vendredi 31 décembre 2010

Tere euro!, dit l'Estonie

Who cares? Ce ballet créé par Balanchine sur une musique de Gershwin sera l'un des clous du bal du Nouvel An qui, à l'opéra de Tallinn, marquera la fin de l'année 2010 et l'entrée, au 12e coup de minuit, de l'Estonie dans la zone euro.
Etrange choix, ce Who cares? Non pas sur le plan musical (j'aime bien Gershwin). Mais à cause de la symbolique du titre du ballet, qui sera présenté ce soir juste avant minuit, en présence du gratin politico-mondain d'Estonie et des premiers ministres des trois Etats baltes.
J'ai du mal à croire que ce choix n'ait pas une signification particulière. Mais lequel? Who cares? Qui s'en fout? De qui, de quoi?
J'imagine que, dans la tête des Estoniens ayant sélectionné cette oeuvre, on aimerait bien répondre de la sorte aux commentaires moqueurs et aux élans de surprise que suscite, ici et là, l'entrée de ce pays balte dans une zone monétaire, il est vrai, passablement bousculée...
J'ai relevé quelques titres d'articles sur internet:
- Ils sont fous ces Estoniens!
- L'Estonie s'éloigne de Moscou en adoptant l'euro au pire moment
- Welcome, Estonia, to flawed euroland

* * *

J'admets que, vu de loin, cette adhésion estonienne à la zone euro peut paraître à contre-temps (euphémisme) ou suicidaire (exagération). J'ai essayé, dans un article publié ce matin par La Croix, d'expliquer et de mettre en perspective le ralliement de l'Estonie. A chacun de se faire son opinion.


A mon avis, ce pays n'avait guère d'autres choix que de s'arrimer à l'espace monétaire européen. Une devise comme la kroon, la couronne estonienne, peut-elle survivre à terme dans un monde de plus en plus global? Sur quelles bases? Imaginez que l'économie estonienne ne génère que 600 000 emplois. Et le pays a beau se prévaloir d'un bilan étonnant en matière de déficit budgétaire et d'endettement public, celui-ci n'est pas à l'abri de soubresauts venant de l'extérieur. Bien qu'individualiste par caractère, je dois reconnaître que bien souvent, l'union fait la force...
Je comprends aussi fort bien que les Estoniens voient dans cette appartenance à la zone euro une assurance supplémentaire face au grand voisin russe dont on ne sait toujours pas comment il évoluera. C'est là l'une des, si ce n'est LA principale raison qui explique la volonté estonienne de rejoindre le noyau dur de l'UE, en dépit des incertitudes actuelles quant à son avenir.

* * *

Dans le même temps, j'entends bien quelques-uns des arguments des rares militants eurosceptiques estoniens. Celui que j'ai rencontré il y a quelques jours à Tallinn (Anti Poolamets) a tout d'un Zébulon provocateur qui se stimule en débitant à haute voix des rafales d'idées et de formules. Le voici posant devant une des affiches de son cru, assimilant la zone euro au Titanic:


Si j'ai du mal à ne pas tiquer en l'entendant comparer l'euro au rouble soviétique et les eurocrates aux affidés de Vladimir Poutine, je reconnais qu'il n'a pas tort sur d'autres points, même si ses arguments peuvent souvent être contrés.

Oui, le gouvernement estonien tait les aspects négatifs de l'abandon de la devise nationale (mais ça ne veut pas dire qu'il n'en est pas conscient... et puis c'est de bonne guerre, il ne va pas clamer sur tous les toits que le pays s'apprête à monter à bord d'un rafiot en difficulté).

Oui, il n'a pas consulté la population sur cette étape importante (mais l'adhésion à l'euro était prévue par le traité d'adhésion à l'UE), qui plus est à un moment très délicat dans la courte histoire de la monnaie européenne.

Oui, le passage à l'euro peut paraître imposé d'en haut (mais les députés estoniens qui ont approuvé cette décision n'ont-ils pas été élus par le peuple?).

Oui, les Estoniens ont dû, une nouvelle fois, se serrer la ceinture pour que le gouvernement puisse présenter un dossier de candidature acceptable par les membres de la zone euro.

Oui, les billets de banque estoniens sont esthétiquement plus réussis que les euros. Sans parler de la symbolique de l'indépendance qu'ils véhiculent (la kroon a été créée en 1992, juste après la sortie de l'URSS).


* * *

Pour l'instant, des gens comme Anti Poolamets semblent prêcher dans un désert (blanc) d'indifférence ou de lassitude. Dans les bourrasques de neige qui soufflent sur cette contrée, il y a une petite voix qui siffle "puisque la décision est prise et que l'Europe nous ouvre les portes de l'euro, allons-y, on verra plus tard". Depuis des mois, d'ailleurs, les Estoniens s'y préparent sans trop se poser de questions, notamment en affichant les prix des produits en couronnes et en euros, comme à la cafétéria de l'université de Tallinn:


La monnaie européenne est loin d'être la panacée. De toute façon, il n'existe pas de solution magique ni parfaite. Il est donc probable qu'une fois le pays entré dans la zone euro, les arguments eurosceptiques gagneront en popularité parmi les Estoniens. Il sera alors temps d'en reparler.
En attendant, le moment est venu de dire Tere euro!... Salut l'euro!

1 commentaire:

  1. Tout ce débat pseudo politiquo-économique dont les argument frôlent parfois le ridicule est une perte de temps incroyable. Quels sont les avantages du passage à l'euro? Les inconvénients de la perte de la couronne? La couronne étant indexée sur l'euro depuis 2004 (certes avec une petite marge de manœuvre..) le pays avait en quelque sorte déjà l'euro (crédits contractés en euros notamment) sans avoir la monnaie physique. C'est donc une évolution naturelle.
    Le débat porterait plutôt, comme vous le soulignez d'ailleurs, sur les sacrifices consentis pour arriver où nous en sommes aujourd'hui...

    RépondreSupprimer