Ainsi les Vrais Finlandais devraient faire une percée aux élections législatives de ce dimanche.
Encore un parti politique qui joue sur la peur de l'autre, sur les angoisses face aux changements, sur le penchant naturel à l'égoïsme et l'autodéfense, sur la lassitude à l'égard des contradictions de l'Union européenne, etc.
Encore un leader, Timo Soini (pris en photo le 12 avril), qui a l'art, par quelques formules choc, de simplifier les choses face à une réalité nécessairement complexe, car qui peut nier que le monde est complexe?
Lors de mon séjour à Helsinki, cette semaine, pour raconter le phénomène des Vrais Finlandais dans le journal La Croix, j'ai repensé au dernier roman en date d'un auteur du cru, Kari Hotakainen, qui mériterait d'être plus connu des lecteurs francophones. La Part de l'homme a été publié en 2009 en Finlande (sous le titre Ihmisen osa), où il a reçu le prix Runeberg, et est paru en février en France (aux éditions JC Lattès, dans une traduction signée Anne Colin du Terrail). J'ai repensé à ce livre, parce qu'il donne quelques clés pour mieux comprendre pourquoi près d'un cinquième de l'électorat finlandais est assez perdu pour envisager de voter pour une formation très poujado-démagogue.
Kari Hotakainen sait se glisser dans la peau de ses personnages pour se faire l'interprète de leurs interrogations, leurs doutes ou leurs obsessions. "J’écris des sortes de monologues et soudain, je me trouve dans le cerveau, ou dans les tripes, d’un personnage… Il en découle un flux de mots", m'avait-il dit lors d'un entretien, en janvier dernier à Helsinki.
Au travers de ces personnages, l'écrivain brosse le tableau d'une société finlandaise déroutée par les changements rapides dont elle est le théâtre depuis quelques décennies.
Il en va notamment de l'arrivée d'immigrants, phénomène encore récent dans ce pays. "Il y a 25 ans, s'est souvenu Kari Hotakainen lors de notre rencontre, quand je suis arrivé de ma campagne pour m'installer à Helsinki, on ne croisait pas encore de Noirs dans les rues. Je me souviens avoir été marqué par une visite à ma soeur, qui vivait en Suède. Dans son immeuble, à Uppsala, il y avait des gens de sept nationalités différentes. C'était quelque chose de très nouveau pour moi. La Finlande était encore une île au milieu de l'océan."
S'il estime l'immigration "positive" pour son pays, l'écrivain a voulu, dans son roman, donner le pour et le contre, "décrire les parts d'ombre et de lumière". C'est ainsi que l'un des personnages principaux, Salme Malmikunnas, mercière à la retraite vivant dans une bourgade éloignée de la capitale, confie au petit ami noir d'une de ses filles que "la Finlande n'est pas prête" pour lui.
Voici l'extrait en question:
"Nous n'avions pas eu beaucoup l'occasion, dans ce pays, de pratiquer les échanges internationaux, parce qu'une génération avait consacré sa jeunesse à la guerre et la suivante à s'en remettre (...) Ce pays n'est pas achevé, lui ai-je dit, malgré tous les efforts faits pour le construire. Il n'est pas prêt, surtout pour quelqu'un de ta couleur, car il l'est à peine pour nous, qui sommes gris. Tu vas devoir à t'habituer à beaucoup de choses."
Ailleurs, Salme réfléchit à l'évolution en cours:
"A l'époque, il y avait du travail pour tous ceux qui en voulaient. Puis le monde a changé et avec Paavo nous n'y avons plus rien compris.(...) Paavo et moi appartenons à un autre monde. Ce n'est pas que nous soyons contre le changement, mais il faut bien dire que nous sommes complètement largués. Et c'est très bien ainsi, inutile de s'accrocher quand la comprenette ne suit pas. L'essentiel est que les enfants restent dans la course au moins jusqu'au prochain virage."
Ce que Salme et son mari Paavo ne savent pas, ou ne veulent pas savoir, c'est que leurs rejetons, eux aussi, sont "largués". C'est le cas de leur fils Pekka, qu'ils croient être en train de mener une honnête carrière dans le commerce, à leur image. En réalité, Pekka est un paumé qui hante les cérémonies d'enterrement pour manger des plats chauds ou qui, pour mendier, se déguise en SDF péruvien jouant El Condor Pasa à la flute de Pan.
Etat d'âme:
"Il se considérait comme le premier immigré de souche, et son sort était de ce fait plus dur encore que celui des arrivants habituels, accueillis pour la plupart avec bienveillance par les autorités en raison des guerres civiles faisant rage dans leur patrie. (...) Pekka soutenait que son pays natal était devenu en dix ans si différent et insolite que même un autochtone pouvait s'y sentir étranger. (...) Chaque fois qu'il abordait ces questions, Pekka était contraint de préciser qu'il n'avait rien contre les immigrés, il se sentait simplement semblable à eux. Moins l'avantage de l'exotisme. Il avait air plus finlandais que nature et ne pouvait donc pas compter sur les sentiments maternels ou paternels des personnes pleines d'empathie."
