jeudi 27 mai 2010

Montmartre, Copenhague, 34 ans après

Quel rapport entre ces masques, le jazz et Montmartre? Rien a priori. Sauf pour les amateurs de jazz qui avaient l'âge, entre 1959 et 1976, d'aller écouter de grands et moins grands musiciens jouer dans un club historique de Copenhague... Jazzhus Montmartre. Connu en particulier pour son mur de masques confectionnés par Mogens Gylling, le lieu accueillit des hôtes de marque: Dexter Gordon, Ben Webster, Lee Konitz, Stan Getz, Thad Jones, Art Taylor, Tete Montoliu...
La "Maison du jazz" vit aussi plusieurs générations de musiciens danois prendre leur envol dans l'ombre de ces pointures qui aimaient faire étape dans la capitale danoise durant leur tournée européenne, lorsqu'elles ne s'étaient pas installées plus durablement sur le Vieux continent, avec anches et autres bagages sonores.
Parlons notamment de Niels-Henning Ørsted Pedersen, l'une des idoles de l'adolescent boutonneux que j'étais. Le voici dans Dirty Old Blues avec Ben Webster, en 1971, sous l'oeil tellement collant d'un caméraman qu'on s'y croirait:



A l'époque, le jeu de contrebasse de NHØP m'apparaissait être le nec plus ultra du genre. Sa vélocité, notamment, me fascinait. C'est fou que ce qu'on peut être attiré, à cet âge-là, par les gens qui jouent vite, peu importe de quoi. Eric Clapton, John McLaughlin, Dominique Rocheteau... Avec un peu de recul, je suis d'accord pour dire qu'à la contrebasse, il y a plus complet, plus étoffé, plus ample que le bon barbu danois, mais c'est un autre débat. Il n'empêche qu'il assure ici en duo avec Kenny Drew sur un air traditionnel danois (I skovens dybe lille ro):


Toujours est-il que le Montmartre permit à NHØP et d'autres enfants du cru (le batteur Alex Riel, le trompettiste Palle Mikkelborg, les pianistes Ole Kock Hansen et Niels Lan Doky, etc.) de se frotter aux vieux routiers du jazz nord-américain. Hélas, après près de 30 ans de concerts dans une ambiance intime (moins de 100 places), le club dut fermer ses portes. Il fallut se rabattre sur d'autres lieux. Le vide ne fut jamais vraiment comblé, même si la Copenhagen JazzHouse sut tirer son épingle du jeu.
Mais voilà que les éclats du jazz sont de nouveau audibles au n°19A de la Store Regnegade, au coeur de la ville. Deux Danois - dont Niels Lan Doky, de retour au pays après une longue carrière de pianiste aux Etats-Unis et en France - ont eu l'excellente idée de ressusciter le Montmartre. Esprit, es-tu là? D'après la presse danoise, les 1ers pas sont très encourageants, en dépit de quelque bémols.
(Je m'épanche davantage sur le sujet ici, pour celles et ceux que ça intéresse)

samedi 22 mai 2010

Tallinn-Turku: objectif 2011

Les préparatifs vont bon train à Tallinn comme à Turku. En 2011, les deux villes baignées par la Baltique seront les "capitales européennes" de la culture. L'occasion pour elles de montrer ce qu'elles ont dans le ventre.
En reportage à Tallinn ces trois derniers jours, j'en ai profité pour prendre des photos entre deux rendez-vous, histoire de donner un avant-goût de la vieille ville et des alentours immédiats à celles et ceux qui envisagent de s'y rendre l'an prochain.

Site de Tallinn 2011
Site de Turku 2011

















jeudi 20 mai 2010

Transport pas commun

En reportage en Estonie depuis hier soir, histoire de voir si ce pays balte, qui veut entrer dans la zone euro en janvier prochain, est un "bon client" ou une petite Grèce en puissance, porteuse de problèmes pour une entité (la bien nommée "zone") qui n'en manque pas... La réponse paraît d'ores et déjà assez claire: en dépit de la crise actuelle, on se revendique ici du camp vertueux de l'Europe! Semble-t-il à raison, même si cette politique a un coût pour la population. J'y reviendrai dans un prochain billet.
Hier, j'ai donc pris l'autocar pour aller de Riga à Tallinn. Véhicule flambant neuf, gris métallisé tirant vers le bronze, nez profilé descendant jusqu'à ras de chaussée. La route file droit entre les forêts de sapins noirs. Les troncs de bouleaux remplumés depuis l'hiver défilent comme des barettes de lumière. Plus loin, au-delà de champs encore jaunis, des vestiges de kolkhozes et des fermes en bois isolées.
L'écran de télé installé au-dessus du chauffeur cravaté diffuse en boucle des clips musicaux, qui me ramènent aux mièvreries des années 80. A l'époque, les Baltes, coincés de l'autre côté du rideau de fer, ne pouvaient pas voir - hormis les habitants de Tallinn et de sa région, branchés sur la télé finlandaise - la plupart de ces vidéos de chanteuses et chanteurs aux chevelures très étudiées. Aujourd'hui, on peut sillonner ces contrées à bord d'autocars archipuissants, équipés de machines à café et de connexion internet sans fil...

