vendredi 5 février 2010

Cette nuit-là, un inconnu

Les téléscripteurs crépitent, crachent sans relâche des dépêches à l'encre bleu passé. Il faudrait changer les rubans. Mais l'appelé de permanence cette nuit-là n'a pas envie de couper le fil. Son attention est ailleurs. Là, dans cette salle étroite du Sirpa, au ministère de la défense, boulevard St-Germain, les rubans de papier qui coulent sans fin racontent une histoire à laquelle il a dû mal à croire. Il n'en comprend pas vraiment la portée, si tant est qu'elle en ait une pour lui. Plus tard, il se demandera tout de même si cette nuit du 28 février au 1er mars 1986 a pu jouer un rôle dans son orientation future, direction Nord. Vous aurez reconnu l'identité de ce brave troufion...
Que faisiez-vous ce jour-là? Ou le lendemain, en apprenant la nouvelle?
C'est le genre de questions qu'on se pose les uns les autres, entre amis ou en famille, pour se remémorer un événement décisif. L'exemple qui vient tout de suite à l'esprit concerne le 11 septembre 2001. Nine eleven, comme on dit outre-Atlantique et ailleurs en outre. Pour les Suédois en âge de s'en souvenir, la nuit du 28 février au 1er mars 1986 reste une date-clé qui s'impose tout autant.
Il s'appelait Olof Palme, c'était un chef de gouvernement qui ne laissait pas grand-monde indifférent en son royaume, un renard politique au profil d'oiseau de proie. Il rentrait à pied d'un cinéma sur Sveavägen, en compagnie de sa femme Lisbeth. A cette époque, un premier ministre suédois pouvait se passer de gardes du corps. Jusqu'à ce que ce dirigeant social-démocrate ne tombe sous les balles d'un inconnu, qui lui tira dans le dos au coin d'une rue.
Traumatisme national. Fin de "l'innocence" suédoise présumée, "rien ne sera plus comme avant". Questionnements sans fin sur le pourquoi, le comment, avec ou sans complices, pour expier ou prévenir quelle faute, pour soulager quel déséquilibré, satisfaire quelle grande ou moyenne puissance, nuire à quelle autre, etc. Les pistes envisagées furent aussi nombreuses qu'il y a de manières d'accommoder les harengs de la Baltique: kurde, sud-africaine, CIA, KGB, Iran, extrême droite internationale et/ou suédoise, marchands d'armes, mari cocu, camé, paumé, taré...
Et toujours aucun coupable. Il y eut bien Christer Pettersson, un marginal à la mèche rebelle, amateur de substances illégales, en qui Lisbeth Palme crut reconnaître l'assassin. Condamné en 1ère instance, il fut acquitté en appel en 1989, pour manque de preuves (l'arme n'a jamais été retrouvée). Si c'est bien lui, comme il le laissa entendre par la suite avant de se raviser, il a emporté son demi-secret dans la tombe en 2004 et doit en ricaner encore.
Pourquoi l'évocation de cette histoire ancienne? D'après la législation suédoise, le meurtre aurait dû être prescrit fin février 2011. Mais la règle des 25 ans vient d'être abrogée par le parlement. Plus de prescription! Au sein de la police, les enquêteurs "du groupe Palme", l'unité dédiée à ce dossier désormais réduite à quatre personnes à plein temps, pourront continuer à s'arracher les cheveux à volonté sur cette énigme. Jusqu'à quand?

3 commentaires:

  1. Bonjour Antoine,

    Je découvre votre blog, très intéressant. J'ai hâte de lire les prochains articles.
    A bientôt !

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  2. Bonjour Eddy, merci pour le commentaire qui m'a permis de découvrir votre propre blog (bientôt dans "ma liste"). Si vous êtes à Reykjavik en ce moment, faites-moi signe, j'y reste jusqu'à mardi soir.

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  3. Merci Antoine de m'ajouter à votre liste de blogs. J'en suis ravi. Je ne suis pas à Reykjavik pour le moment mais j'imagine que nous aurons un jour l'occasion de nous croiser. Je me déplace régulièrement dans les pays nordiques pour raisons professionnelles et personnelles !

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