vendredi 9 avril 2010

BALTE-TRAP: cher président letton

J'inaugure aujourd'hui une rubrique particulière sur ce blog. Une sorte de coup de gueule contre un événement, une initiative ou un propos balte qui m'aura mis de mauvaise humeur ou m'aura paru déplacé, risible, lamentable, outrancier, vulgaire... Je ne me livrerai pas ici à des attaques gratuites (ce n'est pas ma tasse de thé) ni ne chercherai à donner des leçons. Mais je n'ai rien contre un mini-pamphlet, pour peu qu'il soit étayé. En suivant la suggestion d'un oncle avisé, j'intitulerai ce genre de billet "Balte-trap" (à balles à blanc, bien sûr).
Le premier concerne des propos tenus par le président letton, Valdis Zatlers. Dans un entretien à la radio allemande Deutsche Welle, il affirme tout d'abord que "les Lettons se sentent beaucoup mieux qu'il y a un an". Affirmation plus que contestable. Certes, la situation financière du pays est moins instable depuis l'emprunt accordé par le FMI et l'UE. Plus de 7 milliards d'euros sur la table, ça calme les marchés. Mais la crise creuse son sillon d'une manière plus profonde qu'il y a un an, les bas de laine s'amenuisent, le chômage dépasse les 20%, les indemnités (quand on y a droit) viennent à terme, la lassitude gagne, le moral en prend un coup, les gens partent chercher du boulot à l'étranger. Bref, il faudrait être aveugle pour ne pas le voir et de mauvaise foi pour ne pas l'admettre publiquement.
Ensuite, le président Zatlers fait très fort lorsque la radio lui demande pourquoi donc, contrairement à la Grèce, la population lettone ne proteste pas contre les mesures d'austérité. Et quel "conseil concret" pourrait-il donner au gouvernement d'Athènes?
Réponse: comme en Lettonie, "vous devez engager un processus permanent de négociations avec toutes les organisations non-gouvernementales, avec tous les partenaires publics et plus important encore, avec la population. Il faut faire comprendre à toute personne vivant dans le pays que le problème est aussi le sien."
On croit rêver! Je connais peu de pays d'Europe où le pouvoir politique est si discrédité, si peu écouté et respecté de la population qu'en Lettonie. Cela se reflète dans les études d'opinion Eurobaromètre (voir page 5), soulignant que les Lettons sont les Européens éprouvant la plus grande défiance à l'égard de leur gouvernement (88%), de leur parlement (92%) et de leurs partis politiques (95%)!
La manière dont Valdis Zatlers a été désigné au poste de président (doté de peu de pouvoirs ici) est d'ailleurs l'une des manifestations du déficit démocratique qui touche ce pays. En 2007, les partis aux affaires sont allés chercher en dernière minute ce directeur d'hôpital - chirurgien fort respecté mais sans aucune expérience politique ni internationale - pour le faire élire par le parlement au suffrage indirect...
Quant à "toutes les ONG" dont parle le locataire du palais prési- dentiel (photo), elles sont, à l'image de la société civile lettone, sous-représentées et considérées comme inutiles, voire nuisibles, par le pouvoir politique.
Dans le même entretien, Valdis Zatlers n'hésite pas à se contredire lorsqu'il estime qu'il est "nettement mieux" que les discussions sur les mesures d'austérité en Lettonie aient eu lieu à l'intérieur de la coalition gouvernementale plutôt que "dans les médias" (dans le genre dialogue, on fait mieux...). Et le président d'ajouter: "Cela renforce la confiance de la société". Hum.
Il est vrai qu'à quelques exceptions près (une émeute le 13 janvier 2009 et quelques timides manifestations contre une fermeture d'hôpital ici, d'une école là), les Lettons n'ont pas exprimé en public leur mécontentement ou leur frustration de voir le pays plonger dans la crise (petit rappel: -18% de PIB en 2009 par rapport à l'année d'avant, soit la plus forte chute de toute l'UE).
Oui, contrairement aux Grecs et à d'autres, les Lettons ont tendance à faire le dos rond, à accepter en serrant les dents, à se replier sur leur sphère privée en attendant des jours meilleurs. Comme durant la période soviétique.
Mais essayer, comme le président Zatlers, de faire passer la Lettonie pour un modèle de dialogue social relève de la supercherie. Et le fait que la Deutsche Welle n'ait pas accompagné cet entretien d'un article d'éclairage pour "recadrer" la bonne parole présidentielle prive l'auditeur/lecteur peu averti d'une mise en perspective qui aurait été plus qu'utile. C'est dit.

2 commentaires:

  1. C'est dit et bien dit. C'est salutaire, j'adhère. Et j'en rajoute une couche: avec les manœuvres des oligarques, l'absence de presse digne de ce nom après l'équarrissage de Diena, les Lettons ont bien du courage. On leur en souhaite particulièrement pour les élections de cet automne. Quant à Zlaters, je ne suis pas sûr qu'un Letton l'ait jamais pris vraiment au sérieux comme président. Cela fait tâche, quand on compare aux présidents estonien et lituanien qui ont une tout autre envergure.

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  2. Cela dit, je me demande comment Vaira Vike-Freiberga aurait agi en cette période de crise, si elle avait pu faire un 3ème mandat au lieu de céder sa place à Valdis Zatlers.

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