dimanche 16 mai 2010

Portraits lettons, photographe suédois

Sous-entendues dans le titre de ce blog, les passerelles entre pays baltes et nordiques trouvent ici une illustration simple et bienvenue. Un photographe suédois, Mikael Good, s'est rendu en Lettonie depuis 2008 à la rencontre de familles parmi les plus touchées par la crise économique. Près d'une trentaine de portraits ramenés de ces voyages dans les campagnes et les villes lettones sont exposées dans la commune suédoise d'Örnsköldsvik, dans le nord-est du pays. Particularité: l'argent des ventes de ces photos ira à l'organisation caritative Hoppets stjärna (Etoile d'espoir) et lui servira à financer des actions dans ce pays balte.
Avec l'accord de l'auteur, je publie ici une de ses photos.
"La situation en Lettonie, écrit Mikael Good (alias Chasid) sur son blog, rappelle beaucoup celle que connut la Suède dans les années 1930 (...) et nos voisins lettons ont besoin d'un grand coup de main pour retomber sur leurs pieds. Leur besoin en assistance est aussi grand aujourd'hui qu'il l'était lorsque l'Etat letton recouvrit son indépendance en 1991 sur un territoire qui avait été détruit par l'occupant soviétique. La Suède et la Lettonie ont une longue histoire commune. Au 17e siècle, Riga fut la plus grande ville de Suède".
La 1ère ou la 2e ville? Cela dépend des sources. En tous cas, l'empire suédois régna alors sur ce qui avait constitué - du temps de la domination polonaise - le duché de Livonie, région qui allait de Tallinn au nord à Riga au sud (carte de la région vers 1650, empruntée ici).


Greetings from Latvia, exposition de Mikael Good à la galerie Port 9, Örnsköldsvik. Jusqu'au 30 mai 2010.

jeudi 13 mai 2010

Ecrire dans le maelström


"Nous prîmes du café, du pain et du boe
uf froid."

Tiens, ça commence comme un petit-déjeuner letton. Et pourtant la scène se déroule à bord d'un cargo accosté à Hambourg dans les années 1920.
Reprenons.

"Nous prîmes du café, du pain et du b
oeuf froid. Je compris vite que le nouveau venu était un communiste d'envergure. Il se nommait Michel Avatin; c'était un Letton: l'ancien organisateur maritime du Parti communiste de Riga. Il était allé en Russie et avait travaillé pour le Komintern en Angleterre. Il se faisait appeler maintenant Lambert et avait un passeport britannique en bonne et due forme à ce nom-là qu'il me remit en garde durant la durée du voyage. Manifestement, il n'était point de souche prolétarienne. Il donnait plutôt l'impression de descendre d'une famille d'officiers, ou d'avoir été lui-même un cadet ou un aspirant de marine. Il avait l'air tranquille et sûr de soi. Il s'y connaissait en bateaux. Ses mouvements étaient rapides, et il ne manquait pas d'une certaine allure. Son visage rasé de près et tanné, ses cheveux clairs et fins, ses yeux d'un gris foncé parlaient en sa faveur. Son regard comme son nez avaient quelque chose d'asiatique. Sa bouche était mince et dure. (...) En Michel Avatin, j'avais trouvé l'une des plus extraordinaires figures de l'Apparat souterrain du Komintern."

