mercredi 12 octobre 2011

Panique à Oslo, selon Munch

Panikk i Oslo. Rictus mi-angoissés mi-grotesques des messieurs au premier plan. On dirait qu'ils fuient un bal masqué qui aurait mal tourné.


Panique à Oslo. Pourquoi Edvard Munch a-t-il donné un tel titre, qui aurait fort bien résumé la journée du 22 juillet dernier en Norvège, à l'une de ses oeuvres, une gravure sur bois réalisée en 1917?
Le temps de me poser la question et le flux de visiteurs, en ce dimanche pluvieux, m'a déjà charrié plus loin. Avant de quitter l'exposition consacrée à Munch et à son "oeil moderne", au Centre Georges Pompidou, je remonte le courant pour prendre une photo de la gravure en question. Puis je m'assieds pour mieux la regarder. Pas évident...


Si le motif décrit sur la gravure n'est pas le simple fruit de l'imagination tumultueuse de Munch, à quoi pouvait-il faire allusion?
A la menace d'une révolution d'inspiration bolchévique? L'année s'y prêterait mais une telle hypothèse, bien que désirée alors par des socialistes plus radicaux qu'en Suède, paraissait peu crédible en ces terres norvégiennes encore peu industrialisées et sans noblesse de sang à clouer au pilori.
A l'irruption d'une épidémie dévastatrice, punition forcément venue d'en haut pour les plus illuminés, répétition locale avant la grande grippe espagnole qui fit, en 1918-19, des dizaines de millions de morts en Europe, Norvège comprise?
L'étiquette présentant la gravure de Munch, accrochée au haut à gauche d'un mur en cette salle surpeuplée du Centre Pompidou, n'éclaire pas le visiteur. Mais la proximité d'autres tableaux, sur le même mur, me met sur une piste. Au moins deux d'entre eux nous racontent un incendie, des femmes en coiffe et tablier blancs, des messieurs en melon fuient des flammes gigantesques qui montent d'un toit.


Une recherche sur la toile (virtuelle) confirme qu'Oslo, comme tant d'autres villes faites du bois des forêts qui les entourent, a été le théâtre d'incendies plus ou moins dévastateurs. L'un d'eux, survenu en 1890, transforma en un monticule de cendres cinq tableaux de Munch. Mais je ne parviens pas à identifier un gros incendie en 1917. Cela dit, ce ne serait pas la 1ère fois que Munch s'inspirerait d'un événement passé pour le reproduire plusieurs fois, à des années d'intervalles.
En fouillant dans le catalogue en ligne du musée Munch d'Oslo, je tombe sur un autre indice, qui pourrait s'avérer décisif. En 1915, Munch avait réalisé une autre gravure sur bois intitulée Panikk tout court.


Elle lui a été inspirée par l'angoisse ressentie en Norvège à l'annonce de la déclaration de la 1ère guerre mondiale. Bien que neutre, comme les autres pays scandinaves, le pays redoutait les conséquences d'un conflit sur le commerce maritime, l'emploi, le prix des denrées et sur la stabilité politique du royaume.
Avec son Panikk i Oslo datant de 1917, Munch aurait-il retravaillé ce motif, toujours selon le principe de la re-production d'une scène, d'un drame, d'une impression?

* * *

L'exposition, à voir jusqu'au 9 janvier (et savamment analysée ici par La Tribune de l'art), vaut aussi le déplacement pour les photos et courts métrages réalisés par le Norvégien, artiste curieux des innovations technologiques de son temps. Dans la pénombre d'une salle circulaire se profile Munch l'homme, pris sous diverses facettes par l'appareil photographique qu'il prenait visiblement un certain plaisir à déclencher. Quelques clichés de profil, pris si ma mémoire est bonne dans sa résidence d'Ekely, près d'Oslo, me disent quelque chose. Dans les traits, la lippe, la moue, les pauses, je ne peux m'empêcher de voir en Munch un croisement... de Mussolini et de Marlon Brando.



Lui se voyait ainsi (parmi des dizaines d'autoportraits qu'il a réalisés jusqu'à sa mort en 1944):


Non seulement Munch était pétri de talent, mais il avait une gueule.

2 commentaires:

  1. Bel article érudit et éclairé. A la gueule de Munch (qui savait fort bien les déformer lorsqu'il les gravait), j'ajouterais une autre identité : sous son chapeau, il fait penser aussi à Guitry.

    RépondreSupprimer
  2. Merci pour cette appréciation. Guitry? Je n'y avais pas pensé mais pourquoi pas? Dans Si Oslo m'était conté...

    RépondreSupprimer