mercredi 27 avril 2011
ROMAN-PHOTO Témoins à la plage
- Dis, je n'en reviens pas de cette mer d'huile. On ne distingue pas l'eau du ciel.
- Génial, eh regarde, je n'ai qu'à me se laisser porter.
- Et moi, mon bec se reflète d'une manière incroyablement nette.
- Tout de même, c'est culotté d'organiser ça par une après-midi aussi tranquille.
- Tu veux dire qu'ils vont le faire là, maintenant, en plein jour?
- Hanhan.
- ...
- Regarde, il arrive.
- Tu es sûr que c'est lui?
- Oui, ils ont dû planquer la marchandise au milieu de la cargaison. Pas original mais efficace: va chercher dans ce tas de bois.
- A ton avis, qui va réceptionner cette fois-ci?
- Observons. Qui est là? Tu vois le couple qui marche, comme si de rien n'était?
- Ca m'étonnerait que ça soit eux.
- Pas évident. Il y a aussi la brune, là-bas, toute seule avec son sac.
- Tu crois que c'est elle? J'veux pas dire mais si c'est elle, ça sent le coup foireux. Elle a l'air...
Soudain
PSCHHHHHHHHHHH
dans le ciel
- Ce que tu peux être mauvaise langue. Ca y est, ils ont tiré une fusée blanche, comme la dernière fois. Ca veut dire que la camelote a bien été localisée.
- Ouais, on dirait. Regarde, les filets ramènent la marchandise.
- Qu'est-ce que je t'avais dit. Et le bateau s'en va, comme si de rien n'était.
- Bon voyage... Tout ça au nez et à la barbe des rivaux, qui continuent à chercher. Tu as vu combien ils ont l'air furax?
- Hmm. Et sous le museau du plus fin des chiens douaniers du littoral, très fort.
- Regarde, la fille au sac se fait la malle, elle a récupéré la camelote.
- Bien joué. Ca me rappelle l'hiver dernier à Ibiza. En moins popu.
- Bon, et qu'est-ce qu'on fait nous? On y va, non?
- Attends un peu, j'ai repéré un poisson.
- Oh et puis non, tu as raison, mieux vaut ne pas traîner.
dimanche 17 avril 2011
Finlandais pour de vrai
Ainsi les Vrais Finlandais devraient faire une percée aux élections législatives de ce dimanche.
Encore un parti politique qui joue sur la peur de l'autre, sur les angoisses face aux changements, sur le penchant naturel à l'égoïsme et l'autodéfense, sur la lassitude à l'égard des contradictions de l'Union européenne, etc.
Encore un leader, Timo Soini (pris en photo le 12 avril), qui a l'art, par quelques formules choc, de simplifier les choses face à une réalité nécessairement complexe, car qui peut nier que le monde est complexe?
Lors de mon séjour à Helsinki, cette semaine, pour raconter le phénomène des Vrais Finlandais dans le journal La Croix, j'ai repensé au dernier roman en date d'un auteur du cru, Kari Hotakainen, qui mériterait d'être plus connu des lecteurs francophones. La Part de l'homme a été publié en 2009 en Finlande (sous le titre Ihmisen osa), où il a reçu le prix Runeberg, et est paru en février en France (aux éditions JC Lattès, dans une traduction signée Anne Colin du Terrail). J'ai repensé à ce livre, parce qu'il donne quelques clés pour mieux comprendre pourquoi près d'un cinquième de l'électorat finlandais est assez perdu pour envisager de voter pour une formation très poujado-démagogue.
Kari Hotakainen sait se glisser dans la peau de ses personnages pour se faire l'interprète de leurs interrogations, leurs doutes ou leurs obsessions. "J’écris des sortes de monologues et soudain, je me trouve dans le cerveau, ou dans les tripes, d’un personnage… Il en découle un flux de mots", m'avait-il dit lors d'un entretien, en janvier dernier à Helsinki.
Au travers de ces personnages, l'écrivain brosse le tableau d'une société finlandaise déroutée par les changements rapides dont elle est le théâtre depuis quelques décennies.
Il en va notamment de l'arrivée d'immigrants, phénomène encore récent dans ce pays. "Il y a 25 ans, s'est souvenu Kari Hotakainen lors de notre rencontre, quand je suis arrivé de ma campagne pour m'installer à Helsinki, on ne croisait pas encore de Noirs dans les rues. Je me souviens avoir été marqué par une visite à ma soeur, qui vivait en Suède. Dans son immeuble, à Uppsala, il y avait des gens de sept nationalités différentes. C'était quelque chose de très nouveau pour moi. La Finlande était encore une île au milieu de l'océan."
