A un jour près, la Lettonie avait un chef de gouvernement virtuel avant d'en avoir un "vrai".
La date du 26 octobre avait été fixée de longue date par la chaîne de télévision publique LTV1 pour la diffusion de la finale de son jeu Es varu būt premjerministrs, soit Je peux être premier ministre:
La direction de la chaîne de télé ne pouvait alors pas savoir (mais sans doute l'espérait-elle) que les négociations pour la formation d'une coalition gouvernementale, après les élections du 17 septembre, prendraient plus de temps que prévu et réserveraient un suspense digne d'une émission de téléréalité...
De fait, ce n'est que le 25 octobre, soit 38 jours après le scrutin, que le parlement finit par voter en faveur d'une nouvelle coalition gouvernementale, avec à sa tête Valdis Dombrovskis. Le vrai premier ministre donc (photo), qui dirigeait déjà le cabinet sortant (et celui d'avant).
Entre le scrutin du 17 septembre et le récent vote du parlement, les Lettons ont entendu les principales figures politiques du pays imaginer, tour à tour, une coalition intégrant pour la 1ère fois le parti de l'importante minorité russophone; un gouvernement arc-en-ciel incluant et les "russes" et les ultranationalistes anti-russes (!); puis un cabinet réduit aux partis du centre-droit et aux ultranationalistes. Formule finalement retenue et adoptée le 25 octobre par la Saeima, le parlement, avec une majorité de 57 sièges sur 100.
Imaginons un instant que les pourparlers aient duré un peu plus longtemps, à cause d'un quelconque désaccord entre "alliés" (ce ne sont pas les pommes de discorde qui manquent dans le verger politique local). Le 26 octobre au soir, la Lettonie aurait alors eu un "premier ministre" purement télévirtuel: Martins Puris, un jeune gars venant du port de Liepaja, déclaré vainqueur du jeu télévisé:
C'est ce blond sémillant qui a été choisi parmi les candidats comme étant le plus apte à diriger un gouvernement (on retrouve ici leurs vidéos de présentation). Inspirée d'une idée canadienne, l'émission, qui en était à sa 2ème édition dans le pays balte, vise à placer les candidats dans des situations telles qu'un chef de gouvernement est susceptible de les affronter. Que feraient-ils, par exemple, en cas d'une nouvelle faillite d'une grande banque lettone? Quels mots choisiraient-ils dans leur adresse à la nation si une puissance ennemie menaçait d'envahir le pays? Comment se comporteraient-ils s'ils se laissaient aller à coucher avec leur secrétaire, ou s'ils étaient pris en flagrant délit de conduite en état d'ébriété?, etc. La "vraie vie" de tous les jours, quoi, pour tout locataire du Matignon letton...
Afin de jauger ces jeunes aspirants très politiquement corrects, la chaîne de télé avait fait appel à quelques politologues et journalistes et, surtout, à d'anciens titulaires du poste, dont Ivars Godmanis, premier ministre à deux reprises (1990-1993 et 2007-2009) et batteur de rock à ses heures perdues, Aigars Kalvitis (2004-2007) et Indulis Emsis (2004), l'homme qui avait oublié une mallette pleine de dollars à la cafétéria du parlement...
Sens des responsabilités, gravité et dynamisme... Martins Puris et ses rivaux - Karlis Sils, Rudolfs Kreicbergs, Katrina Killa, Antonina Nenaseva, Edgars Zukovskis, Katrina Veismane, Dainis Persidskis, Janis Garancis et Edmunds Cepuritis - ont pris le jeu très au sérieux.
L'ambassade des Etats-Unis en Lettonie aussi. Le soir de la finale, Madame l'ambassadeur, Judith G. Garber, déboulait sur le plateau pour décerner un prix à l'une des quatre derniers candidats en lice (photo de LTV1, voir aussi cette vidéo). Pas de chance, ce n'était pas au vainqueur, le blond Martins, mais à la brune Antonina Nenaseva. Ainsi intronisée "Best Future Leader representing Our Shared Values", la candidate - issue de la minorité russophone - doit cette distinction à son implication dans une association (russe de Lettonie), PatriotiLV, qui prône plus de tolérance et la non-discrimination envers quiconque pour raisons ethniques, sociales ou autre.
