Une petite fille avait un lapin. Elle habitait en ville, dans un appartement, avec sa mère. Et le lapin donc, depuis qu'une connaissance le lui avait donné pour son anniversaire. Né à la campagne, l'animal dodu eut un peu de mal à se faire à la vie urbaine. Mais choyé par la petite fille, il finit par prendre goût à sa caisse en plastique tapissée de feuilles de salade. Les carottes qu'elle lui donnait avait presque la même saveur que celles sur lesquelles il fit ses dents. La petite fille allait les chercher au grand marché spécialement pour lui.
Un jour, le lapin tomba malade. Sans doute avait-il le mal du pays. La petite fille, elle, mit son manque d'appétit sur le compte d'une émission qu'ils avaient regardée ensemble à la télévision. A travers le grillage de sa cage, le lapin avait entrevu une belle lapine, héroïne d'un dessin animé. La maman, un moment amusée, assura à sa fille qu'un lapin ne pouvait pas voir la télé et que si son petit cœur battait, ce ne saurait être pour une lapine.
La petite fille n'y crut pas une minute. Pour consoler son lapin, elle continua à lui parler de la princesse lapine, tout en guettant son prochain passage à la télé. Celui-ci tarda et le lapin d'amour mourut.
Drame dans l'appartement. La fille était bouleversée. Sa tristesse prit la maman de court. Comment lui faire oublier? Elle dit à sa fille qu'elles ramèneraient le lapin à la campagne pour qu'il repose là où il était né, entouré des siens. Avec sa maman et son papa? Oui, avec sa maman et son papa. On lui creusera une petite tombe rien que pour lui, surmontée de deux grosses carottes entrecroisées.
La petite fille réfléchit, sécha ses larmes et partit dans sa chambre, pendant que la maman puisait dans un bocal les pièces de monnaie qu'il faudrait dépenser pour le voyage.
Le lendemain, on sortit de l'appartement, en direction de la gare routière, où attendaient les bus en partance pour la campagne. La maman avait installé délicatement le lapin dans un sac en skaï vert. Le fond du sac avait été garni de la plus fraîche des salades trouvée au marché le matin même. La fermeture était restée en partie ouverte, pour laisser passer un peu d'air.
En remontant la rue qui menait à la gare routière, la mère et la fille, main dans la main, se heurtèrent à un gros monsieur pressé. Qui arracha le sac en skaï de l'autre main de la maman et s'enfuit en courant. Après l'avoir vu disparaître au coin de la rue, la petite fille, d'abord sans voix, se mit à hurler. Des passants firent mine de ne pas voir la scène. Agenouillée à ses côtés, la maman prit sa fille dans ses bras. Après avoir susurré bien des mots inutiles, elle fut prise d'une inspiration. Ne pleure pas, tu vois, ce monsieur qui a pris notre sac, c'est un bon ange. Il s'occupera encore mieux de notre lapin que nous et l'emmènera directement au paradis.
N. B.: librement adapté d'un fait divers raconté ces jours-ci à la télévision lettone.
La photo de la salade a été broutée sur ce blog, merci à lui.
Pour l'anecdote, il s'agit du 100ème billet posté sur Nordiques & Baltes.
elle est terrible, cette histoire ! Je plains cette maman...
RépondreSupprimerConsoler son enfant stimule l'imagination!
RépondreSupprimerJe n'irais pas jusqu'à plaindre le voleur de sac, mais j'imagine sa tête au moment de découvrir le butin qu'il vient de rafler...
Belle histoire.
RépondreSupprimerFaut-il raconter des histoires aux enfants ? Ou bien toujours ne leur dire que la vérité sur la vie et la mort ?
Oui Bruno, telle est la question. Embellir un peu la réalité ne peut pas faire de mal dans les premiers années. Ensuite, il me semble qu'on peut aider un enfant à comprendre, même s'il a déjà senti ou deviné certaines choses...
RépondreSupprimer@Antoine
RépondreSupprimer"...Je n'irais pas jusqu'à plaindre le voleur de sac, mais j'imagine sa tête au moment de découvrir le butin qu'il vient de rafler..."
Peut-être bien que non, justement : le lapin et la salade, ça se mange !
Cynisme sponsorisé par l'Union des Banques Lettones
Oui Philippe, un cadavre de lapin encore tiède, garni d'une belle salade, est sans doute plus intéressant pour un chapardeur (letton ou non) qu'un porte-monnaie quasi-vide et trois pelotes de laine. Question: un lapin mort transi d'amour est-il meilleur en gibelotte ou en civet?
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