S'il estime l'immigration "positive" pour son pays, l'écrivain a voulu, dans son roman, donner le pour et le contre, "décrire les parts d'ombre et de lumière". C'est ainsi que l'un des personnages principaux, Salme Malmikunnas, mercière à la retraite vivant dans une bourgade éloignée de la capitale, confie au petit ami noir d'une de ses filles que "la Finlande n'est pas prête" pour lui.
Voici l'extrait en question:
"Nous n'avions pas eu beaucoup l'occasion, dans ce pays, de pratiquer les échanges internationaux, parce qu'une génération avait consacré sa jeunesse à la guerre et la suivante à s'en remettre (...) Ce pays n'est pas achevé, lui ai-je dit, malgré tous les efforts faits pour le construire. Il n'est pas prêt, surtout pour quelqu'un de ta couleur, car il l'est à peine pour nous, qui sommes gris. Tu vas devoir à t'habituer à beaucoup de choses."
Ailleurs, Salme réfléchit à l'évolution en cours:
"A l'époque, il y avait du travail pour tous ceux qui en voulaient. Puis le monde a changé et avec Paavo nous n'y avons plus rien compris.(...) Paavo et moi appartenons à un autre monde. Ce n'est pas que nous soyons contre le changement, mais il faut bien dire que nous sommes complètement largués. Et c'est très bien ainsi, inutile de s'accrocher quand la comprenette ne suit pas. L'essentiel est que les enfants restent dans la course au moins jusqu'au prochain virage."
Ce que Salme et son mari Paavo ne savent pas, ou ne veulent pas savoir, c'est que leurs rejetons, eux aussi, sont "largués". C'est le cas de leur fils Pekka, qu'ils croient être en train de mener une honnête carrière dans le commerce, à leur image. En réalité, Pekka est un paumé qui hante les cérémonies d'enterrement pour manger des plats chauds ou qui, pour mendier, se déguise en SDF péruvien jouant El Condor Pasa à la flute de Pan.
Etat d'âme:
"Il se considérait comme le premier immigré de souche, et son sort était de ce fait plus dur encore que celui des arrivants habituels, accueillis pour la plupart avec bienveillance par les autorités en raison des guerres civiles faisant rage dans leur patrie. (...) Pekka soutenait que son pays natal était devenu en dix ans si différent et insolite que même un autochtone pouvait s'y sentir étranger. (...) Chaque fois qu'il abordait ces questions, Pekka était contraint de préciser qu'il n'avait rien contre les immigrés, il se sentait simplement semblable à eux. Moins l'avantage de l'exotisme. Il avait air plus finlandais que nature et ne pouvait donc pas compter sur les sentiments maternels ou paternels des personnes pleines d'empathie."
Kari Hotakainen campe aussi un très convaincant salopard, Kimmo Hienlahti, un de ces nouveaux riches tels que la Finlande en a produits à partir des années 1980. Kimmo le beau parleur issu d'un milieu rural très modeste, dont le bagout lui a permis de faire fortune dans ce pays de taiseux. Voici quelques scènes où il est à l'oeuvre:
... à propos d'ouvriers estoniens qui lui ont refait son jardin:
"Il les avait payés au noir huit euros de l'heure et, une fois le travail fini, leur avait offert deux bouteilles d'alcool qu'ils avaient refusées en lui demandant à la place un euro de plus de l'heure. Cracher sur la boisson et réclamer plus d'argent! On voyait à quel point le monde avait changé."
... ou au hasard d'une rencontre dans Helsinki:
"Une bande de jeunes crève-la-faim s'avança à sa rencontre, chaloupant sur toute la largeur de la rue. (...) Je vous comprends, vous êtes jeunes, tout juste sortis de l'école et déjà au chômage, je suis conscient que vos gestes et attitudes n'ont pas pour but de me blesser personnellement (...) Même si je vous comprends, il m'est impossible de masquer mon mépris, dû au fait que j'ai pour ma part gagné de mes mains mon argent, dont un tiers sert à subvenir aux besoins de gens de votre espèce."
Un jour, Kimmo décide, une fois n'est pas coutume, de prendre le bus:
"Le chauffeur de bus était noir (...) En réponse à son regard interrogateur, il lui annonça en mauvais finnois la somme, deux vingt. Kimmo n'avait que des billets de cent euros, dont il tendit le moins froissé au chauffeur. Ce dernier soupira et secoua la tête. Moi aussi je peux secouer la tête en soupirant, songea Kimmo, et te dire en bon finnois ce que je pense de la mondialisation que j'ai un jour soutenue avant de changer d'avis. Si j'avais su qu'en pratique elle était synonyme de liberté pour tout et pour tous, je m'y serais opposé."