Cet extrait est tiré (page 141) du récit autobiographique écrit par Jan Valtin, un agitateur professionnel ayant fait le coup de main un peu partout en Europe et coordonné la propagande révolutionnaire avant de connaître, à son tour, les purges staliniennes.
Ce livre, Sans patrie ni frontières (894 pages tout de même, en format poche, parues chez Babel en 1997), est passionnant de bout en bout, en dépit de petites longueurs. On y croise réfugiés et prisonniers politiques, armateurs véreux, militants opportunistes ou droits dans leurs bottes, faux diplomates et vrais espions, passagers clandestins, jeunes femmes exaltées, tortionnaires nazis ou de la Guépéou... On se rend de Berlin à Shangaï, d'Anvers à San Francisco, de Londres à la presqu'île de Kola (la description de Mourmansk est apocalyptique) en passant par le cap Nord.
Dans les arcanes de l'appareil révolutionnaire bolchevique, décortiquées par Valtin (Richard Julius Herman Krebs dans le civil), les complots s'organisent à l'échelle planétaire, les fidélités sont soumises à rude épreuve, la disgrâce guette le franc-tireur (mais pas le tire-au-flanc pour peu qu'il soit bien en cour). Une fois entre les mains de la Gestapo, l'auteur sauva sa peau en acceptant (sur les ordres du Komintern, assure-t-il) de jouer l'agent double.
Qu'on soit d'accord ou non avec l'orientation idéologique de l'auteur (photo), Sans patrie ni fron-tière est un grand livre d'aventure qui traverse l'entre-deux-guerres. Un captivant récit de voyage aussi, qui aurait pu valoir à son auteur de figurer dans la revue Reportage, que publie Initiales, un groupement français de libraires indépendants. Il est vrai que Jan Valtin, acteur de l'histoire qu'il décrit, n'a rédigé son récit (publié en 1940 aux Etats-Unis, où il termina sa vie) qu'a posteriori et non dans le feu de l'action, comme la plupart des écrivains et/ou journalistes sélectionnés dans cette revue (expédiée à Riga par une bonne âme que je remercie).
Là, 118 pages durant, on croise plusieurs générations d'auteurs. Albert Londres, Blaise Cendrars, Gaston Leroux, Pierre Mac Orlan, Joseph Kessel pour les plus anciens. Bao Ninh, Jean Hatzfeld, Andrzej Stasiuk, Anna Politovskaïa, Roberto Saviano pour les plus contemporains. Les concepteurs de la revue ont demandé à autant d'écrivains et journalistes (eux tous bien vivants) de présenter chacun(e) l'auteur(e) de leur choix.
Emmanuel Carrère y parle de Truman Capote et de sa théorie du roman documentaire. Mathieu Enard apostrophe "l'ami Jef" (Kessel) pour lui raconter où il l'a suivi, croisé et retrouvé. Leïla Sebbar proclame son amour pour Annemarie Schwarzenbach. Je ne vais pas tous les nommer, pour laisser intact le plaisir de la découverte de ces tandems-confrontations amicales.
En lisant le texte consacré à Andrée Viollis (1870-1950), j'imagine une rencontre entre cette journaliste engagée contre le colonialisme et le fascisme et Jan Valtin. Après tout, elle aurait pu avoir lieu: l'un et l'autre (plus brièvement) ont arpenté la Russie de l'après 1917. Dix ans après la révolution, Andrée Viollis "estime qu'il est temps de voir quels fruits ont poussé sous l'arbre bolchevique", écrit Piotr Smolar dans Reportage. Si "elle n'est pas dupe (...), elle garde une sorte de réserve dans la critique, une empathie culturelle très puissante et parfois ambiguë".
Jan Valtin, lui aussi, sentait bien à l'époque que quelque chose ne tournait pas rond dans le nouveau monde construit sur les ruines du tsarisme. C'est du moins l'image qu'il veut nous donner de lui dans la reconstruction littéraire de sa vie, celle d'un militant longtemps convaincu, malgré tout, de mener le "juste" combat. A la différence d'Andrée Viollis toutefois, il prit ses distances vis-à-vis des dérives et pratiques expéditives de Moscou, et ce avant la fin des années 1930. Après coup (c'est facile à dire aujourd'hui, je l'admets), il n'en apparaît que plus lucide.

