lundi 6 juin 2011

Tintin en Baltonie: on marche sur la tête

- La prochaine fois que tu me survends une histoire, je te vire!

Jamais encore Tintin n'avait entendu son rédacteur-en-chef le tutoyer. Dans le taxi qui l'emmène à l'aéroport, il repense à cette conversation, désagréable il faut bien le dire, avec son supérieur qui, décidément, ne comprend rien à rien.

Tout avait pourtant commencé de manière courtoise:

- Alors, mon cher Tintin, content de vous entendre. Qu'est-ce que vous nous ramenez de beau?

- Eh bien, comment dire, j'ai quelques pistes prometteuses...

- Des pistes prometteuses? Ah ah, j’aime votre humour! Dites moi donc ce que vous avez trouvé de croquignolet…

- C’est-à-dire que je suis encore en train de creuser...

- De creuser? Soyez plus précis, je vous prie.

- Eh bien, je prépare un portrait du nouveau président balton, qui...

- Comment ça, le "nouveau" président? Mais vous m'aviez dit que le sortant - comment s'appelle-t-il déjà? Euh… oui, monsieur Z! - vous m’aviez dit qu’il allait être réélu!

- Non, pas du tout, j'avais simplement émis l'hypothèse que son coup de poker, la procédure de dissolution du parlement, pourrait inciter les députés à le reconduire pour quatre ans, plutôt que d'apparaître comme des moutons peureux aux ordres des oligarques...

- Et donc, si je vous entends bien, vous vous êtes trompé!

- Disons qu'en avançant cette hypothèse, j'ai peut-être pris mes désirs pour des réalités...

- Dites donc, Tintin, on ne vous paye pas une semaine d'enquête en Baltonie pour "avancer des hypothèses", surtout si c'est pour vous planter! Vous allez me faire le plaisir de boucler vos valises et de revenir illico au journal, on a besoin de vous aux chiens écrasés!

Tintin sursauta. Comme d’habitude il avait été maladroit au téléphone (pourquoi une telle franchise?). Mais c'est la 1e fois que son rédac' chef le menaçait d'un retour à la case zéro. Notre reporter avait commencé comme simple localier dans les pages régionales de son journal.

- Attendez chef, j'ai plein de choses à raconter! Même si monsieur Z n'a pas été réélu, il y a un début de prise de conscience dans la population baltonne. Les gens, et notamment les jeunes, commencent à comprendre que seule une mobilisation collective permettra de réduire l'influence des oligarques! Et d'ailleurs, l'affaire n'est pas finie. Il y aura sans doute des nouvelles élections législatives à la rentrée, et là...

- Là quoi? Vous êtes en train de me dire que vos copains baltons vont se mettre à faire la révolution, comme ça, du jour au lendemain!? Et puis quoi encore... Ils m'ont plutôt l'air d'être de sacrées carpettes, oui! En tous cas, ne comptez pas sur moi pour publier une seule ligne sur le thème du "début d'une prise de cons- cience". C'est du foutage de gueule intégral, Tintin! D'ailleurs, c'est bien simple, la prochaine fois que tu me sur- vends une histoire comme ça, je te vire!

Tintin avait encore à l'oreille le bip-bip-bip stressant de la communication interrompue. Le chef lui avait raccroché au nez. Même au plus bas de l'affaire des bijoux de la Castafiore, il n'avait pas réagi de manière aussi virulente. Bigre, il allait falloir ramer sec pour éviter d'être muté à l'agence du canard à Moulinsart.

* * *

Comment faire? Tintin regardait le paysage - entrepôts, concessionnaires automobiles, supermarchés, stations-service - défiler dans le taxi qui le conduisait à l'aéroport. Avait-il été trahi par son enthousiasme naturel, qui d'ordinaire faisait sa force? S'était-il fait bourrer le mou par des sources trop partisanes? Plus tard, il lui faudrait reprendre ses notes pour voir s'il n'avait pas surinterprété telle ou telle déclaration.

Pourtant, non, il n'avait pas l'impression d'être tombé dans un quelconque panneau. Si ledit monsieur Z n'avait pas été réélu, ce n'était pas parce que son diagnostic était faux, bien au contraire. Sa défaite était la manifestation éclatante du phénomène qu'il avait touché du doigt juste avant l'élection: l'omnipotence des oligarques en Baltonie. Ces messieurs avaient réussi à l'écarter, lui, le pion choisi en 2007 pour sa docilité et devenu, tout d'un coup, trop gênant.

