La dernière livraison en date de documents confidentiels américains publiés par WikiLeaks - du moins ce que l'on en sait - nous apporte des éléments beaucoup plus intéressants dans une perspective nordique. C'est de cela dont je veux parler aujourd'hui. Les télégrammes des ambassades des Etats-Unis à Oslo et à Stockholm, rendu publics par le site honni par Washington et pas mal d'autres capitales, lèvent un coin de voile sur le jeu ayant entouré la décision norvégienne d'acquérir des F-35 américains pour remplacer, dans la seconde moitié des années 2010, ses F-16 vieillissants.
Annoncée en novembre 2008, cette décision prise au détriment du JAS Gripen suédois a, vous vous en doutez, une portée qui excède celle d'un simple contrat industriel, même si la somme en jeu n'est pas anecdotique (environ 2 milliards d'euros pour 48 appareils). Car le choix d'Oslo a donné un coup de frein sérieux, au moins de manière temporaire, à l'élan de coopération nordique qui se dessinait en matière de défense. Il a aussi, semble-t-il, douché les espoirs d'une coordination basée sur une vraie confiance mutuelle entre ces pays sur d'autres dossiers. Les bisbilles régionales ne sont pas prêtes de cesser.
Si les idées de Stoltenberg senior devaient avoir une certaine substance, le gouvernement dirigé par son fiston travailliste n'était-il pas "obligé" de commander le JAS Gripen, qui équipe déjà l'armée suédoise? La Norvège était attendue au tournant. D'autant que, comme le serinait Saab (son maître d'oeuvre), l'appareil suédois avait déjà ses preuves: il a été commandé, entre autres, par l'Afrique du Sud et la
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C'était sans compter avec quelques paramètres qui ont fait la différence:
* Le prix des avions n'est pas l'élément le plus décisif pour un pays devenu très riche grâce au pétrole.
* La proximité géographique, culturelle, linguistique, historique, etc. n'est pas un argument suffisant pour vendre un avion de guerre.
* Les vieux liens entre Oslo et Washington, tissés de longue date et particulièrement durant la Guerre froide, ne sont pas aussi distendus que ne l'espéraient les Suédois (eux aussi très proches des Américains, en dépit d'une non-appartenance à l'Otan). Certes, le gouvernement en poste depuis 2005 est une coalition de centre gauche censée être moins proaméricaine qu'une alternative de centre droite, mais dès lors que les intérêts géopolitiques du royaume sont en jeu...
* Un pays membre de l'Alliance atlantique a tendance à acheter du matériel "compatible Otan", donc construit par un autre Etat membre. Un atout pour le F-35 même si une bonne partie des pièces du JAS Gripen sont en fait d'origine américaine.
* Les Suédois ont pris leurs désirs pour des réalités.
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Que nous apprennent les documents américains publiés désormais grâce à WikiLeaks?
A en croire les télégrammes des ambassades à Oslo et à Stockholm, dont le quotidien suédois Aftonbladet a publié des extraits dans son édition du 3 décembre, le gouvernement norvégien a nettement moins tergiversé qu'il ne l'a laissé entendre aux Suédois. On découvre notamment que, dès le 23 octobre 2008, alors qu'Oslo affirmait publiquement encore évaluer le dossier JAS Gripen, le secrétaire d'Etat à la défense (Espen Barth Eide) a "donné tous les signaux selon lesquels le F-35 serait choisi", lors d'une rencontre avec un général américain (Roger Brady). Le lendemain même, c'était au tour du ministre des affaires étrangères (Jonas Gahr Støre) de confier à l'ambassadeur américain (Benson Whitney) que "si nous ne faisons pas d'erreur, tout ira bien". Ce n'était pourtant pas gagné d'avance, étant donné la publicité négative dont avait initialement souffert le F-35.
Le 20 novembre 2008, quelques heures après que le ministre suédois de la défense (Sten Tolgfors) se fut exprimé de manière optimiste quant aux chances du JAS Gripen, le choix de son rival américain était annoncé officiellement par le gouvernement d'Oslo.
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Et pour être sûre de bien savonner la planche suédoise, l'ambassade américaine à Stockholm avait, en juillet 2008, plaidé en faveur (et obtenu) le report très opportun d'une décision de Washington quant à la vente d'un système radar made in USA dont les Suédois voulaient doter leur JAS Gripen. Pas de décision sur le radar américain? Il était donc encore moins intéressant pour les Norvégiens d'acheter l'avion suédois!
Ce petit déballage proposé par WikiLeaks n'est pas une surprise pour les experts militaires. La vente d'armes n'a jamais été une affaire de saints (Saab en sait quelque chose, lui qui a été soupçonné d'avoir - avec son ex-partenaire britannique BAE Systems - versé des pots-de-vin pour la vente du même Gripen, comme évoqué ici ou là). Mais voir des détails du genre passer de l'état de simples suppositions/rumeurs à celui d'informations étayées par des documents confidentiels (non-démentis par les autorités américaines) n'est pas le moindre intérêt des fuites organisées par WikiLeaks, quelles que soient les réserves qu'on puisse avoir sur les motivations de cette organisation et sur le bien-fondé de l'hypothétique "transparence totale" dont elle s'est fait l'apôtre.
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