Pas question, pour la Suède, d’accorder une telle faveur à la Palestine, qui tente d’obtenir le statut d’Etat indépendant et frappe à toutes les portes de l’ONU dans l’espoir d’une reconnaissance internationale formelle et définitive. La candidature à l'Organisation des Nations unies pour l'éducation, la science et la culture est défendable sur le fond, explique-t-on à Stockholm, mais elle n'intervenait pas au bon moment.
Voilà donc la Suède, sur ce dossier, placée dans le camp - ultraminoritaire, avec 14 voix contre 107 "oui " et 52 abstentions - des Etats qui, au côté de Washington, ont voté contre l'entrée de la Palestine à l'Unesco. Elle s'y retrouve en compagnie notamment de 4 autres membres de l'UE (Allemagne, Pays-Bas, République tchèque et Lituanie), tandis que 10 autres pays de la même UE (France et Finlande comprises) ont voté pour. D'autres, comme le Danemark, l'Estonie et la Lettonie, ont préféré s'abstenir. Nous constatons, une fois de plus, la grande unité de vues qui prévaut au sein de cette bonne vieille Union!
Si Sten Andersson était encore vivant, il en avalerait de travers son chapeau de feutre. Cet ancien ministre suédois des affaires étrangères était devenu un interlocuteur apprécié des dirigeants palestiniens. A partir des années 1980, époque où ces derniers sentaient encore diablement le soufre, il avait contribué à un début de dialogue entre l’administration américaine et l'Organisation de libération de la Palestine (OLP). Notamment en incitant son chef, Yasser Arafat, à abandonner la lutte armée et à reconnaître à l'Etat d'Israël le droit d'exister, ce qu'il fit en décembre 1988 à Genève, comme le raconte ici Sten Andersson (lien en suédois).
Dans l’article qu’elle publia à la mort de l’ancien ministre social-démocrate, une éditorialiste du journal Aftonbladet raconte ce que lui avait répondu Yasser Arafat lorsqu’elle lui avait transmis les salutations de l’ancien ministre: "Oh Sten, my brother!"
Je me souviens aussi de l’accueil chaleureux réservé par les sociaux-démocrates suédois aux caciques de l’OLP, lorsqu’ils se rendaient à Stockholm dans les années 1990. On les croisait lors de conférences de presse tenues dans la salle de presse du ministère des affaires étrangères, couvés par des hôtes aux petits soins. Comme si ces messieurs venus de territoires lointains rappelaient aux Suédois l’époque dorée où leur pays, encore neutre et non-aligné, jouait un rôle d’entremetteur de l’ombre ou de démineur discret de conflits… avant de se faire chiper cette spécialité par les Norvégiens (cf. les accords d'Oslo de 1993).
Cette époque serait-elle à ranger définitivement aux rayons des souvenirs "caducs", comme disait l'autre (vidéo tirée des archives de l'INA)? N’y aurait-il plus besoin de discrets médiateurs désintéressés entre responsables palestiniens, israéliens et américains? Toujours est-il que le vote suédois du 31 octobre n’est pas passé inaperçu au Proche-Orient - d’un côté comme de l’autre.
Qu’est-ce qui explique ce revirement made in Stockholm? Il semble bien qu’il ait été dicté par des considérations de politique intérieure. Le Parti libéral, allié des conservateurs au gouvernement et par tradition le parti suédois le plus favorable à Israël, est très sceptique quant à la reconnaissance par l’ONU d’un Etat palestinien indépendant. Dans une tribune publiée le 1er septembre, les deux poids lourds du Parti libéral au gouvernement, Jan Björklund (ministre de l’éducation et chef du parti) et Birgitta Ohlsson (affaires européennes), l’avaient clairement fait savoir (lien en suédois).
Les libéraux ont su convaincre leurs partenaires au sein de la coalition de centre-droite. En échange du vote négatif à l'Unesco, les conservateurs du Premier ministre Fredrik Reinfeldt auraient, selon diverses sources à Stockholm, obtenu le principe d'une baisse du budget éducation, portefeuille que détient le chef du Parti libéral. Cela permettrait, avec d’autres mesures, d’envisager une nouvelle baisse des impôts, conformément aux promesses faites avant les législatives de septembre 2010. Depuis le scrutin, on le sait, la conjoncture s'est nettement détériorée. Mais le Premier ministre souhaite autant que possible pouvoir continuer à se profiler comme celui qui par lequel la pression fiscale a baissé en Suède.
Bien que plus ouvert sur le dossier israélo-palestinien que ne le laisse entendre le vote du 31 octobre, Carl Bildt, l'actuel ministre suédois des affaires étrangères, n'aurait pas cherché à aller contre ce marché. Lequel lui a permis, au passage, de marquer des points auprès de l'administration américaine. Cela peut toujours servir un jour, doit penser cet électron libre du gouvernement aux ambitions personnelles encore vivaces, en dépit du temps qui passe.
Sur son blog, Carl Bildt va même jusqu’à regretter le vote favorable à l'admission de la Palestine à l'Unesco qui, selon lui, va à la fois nuire à cette organisation et à la Palestine. "La Suède a voté non, parce que nous pensons que cette décision tombait au mauvais moment. Au lieu de renforcer la cause palestinienne - cause dont nous sommes l'un des plus fervents défenseurs - elle va affaiblir l'Unesco et son importante mission", écrit-il. Cela reste à prouver.
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