Accorder un tel prix à une candidate ayant ce profil, ce n'est pas anodin, évidemment, de la part de "l'ami" américain. Pas plus que le moment et le lieu choisis pour le décerner, à une heure de grande écoute sur la télé publique. La tolérance vis-à-vis des minorités n'est pas la valeur la mieux partagée dans le pays. Et la discrimination n'est jamais très loin dès lors qu'on aborde la politique des autorités lettones vis-à-vis des minorités - et en particulier vis-à-vis des habitants d'origine russe, ukrainienne ou biélorusse, un groupe qui représente un tiers environ de la population totale.
Les dirigeants de ce pays viennent de manquer l'occasion de mieux associer à la vie publique cette minorité dont les membres, pour la plupart, n'ont nullement envie d'aller vivre en Russie ou en Biélorussie voisines. Comme je l'écrivais ici, le parti des russophones, le Centre de l'harmonie (ou de la Concorde), est arrivé en tête aux législatives du 17 septembre, et ce pour la 1ère fois depuis le départ des républiques baltes de l'ex-URSS.
Cela n'a pas suffi à convaincre les partis lettons de souche de faire un geste en intégrant cette formation au sein d'une nouvelle coalition gouvernementale. Laquelle formation - il faut le souligner - ne revendiquait pas le poste de premier ministre, malgré sa 1ère place aux élections (avec près de 8 points de pourcentage d'avance sur le suivant).
Valdis Zatlers, président de la République entre l'été 2007 et le 7 juillet dernier, a bien tenté à un moment de plaider en faveur d'une ouverture en direction des russophones. La manoeuvre fit long feu, en dépit de certains appels du pied du Centre de la Concorde. Et en particulier la reconnaissance par l'un de ses deux chefs, Nils Usakovs (photo officielle), du fait que la Lettonie avait bien été "occupée" par les Soviétiques à partir de la 2ème guerre mondiale.
Fait au détour d'une phrase prononcée dans le cadre d'un discours a priori anodin, ce tout récent aveu est à double détente. D'une part, il vise à contribuer à déminer un champ historique sur lequel a échoué, il y a un an, une précédente tentative (plus timide encore) d'entente sur une possible coalition "avec les Russes".
D'autre part, comme me le faisait justement remarquer un ami, reconnaître qu'il y a bien eu occupation à l'époque soviétique est à même d'inciter les nationalistes lettons à admettre qu'avec la disparition de l'URSS, l'occupation a cessé. Et donc que les russophones arrivés pendant la période soviétique ne peuvent plus être considérés comme des "occupants" à chasser (qualificatif bien pratique, d'ailleurs, pour délégitimer et neutraliser cette grosse frange de la population). C'est du moins ce qu'espèrent (sans doute, du moins je le devine) Nils Usakovs, l'actuel maire de Riga, et (certainement) ceux qui pensent qu'il est temps pour le pays de surmonter le passé.
On peut douter de la sincérité de Nils Usakovs et du soutien réel dont il bénéficie sur ce point au sein de son parti. Mais il n'est pas interdit d'espérer...
Las, les partis lettons de souche ont, plutôt que de bousculer leurs habitudes et prendre le moindre risque politique, préféré laisser une fois de plus le principal parti de la minorité russophone sur le seuil. Il faut croire que les mentalités ne sont pas encore prêtes au sein de la classe politique lettone, 20 ans après le retour à l'indépendance.
Je reste persuadé que, sauf en cas de sabotage téléguidé demain par Moscou, ce n'est que partie remise. Les petits pas effectués de part et d'autre durant l'automne vont faire réfléchir.
Je ne dis pas que l'inclusion au gouvernement du Centre de l'harmonie serait garante d'un meilleur fonctionnement des institutions. Je ne dis pas que des ministres membres de la minorité feront nécessairement un meilleur travail que leurs collègues lettons de souche. Je ne dis pas non plus que les cadres de ce parti sont plus intègres que les autres.