mardi 11 mai 2010

Elle est loin, la voiture de mon père

Certains "sont" Renault, d'autres "sont" Mercedes ou Alfa-Roméo. Nous, dans la famille, nous avons toujours été Volvo. C'était comme ça. Du moins jusqu'où remontent mes souvenirs fiables (auparavant, il y avait eu quelques Peugeot mais je les visualise mal).
Ce choix automobile, mon père l'avait mûrement réfléchi. "Le point fort de Volvo, c'est la sécurité", nous disait-il au volant de sa 240 ou de sa 760. Et nous, nous l'écoutions avec la certitude qu'il savait de quoi il en retournait, lui qui n'avait jamais eu d'accident de la route, hormis une malheureuse rencontre avec une biche surgi des bois.
Et il est vrai que les tanks Volvo, avec leurs pare-chocs rembourrés et leur capots interminables, paraissaient armés pour résister à tous les carambolages. Le constructeur suédois en avait fait son argument de vente n°1. Les journaux spécialisés le relayaient volontiers sur le mode "voiture un peu lourde et tristounette mais ô combien sûre et résistante". A l'image du jeu de Björn Borg, que j'admirais contre toute logique (celui de McEnroe ou de Connors était tout de même plus flamboyant!).
De quoi séduire les pères de famille responsables comme le mien qui, de plus, j'en suis sûr, éprouvait un certain plaisir à acheter suédois, en souvenir de deux périples de jeunesse entrepris au pays des belles blondes à la fin des années 1940.
Tout cela, c'était avant les déconvenues qui ont brouillé l'image de Volvo.
Il y eut d'abord le mariage avec Renault, partenaire "peu fiable" raillé en Suède par les médias et l'opinion publique. Cet amour couvé d'un peu trop près par le ministère français de l'industrie ne dura qu'un été, ou à peine plus.
Puis il y eut le rachat de Volvo par le géant Ford. Soit la fin du rêve automobile suédois, d'autant que Saab, elle, était passée sous la coupe de General Motors. Mais bon, les Etats-Unis, on aime bien en Suède, on admire même. Alors, se disait-on, autant tomber dans l'escarcelle de l'oncle Sam plutôt que dans le panier percé d'Astérix.
Hélas, même les Américains ne tiennent pas nécessairement parole. Aussi Ford, en pleine déconfiture, décida-t-elle de se délester de la marque suédoise. Laquelle vient d'être rachetée, signe des temps, par un constructeur... chinois, bien sûr.
Dans quel état Ford a-t-elle laissé Volvo à Geely, son nouveau propriétaire? La fierté de mon père est-elle encore digne d'une réputation que, malgré ces bouleversements, des ingénieurs suédois s'échinent à perpétrer?
La réponse est oui, à en croire la campagne publicitaire imaginée par la firme de Göteborg pour lancer une nouvelle version de son modèle S60. Laquelle campagne devrait mettre l'accent non pas sur le conducteur, mais sur le piéton. Tiens, c'est original pour une voiture.
"Nous sommes les premiers au monde à sortir une voiture dotée d'yeux et qui freine dès qu'elle perçoit un risque de collision avec un piéton, racontait en mars le porte-parole du groupe, Bo Larsen, cité par la revue Résumé (texte en suédois). C'est une fonction importante qui participe de notre objectif: en 2020, plus personne ne sera tué dans ou par une Volvo."
Voilà qui part d'un bon sentiment! Mon père, s'il pouvait encore conduire, aurait apprécié.
La presse internationale fut donc conviée, le 6 mai, pour assister au petit miracle de la S60: la détection automatique de piétons ou d'obstacles, permettant à une voiture roulant à 35 km/h de piler à temps, sans même que le conducteur n'appuie sur les freins. Et voilà le résultat:



Avouez que ce n'est pas de chance. Volvo assure que les précédents tests réalisés par dizaines sur ce modèle de pré-série avaient donné satisfaction. A priori, on veut bien la croire, sinon elle n'aurait pas invité 120 journalistes spécialisés pour l'occasion. Gageons que cette erreur de jeunesse sera corrigée. Mais je ne peux m'empêcher, pour la route, de vous proposer une dernière vidéo, un peu plus explicative (en suédois), sur les tenants et les emboutissants de cette affaire...

mardi 4 mai 2010

Anniversaire cacophonique en Lettonie

Rouge et blanc obligatoires, impossible d'y échapper en Lettonie en ce début mai. Les couleurs nationales sont de mise pour commémorer la restauration de l'indépendance du pays, il y a 20 ans. Petit rappel: le 4 mai 1990 à Riga, 138 députés du Soviet suprême local effacèrent d'un vote l'appartenance de la Lettonie à l'URSS et décidèrent de la restauration, après une période provisoire, de la république fondée en 1918 (texte intégral ici).
Impossible aussi, ces derniers jours, d'échapper aux images d'archives à la télévision ni aux témoignages, parfois poignants, de ceux qui ont écrit cette page d'histoire. Ni aux clips louant la liberté et l'indépendance, tournés pour cet anniversaire. Ni aux chansons folklo-patriotiques diffusées en boucle ou presque, à la radio ou sur la télé publique, entre deux publicités pour un hâche-légumes ou pour la compagnie airBaltic, qui invite les Lettons à voler à son bord pour grossir les rangs de ceux partis travailler à l'étranger.
Etranges "célébrations" que celles qui se sont déroulées aujourd'hui à Riga. Alors que tout le gratin, réuni à l'Opéra, se gorgeait de belles déclamations sur les bienfaits de l'indépendance et vantait l'esprit entrepreneur du pays, l'avion pour Stockholm à bord duquel je voyageais était plein de Lettons aux mains et au cou épais, en route vers un avenir (peut-être) meilleur.
Alors que le président de la Saeima, par exemple, promettait de ne surtout pas oublier les retraités en cette période de marasme (ça sent la campagne électorale...), certains d'entre eux, sébile en main, quémandaient du regard quelques pièces cuivrées auprès de touristes étrangers de retour, avec le printemps, dans le vieux Riga.