"Nous prîmes du café, du pain et du boeuf froid."
Tiens, ça commence comme un petit-déjeuner letton. Et pourtant la scène se déroule à bord d'un cargo accosté à Hambourg dans les années 1920.
Reprenons.
"Nous prîmes du café, du pain et du boeuf froid. Je compris vite que le nouveau venu était un communiste d'envergure. Il se nommait Michel Avatin; c'était un Letton: l'ancien organisateur maritime du Parti communiste de Riga. Il était allé en Russie et avait travaillé pour le Komintern en Angleterre. Il se faisait appeler maintenant Lambert et avait un passeport britannique en bonne et due forme à ce nom-là qu'il me remit en garde durant la durée du voyage. Manifestement, il n'était point de souche prolétarienne. Il donnait plutôt l'impression de descendre d'une famille d'officiers, ou d'avoir été lui-même un cadet ou un aspirant de marine. Il avait l'air tranquille et sûr de soi. Il s'y connaissait en bateaux. Ses mouvements étaient rapides, et il ne manquait pas d'une certaine allure. Son visage rasé de près et tanné, ses cheveux clairs et fins, ses yeux d'un gris foncé parlaient en sa faveur. Son regard comme son nez avaient quelque chose d'asiatique. Sa bouche était mince et dure. (...) En Michel Avatin, j'avais trouvé l'une des plus extraordinaires figures de l'Apparat souterrain du Komintern."
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Ce livre, Sans patrie ni frontières (894 pages tout de même, en format poche, parues chez Babel en 1997), est passionnant de bout en bout, en dépit de petites longueurs. On y croise réfugiés et prisonniers politiques, armateurs véreux, militants opportunistes ou droits dans leurs bottes, faux diplomates et vrais espions, passagers clandestins, jeunes femmes exaltées, tortionnaires nazis ou de la Guépéou... On se rend de Berlin à Shangaï, d'Anvers à San Francisco, de Londres à la presqu'île de Kola (la description de Mourmansk est apocalyptique) en passant par le cap Nord.
Dans les arcanes de l'appareil révolutionnaire bolchevique, décortiquées par Valtin (Richard Julius Herman Krebs dans le civil), les complots s'organisent à l'échelle planétaire, les fidélités sont soumises à rude épreuve, la disgrâce guette le franc-tireur (mais pas le tire-au-flanc pour peu qu'il soit bien en cour). Une fois entre les mains de la Gestapo, l'auteur sauva sa peau en acceptant (sur les ordres du Komintern, assure-t-il) de jouer l'agent double.
Qu'on soit d'accord ou non avec l'orientation idéologique de l'auteur (photo), Sans patrie ni fron-
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Là, 118 pages durant, on croise plusieurs générations d'auteurs. Albert Londres, Blaise Cendrars, Gaston Leroux, Pierre Mac Orlan, Joseph Kessel pour les plus anciens. Bao Ninh, Jean Hatzfeld, Andrzej Stasiuk, Anna Poli
Emmanuel Carrère y parle de Truman Capote et de sa théorie du roman documentaire. Mathieu Enard apostrophe "l'ami Jef" (Kessel) pour lui raconter où il l'a suivi, croisé et retrouvé. Leïla Sebbar proclame son amour pour Annemarie Schwarzenbach. Je ne vais pas tous les nommer, pour laisser intact le plaisir de la découverte de ces tandems-confrontations amicales.
En lisant le texte consacré à Andrée Viollis (1870-1950), j'imagine une rencontre entre cette journaliste engagée contre le colonialisme et le fascisme et Jan Valtin. Après tout, elle aurait pu avoir lieu: l'un et l'autre (plus brièvement) ont arpenté la R
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Jan Valtin, lui aussi, sentait bien à l'époque que quelque chose ne tournait pas rond dans le nouveau monde construit sur les ruines du tsarisme. C'est du moins l'image qu'il veut nous donner de lui dans la reconstruction littéraire de sa vie, celle d'un militant longtemps convaincu, malgré tout, de mener le "juste" combat. A la différence d'Andrée Viollis toutefois, il prit ses distances vis-à-vis des dérives et pratiques expéditives de Moscou, et ce avant la fin des années 1930. Après coup (c'est facile à dire aujourd'hui, je l'admets), il n'en apparaît que plus lucide.
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