Mais pour la cohésion d'une population qui s'effiloche au fil des départs vers l'étranger et pour une meilleure atmosphère démocratique, il faudra bien un jour donner à cette importante minorité le droit d'être représentée au gouvernement, tout comme elle l'est déjà dans les affaires municipales. Je ne vais pas détailler pourquoi maintenant. Il faudrait des pages (à ce propos, je vous renvoie à mon livre Les pays baltes. Un voyage découverte) et je ne suis pas d'humeur à faire un résumé aujourd'hui! A bientôt.
vendredi 28 octobre 2011
mercredi 12 octobre 2011
Panique à Oslo, selon Munch
Panikk i Oslo. Rictus mi-angoissés mi-grotesques des messieurs au premier plan. On dirait qu'ils fuient un bal masqué qui aurait mal tourné.
Panique à Oslo. Pourquoi Edvard Munch a-t-il donné un tel titre, qui aurait fort bien résumé la journée du 22 juillet dernier en Norvège, à l'une de ses oeuvres, une gravure sur bois réalisée en 1917?
Le temps de me poser la question et le flux de visiteurs, en ce dimanche pluvieux, m'a déjà charrié plus loin. Avant de quitter l'exposition consacrée à Munch et à son "oeil moderne", au Centre Georges Pompidou, je remonte le courant pour prendre une photo de la gravure en question. Puis je m'assieds pour mieux la regarder. Pas évident...
Si le motif décrit sur la gravure n'est pas le simple fruit de l'imagination tumultueuse de Munch, à quoi pouvait-il faire allusion?
A la menace d'une révolution d'inspiration bolchévique? L'année s'y prêterait mais une telle hypothèse, bien que désirée alors par des socialistes plus radicaux qu'en Suède, paraissait peu crédible en ces terres norvégiennes encore peu industrialisées et sans noblesse de sang à clouer au pilori.
A l'irruption d'une épidémie dévastatrice, punition forcément venue d'en haut pour les plus illuminés, répétition locale avant la grande grippe espagnole qui fit, en 1918-19, des dizaines de millions de morts en Europe, Norvège comprise?
L'étiquette présentant la gravure de Munch, accrochée au haut à gauche d'un mur en cette salle surpeuplée du Centre Pompidou, n'éclaire pas le visiteur. Mais la proximité d'autres tableaux, sur le même mur, me met sur une piste. Au moins deux d'entre eux nous racontent un incendie, des femmes en coiffe et tablier blancs, des messieurs en melon fuient des flammes gigantesques qui montent d'un toit.
Une recherche sur la toile (virtuelle) confirme qu'Oslo, comme tant d'autres villes faites du bois des forêts qui les entourent, a été le théâtre d'incendies plus ou moins dévastateurs. L'un d'eux, survenu en 1890, transforma en un monticule de cendres cinq tableaux de Munch. Mais je ne parviens pas à identifier un gros incendie en 1917. Cela dit, ce ne serait pas la 1ère fois que Munch s'inspirerait d'un événement passé pour le reproduire plusieurs fois, à des années d'intervalles.
En fouillant dans le catalogue en ligne du musée Munch d'Oslo, je tombe sur un autre indice, qui pourrait s'avérer décisif. En 1915, Munch avait réalisé une autre gravure sur bois intitulée Panikk tout court.
Elle lui a été inspirée par l'angoisse ressentie en Norvège à l'annonce de la déclaration de la 1ère guerre mondiale. Bien que neutre, comme les autres pays scandinaves, le pays redoutait les conséquences d'un conflit sur le commerce maritime, l'emploi, le prix des denrées et sur la stabilité politique du royaume.
Avec son Panikk i Oslo datant de 1917, Munch aurait-il retravaillé ce motif, toujours selon le principe de la re-production d'une scène, d'un drame, d'une impression?
* * *
L'exposition, à voir jusqu'au 9 janvier (et savamment analysée ici par La Tribune de l'art), vaut aussi le déplacement pour les photos et courts métrages réalisés par le Norvégien, artiste curieux des innovations technologiques de son temps. Dans la pénombre d'une salle circulaire se profile Munch l'homme, pris sous diverses facettes par l'appareil photographique qu'il prenait visiblement un certain plaisir à déclencher. Quelques clichés de profil, pris si ma mémoire est bonne dans sa résidence d'Ekely, près d'Oslo, me disent quelque chose. Dans les traits, la lippe, la moue, les pauses, je ne peux m'empêcher de voir en Munch un croisement... de Mussolini et de Marlon Brando.
