendance.
Il serait tentant de commencer par esquisser les retombées des élections sur les relations entre la Lettonie avec d'un côté la Russie, de l'autre l'Ouest (pour faire vite). Mais il ne me paraît pas inutile de revenir avant sur quelques faits pour expliquer les résultats de samedi.
S'il arrive pour la 1ère fois en tête, le principal parti de la minorité russophone (d'origine russe, donc, mais aussi biélorusse et ukrainienne) n'a que relativement peu progressé par rapport aux dernières législatives, tenues en octobre 2010. Le Centre de l'harmonie, c'est son nom, est passé de 26% à 28,3% des voix.
Cela s'explique notamment par la quasi disparition de l'autre parti de la minorité, le PCTVL, qui est passé entre-temps de 1,43% à 0,78% des voix. Le Centre de l'harmonie a également profité d'une légère baisse du taux de participation (60,5% contre 63% il y a un an), qui a semble-t-il surtout affecté les partis "lettons".
Pourquoi le Centre de la concorde devance-t-il les autres? Il y a différentes raisons:
- ce parti n'a jamais participé à un gouvernement depuis le retour de la Lettonie à l'indépendance en 1991. Il a donc l'avantage de ne pas avoir eu à mettre les mains dans le camboui du pouvoir au niveau national. Aux yeux de la minorité russophone, en particulier, il ne porte pas la responsabilité des mesures d'austérité qui ont suivi la crise profonde de 2008, adoptées en échange de l'aide financière internationale.
En dépit de cette virginité, il ne semble pas que ce parti ait grignoté sur l'électorat "letton-letton". Dans ce pays, on continue à voter pour son camp ethnique, comme par réflexe. Il y a encore trop de mauvais souvenirs, trop de points de discorde, de ressentiments pour qu'il en soit autrement. En d'autres mots, il est encore trop tôt.
- ce parti attire donc quasiment tout l'électorat de la minorité russophone, qui n'imagine pas encore voter pour des partis "lettons-lettons". Ce réflexe communautaire n'est pas près de s'estomper tant que le camp opposé n'aura pas à accorder plus de droits à la minorité, et en particulier celui de voir sa langue (le russe) élevée au rang de langue officielle du pays, au même niveau que le letton. Cette question de principe n'est pas à l'ordre du jour des gouvernements qui se sont succédé à Riga, précisément parce que les Lettons de souche se sentent encore menacés dans leur identité par cette importante minorité active.
- le camp "letton-letton" (les Lettons de souche, de langue maternelle lettone) s'est fragmenté en raison de l'émergence du parti de l'ancien président Valdis Zatlers, qu'il a créé en juillet, peu après la fin de son mandat. J'en avais alors parlé sur ce blog à l’occasion du lancement d’une procédure de dissolution du parlement par le même Valdis Zatlers, fait inédit dans l’histoire lettone. Quelles que soient les raisons réelles qui l'ont poussé à lancer son parti, le fait est qu'avec son score de 20,8%, le président sortant a grandement contribué à affaiblir la formation de Valdis Dombrovskis (18,3%), le premier ministre sortant, qui s’adresse au même électorat letton de souche, tendance plutôt modérée.
Quelles seront les conséquences des résultats de samedi?
- Tout d'abord, rien ne dit que le Centre de l'harmonie parviendra à entrer dans le gouvernement. En dépit (ou à cause) de son avance de près de huit points sur le 2e du scrutin, il reste considéré comme peu fréquentable par les autres partis. Pour différentes raisons liées au passé, au partage du pouvoir, au patriotisme (parfois plus feint que réel), aux principes, etc.
Seuls L'Union des verts et des paysans (ZZS, 12,2% des voix) de l'un des trois oligarques lettons et, peut-être, le nouveau parti de Valdis Zatlers (20,8%) seraient prêts à collaborer avec lui au sein d'une coalition gouvernementale. Mais cela paraît d'autant moins réaliste que le rapport des forces actuel penche trop en faveur du parti russophone. A moins que celui-ci ne réclame moins de ministères qu'il serait en droit d'obtenir et ne se contente que de portefeuilles non-stratégiques. A suivre donc.
- Ensuite, peut-on voir dans le vote du 17 septembre une volonté des Lettons de se rapprocher de Moscou ou de s’arrimer à la Russie en tournant le dos à l’Europe ? J’ai entendu cet argument ces derniers jours. C’est une vision un peu manichéiste qui ne tient pas compte de la réalité lettone. On ne peut pas parler d’un électorat letton en tant que tel. Il y a l’électorat letton de souche et l’électorat letton russophone.
Le 1er, qui est majoritaire dans le pays, n’a aucune envie de tourner le dos à l’Europe, même s’il peut regretter le peu d’investissements de pays de l’UE (hormis les nordiques) dans une économie locale qui en aurait grand besoin. Ce qui n’empêche pas certains Lettons de souche à la vue basse de vouloir gagner plus d’argent en développant le business avec des entreprises russes, au risque d’accroître la dépendance du pays vis-à-vis du grand voisin.
Pour l’électorat russophone, c’est plus compliqué. Hormis une frange de nostalgiques de l’époque soviétique et de partisans d’un rapprochement avec la Russie, il n’a pas particulièrement envie de dépendre du pouvoir moscovite. Mais ces Lettons-là sont culturellement proches de la "mère patrie" voisine, ils sont branchés sur la télé russe de Russie et voudraient voir leur langue maternelle obtenir le statut de 2e langue officielle au côté du letton. Pour eux, il est naturel de regarder vers l’Est, même si les plus éduqués d'entre eux comprennent qu’un régime "à la russe" a des inconvénients, notamment en termes de liberté d’expression. Le fait que le Centre de l’harmonie soit lié par un accord politique au parti dépendant de Vladimir Poutine a de quoi inquiéter les Lettons de souche. D’où les négociations pour éviter l’entrée de ce parti dans la future coalition gouvernementale lettone.
- De l’issue de ces négociations dépendra l’attitude de Bruxelles et des grandes capitales européennes. Le premier ministre sortant, Valdis Dombrovskis, bénéficiait d'une certaine confiance au sein de l'UE et du FMI, qui voyaient en lui le garant d'une certaine stabilité politique et financière. Avec lui, ils étaient à peu près sûrs que les engagements de l'Etat letton pour sortir de l'ornière seraient tenus, même si le coût social est lourd (départ de Lettons vers l’étranger, chômage, appauvrissement, etc.). Dombrovskis faisait le sale boulot exigé par les créditeurs. S’il n’est pas reconduit (scénario possible), qu’adviendra-t-il de cette crédibilité, avec quelles conséquences? A suivre là aussi.
Je reviendrai plus tard sur un autre aspect du scrutin de samedi, le sort réservé aux oligarques lettons.
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