Et qui donc va succéder à monsieur Z à la présidence? Un certain monsieur Petitbouleau, ancien cadre du Parti communiste local (du temps où, déjà, Tintin - cet éternel gamin - s’était rendu au Pays des Soviets). Le bougre était ensuite devenu président d'une banque avant d’investir dans la terre. Son expérience politique récente se limite à celle de député, lui qui a été élu l'an dernier sous les couleurs d'un parti financé par M. Lambert (monsieur L), le plus influent des oligarques baltons. Lequel parti siège au gouvernement avec celui du premier ministre...

Pourquoi diable n'ai-je pas dit ça à mon rédac' chef, au lieu de me perdre dans des explications vaseuses? Ca m'aurait évité des ennuis, soupire Tintin, alors que l'aéroport approche.

Mais le plus embêtant, songe-t-il, ce n'est pas tant mon sort personnel, c'est celui d'un petit pays finalement assez attachant dont les principales instances de décision politique - le parlement, le gouvernement et la présidence de la république - sont désormais sous l'influence plus ou moins directe d'un seul et même homme, monsieur L.

* * *


A l'aéroport, notre reporter idéaliste a le pressentiment qu'il reviendra ici plus vite que prévu. Si ce n'est pas pour le compte de son journal, ce sera à titre personnel, avec Milou. Il fait une halte au kiosque à journaux. Et là que voit-il, sur un présentoir? Le gros titre d'un quotidien: "Le dossier criminel engagé contre Monsieur L examiné par un tribunal de Riga".

Tintin se souvient avoir entendu dire qu'en effet, cet oligarque était sous le coup de poursuites judiciaires depuis trois ans pour corruption, blanchiment d'argent acquis illégalement, abus de pouvoir, et que, comme par hasard, la procédure s'éternisait. Les chefs d'accusation, qui visent aussi un de ses enfants, tiendraient à peine en 140 volumes!

Son billet d'avion en main, il se dit que décidément la Baltonie est une étrange contrée. L'oligarque le plus influent de la place peut, tout en étant poursuivi en justice, se permettre de tirer les ficelles à distance depuis son fief éloigné de la capitale baltonne, avoir un pied au gouvernement et faire élire un de ses sbires à la présidence de la république. Excusez du peu.

5 commentaires:

  1. Pour consoler Tintin, mais sans que cela ne tourne à la révolution, une manifestation bon enfant sur le thème "Fête du cimetière des oligarques" est organisée par des Baltons un peu (ne rêvons pas) contestataires. Mercredi 8 juin, 19.00 sur le quai entre le pont à haubans et celui en pierres. http://bnn-news.com/bnn-supports-campaign-oligarchs-28971/

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  2. Tintin m'a dit avoir entendu parler du rendez-vous dont tu parles, Philippe. Hélas, le devoir l'appelle auprès de son irascible rédac' chef.
    Dommage parce qu'il aurait voulu voir si le rassemblement de mercredi sera bien la "tautas akcija" (action populaire) annoncée par cette vidéo: http://www.youtube.com/watch?v=8MW8IVZV6YE - ou si elle n'aura qu'un écho confidentiel...

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  3. cette histoire est encore moins digeste qu'une pizza a l'ananas, faite gaffe, ça laisse des traces

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  4. Comme il est dit dans la vidéo : "Es būšu !"
    Donc je te tiendrai au courant. Mais je ne crois pas trop à une quelconque révolution. Les baltons en ont fait 3 au siècle dernier, cela semble suffire à leur histoire.

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  5. @Mr Claude: as-tu pris l'histoire en cours de route? Si oui, je peux imaginer que ça peut paraître un peu abscons. En revanche, je pense qu'en lisant d'affilée les 3 derniers billets "Tintin en Baltonie", il y a de quoi retrouver les siens. Mais peut-être que je baigne trop dans mon jus d'ananas balton pour prendre la hauteur suffisante. Tâcherai d'y remédier en cas de nouveaux épisodes!
    @Philippe: Es žēl ne būšu, je serai hors LV ce jour-là. J'ai l'impression qu'il y aura pas mal de monde, cette fois-ci, à l'échelle lettonne j'entends. On en reparle.

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