Lui se voyait ainsi (parmi des dizaines d'autoportraits qu'il a réalisés jusqu'à sa mort en 1944):
Non seulement Munch était pétri de talent, mais il avait une gueule.
Panique à Oslo. Pourquoi Edvard Munch a-t-il donné un tel titre, qui aurait fort bien résumé la journée du 22 juillet dernier en Norvège, à l'une de ses oeuvres, une gravure sur bois réalisée en 1917?
Le temps de me poser la question et le flux de visiteurs, en ce dimanche pluvieux, m'a déjà charrié plus loin. Avant de quitter l'exposition consacrée à Munch et à son "oeil moderne", au Centre Georges Pompidou, je remonte le courant pour prendre une photo de la gravure en question. Puis je m'assieds pour mieux la regarder. Pas évident...
Si le motif décrit sur la gravure n'est pas le simple fruit de l'imagination tumultueuse de Munch, à quoi pouvait-il faire allusion?
A la menace d'une révolution d'inspiration bolchévique? L'année s'y prêterait mais une telle hypothèse, bien que désirée alors par des socialistes plus radicaux qu'en Suède, paraissait peu crédible en ces terres norvégiennes encore peu industrialisées et sans noblesse de sang à clouer au pilori.
A l'irruption d'une épidémie dévastatrice, punition forcément venue d'en haut pour les plus illuminés, répétition locale avant la grande grippe espagnole qui fit, en 1918-19, des dizaines de millions de morts en Europe, Norvège comprise?
L'étiquette présentant la gravure de Munch, accrochée au haut à gauche d'un mur en cette salle surpeuplée du Centre Pompidou, n'éclaire pas le visiteur. Mais la proximité d'autres tableaux, sur le même mur, me met sur une piste. Au moins deux d'entre eux nous racontent un incendie, des femmes en coiffe et tablier blancs, des messieurs en melon fuient des flammes gigantesques qui montent d'un toit.
Une recherche sur la toile (virtuelle) confirme qu'Oslo, comme tant d'autres villes faites du bois des forêts qui les entourent, a été le théâtre d'incendies plus ou moins dévastateurs. L'un d'eux, survenu en 1890, transforma en un monticule de cendres cinq tableaux de Munch. Mais je ne parviens pas à identifier un gros incendie en 1917. Cela dit, ce ne serait pas la 1ère fois que Munch s'inspirerait d'un événement passé pour le reproduire plusieurs fois, à des années d'intervalles.
En fouillant dans le catalogue en ligne du musée Munch d'Oslo, je tombe sur un autre indice, qui pourrait s'avérer décisif. En 1915, Munch avait réalisé une autre gravure sur bois intitulée Panikk tout court.
Elle lui a été inspirée par l'angoisse ressentie en Norvège à l'annonce de la déclaration de la 1ère guerre mondiale. Bien que neutre, comme les autres pays scandinaves, le pays redoutait les conséquences d'un conflit sur le commerce maritime, l'emploi, le prix des denrées et sur la stabilité politique du royaume.
Avec son Panikk i Oslo datant de 1917, Munch aurait-il retravaillé ce motif, toujours selon le principe de la re-production d'une scène, d'un drame, d'une impression?
* * *
L'exposition, à voir jusqu'au 9 janvier (et savamment analysée ici par La Tribune de l'art), vaut aussi le déplacement pour les photos et courts métrages réalisés par le Norvégien, artiste curieux des innovations technologiques de son temps. Dans la pénombre d'une salle circulaire se profile Munch l'homme, pris sous diverses facettes par l'appareil photographique qu'il prenait visiblement un certain plaisir à déclencher. Quelques clichés de profil, pris si ma mémoire est bonne dans sa résidence d'Ekely, près d'Oslo, me disent quelque chose. Dans les traits, la lippe, la moue, les pauses, je ne peux m'empêcher de voir en Munch un croisement... de Mussolini et de Marlon Brando.
Lui se voyait ainsi (parmi des dizaines d'autoportraits qu'il a réalisés jusqu'à sa mort en 1944):
Non seulement Munch était pétri de talent, mais il avait une gueule.
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