Kari Hotakainen campe aussi un très convaincant salopard, Kimmo Hienlahti, un de ces nouveaux riches tels que la Finlande en a produits à partir des années 1980. Kimmo le beau parleur issu d'un milieu rural très modeste, dont le bagout lui a permis de faire fortune dans ce pays de taiseux. Voici quelques scènes où il est à l'oeuvre:
... à propos d'ouvriers estoniens qui lui ont refait son jardin:
"Il les avait payés au noir huit euros de l'heure et, une fois le travail fini, leur avait offert deux bouteilles d'alcool qu'ils avaient refusées en lui demandant à la place un euro de plus de l'heure. Cracher sur la boisson et réclamer plus d'argent! On voyait à quel point le monde avait changé."
... ou au hasard d'une rencontre dans Helsinki:
"Une bande de jeunes crève-la-faim s'avança à sa rencontre, chaloupant sur toute la largeur de la rue. (...) Je vous comprends, vous êtes jeunes, tout juste sortis de l'école et déjà au chômage, je suis conscient que vos gestes et attitudes n'ont pas pour but de me blesser personnellement (...) Même si je vous comprends, il m'est impossible de masquer mon mépris, dû au fait que j'ai pour ma part gagné de mes mains mon argent, dont un tiers sert à subvenir aux besoins de gens de votre espèce."
Un jour, Kimmo décide, une fois n'est pas coutume, de prendre le bus:
"Le chauffeur de bus était noir (...) En réponse à son regard interrogateur, il lui annonça en mauvais finnois la somme, deux vingt. Kimmo n'avait que des billets de cent euros, dont il tendit le moins froissé au chauffeur. Ce dernier soupira et secoua la tête. Moi aussi je peux secouer la tête en soupirant, songea Kimmo, et te dire en bon finnois ce que je pense de la mondialisation que j'ai un jour soutenue avant de changer d'avis. Si j'avais su qu'en pratique elle était synonyme de liberté pour tout et pour tous, je m'y serais opposé."
Plus loin, ledit chauffeur noir, qui n'est autre que le gendre de Salme l'ancienne mercière, se rebelle mentalement contre un passager désagréable avec lui:
"Si ça peut te consoler, je peux te dire que moi aussi je suis raciste. Je trouve les Finlandais simples d'esprit. Par devant, vous vous aplatissez, mais par derrière vous ronchonnez. (...) Oui. Je vous considère comme une race inférieure. Mais je vous respecte parce que vous avez survécu seuls, dans ce froid sidérant. Vous n'avez pu trouver d'appui nulle part, avec l'ours russe à vos frontières. Je ne parle même pas de la Suède, ce n'est pas un pays mais une base de loisirs."
Contrairement à l'impression que peuvent donner ces citations, La Part de l'homme n'est pas dénué d'humour, loin de là. Les scènes initiales, cocasses, campent un écrivain qui, parce qu’il "n’a pas de vie", convainc une retraitée a priori son histoire - Salme Malmikunnas - de lui livrer la sienne, moyennant 7 000 euros. "Dans cette femme qui 'n'aime pas les livres inventés', m'a raconté Kari Hotakainen, j’ai mis beaucoup de mes parents, des gens simples et directs qui, comme elle, tenaient une boutique dans une petite ville, loin de Helsinki."
Le roman dessine un univers où, finalement, les plus âgés ne s’avèrent pas les plus déboussolés face au "progrès". Et où les "méchants", aussi nantis soient-ils, peuvent y laisser des plumes... "Je suis obsédé par l’idée de vengeance", concède Kari Hotakainen, qui a vu Taxi Driver, le film de Martin Scorsese, "plus de dix fois" dans ses jeunes années. Mais point de violence gratuite chez ce romancier (dont son Rue de la tranchée, prix Finlandia 2002 puis du Conseil nordique, a aussi été traduit en français). Grand amateur de Buster Keaton, dont il a écrit une biographie fictive, il préfère manier les ressorts du burlesque doux-amer. On est loin de l'artillerie lourde déployée par Timo Soini, le chef des Vrais Finlandais.
NB (le 19 avril 2011): les Vrais Finlandais ont obtenu 19% des voix (contre 4,1% aux précédentes législatives de 2007) et seront, sauf imprévu, invités aux pourparlers en vue de la formation d'une coalition gouvernementale. Les résultats complets sont disponibles ici (en suédois).
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