Il n'a pas encore attrapé l'accent britannique, son visage recèle ce je ne sais quoi d'est-européen. Assis sur un banc le long de la Tamise, il raconte son histoire non sans une certaine fierté. La fin des haricots en Lettonie, le départ vers l'Angleterre pour y gagner sa vie, les petits boulots sans pitié, les rivalités entre semi-parias, la quête d'une certaine stabilité dans la précarité, le début d'un statut. Ce quadra, appelons-le Janis par commodité, remonte souvent les mèches châtain qui tombent sur ses yeux rieurs. Il n'est pas fébrile, il semble à l'aise à Londres, où il a commencé à s'assumer.
En Lettonie, Janis ne passait pas pour un aventurier. Il y a laissé le souvenir d'un gars qui avait tendance à se la couler douce au crochet d'une femme plus fortunée que lui, puis d'une autre. Ce dilettante, fort sympathique au demeurant, s'était frotté à la création artistique sans vraiment y croire ni convaincre. Un jour, la bonté féminine s'est tarie. Il a fallu quitter ce cocon finalement plutôt confortable.
Une agence intérimaire dirigée par des Lituaniens peu scrupuleux lui trouve un 1er job hors du grand Londres, dans une usine chimique. Travail de nuit. Puis c'est le découpage et l'emballage d'oignons, pelures, dur labeur en pleurs. Les Lituaniens le remplacent par un de leurs copains. Janis trouve un autre boulot en consultant les petites annonces. Il s'affranchit des cousins baltes. Peu à peu, l'éloignement lui fait perdre sa réserve toute lettone qui l'empêchait d'évoquer ses problèmes. Il trouve une chambre dans une banlieue londonienne, s'enregistre auprès des autorités sociales.
Le jour où je croise Janis au bord de la Tamise, ses mains fines trahissent encore sa condition lettone. Il assure vouloir rentrer au pays un jour, avec une création artistique inspirée directement de son expérience britannique. La nuit, quand la surveillance de l'encadrement se relâchait, il tournait des images avec sa caméra, il se filmait à la chaîne. Il veut en faire une oeuvre. Un moyen comme un autre de réintégrer la Lettonie la tête haute, souhait de milliers et de milliers d'hères partis tenter leur chance en Angleterre. Combien l'exhausseront?
Très joli texte, aussi émouvant que l'histoire de Janis...
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