Plus loin, ledit chauffeur noir, qui n'est autre que le gendre de Salme l'ancienne mercière, se rebelle mentalement contre un passager désagréable avec lui:
"Si ça peut te consoler, je peux te dire que moi aussi je suis raciste. Je trouve les Finlandais simples d'esprit. Par devant, vous vous aplatissez, mais par derrière vous ronchonnez. (...) Oui. Je vous considère comme une race inférieure. Mais je vous respecte parce que vous avez survécu seuls, dans ce froid sidérant. Vous n'avez pu trouver d'appui nulle part, avec l'ours russe à vos frontières. Je ne parle même pas de la Suède, ce n'est pas un pays mais une base de loisirs."
Contrairement à l'impression que peuvent donner ces citations, La Part de l'homme n'est pas dénué d'humour, loin de là. Les scènes initiales, cocasses, campent un écrivain qui, parce qu’il "n’a pas de vie", convainc une retraitée a priori son histoire - Salme Malmikunnas - de lui livrer la sienne, moyennant 7 000 euros. "Dans cette femme qui 'n'aime pas les livres inventés', m'a raconté Kari Hotakainen, j’ai mis beaucoup de mes parents, des gens simples et directs qui, comme elle, tenaient une boutique dans une petite ville, loin de Helsinki."
Le roman dessine un univers où, finalement, les plus âgés ne s’avèrent pas les plus déboussolés face au "progrès". Et où les "méchants", aussi nantis soient-ils, peuvent y laisser des plumes... "Je suis obsédé par l’idée de vengeance", concède Kari Hotakainen, qui a vu Taxi Driver, le film de Martin Scorsese, "plus de dix fois" dans ses jeunes années. Mais point de violence gratuite chez ce romancier (dont son Rue de la tranchée, prix Finlandia 2002 puis du Conseil nordique, a aussi été traduit en français). Grand amateur de Buster Keaton, dont il a écrit une biographie fictive, il préfère manier les ressorts du burlesque doux-amer. On est loin de l'artillerie lourde déployée par Timo Soini, le chef des Vrais Finlandais.
NB (le 19 avril 2011): les Vrais Finlandais ont obtenu 19% des voix (contre 4,1% aux précédentes législatives de 2007) et seront, sauf imprévu, invités aux pourparlers en vue de la formation d'une coalition gouvernementale. Les résultats complets sont disponibles ici (en suédois).
Encore un parti politique qui joue sur la peur de l'autre, sur les angoisses face aux changements, sur le penchant naturel à l'égoïsme et l'autodéfense, sur la lassitude à l'égard des contradictions de l'Union européenne, etc.
Encore un leader, Timo Soini (pris en photo le 12 avril), qui a l'art, par quelques formules choc, de simplifier les choses face à une réalité nécessairement complexe, car qui peut nier que le monde est complexe?
Lors de mon séjour à Helsinki, cette semaine, pour raconter le phénomène des Vrais Finlandais dans le journal La Croix, j'ai repensé au dernier roman en date d'un auteur du cru, Kari Hotakainen, qui mériterait d'être plus connu des lecteurs francophones. La Part de l'homme a été publié en 2009 en Finlande (sous le titre Ihmisen osa), où il a reçu le prix Runeberg, et est paru en février en France (aux éditions JC Lattès, dans une traduction signée Anne Colin du Terrail). J'ai repensé à ce livre, parce qu'il donne quelques clés pour mieux comprendre pourquoi près d'un cinquième de l'électorat finlandais est assez perdu pour envisager de voter pour une formation très poujado-démagogue.
Kari Hotakainen sait se glisser dans la peau de ses personnages pour se faire l'interprète de leurs interrogations, leurs doutes ou leurs obsessions. "J’écris des sortes de monologues et soudain, je me trouve dans le cerveau, ou dans les tripes, d’un personnage… Il en découle un flux de mots", m'avait-il dit lors d'un entretien, en janvier dernier à Helsinki.
Au travers de ces personnages, l'écrivain brosse le tableau d'une société finlandaise déroutée par les changements rapides dont elle est le théâtre depuis quelques décennies.
Il en va notamment de l'arrivée d'immigrants, phénomène encore récent dans ce pays. "Il y a 25 ans, s'est souvenu Kari Hotakainen lors de notre rencontre, quand je suis arrivé de ma campagne pour m'installer à Helsinki, on ne croisait pas encore de Noirs dans les rues. Je me souviens avoir été marqué par une visite à ma soeur, qui vivait en Suède. Dans son immeuble, à Uppsala, il y avait des gens de sept nationalités différentes. C'était quelque chose de très nouveau pour moi. La Finlande était encore une île au milieu de l'océan."
S'il estime l'immigration "positive" pour son pays, l'écrivain a voulu, dans son roman, donner le pour et le contre, "décrire les parts d'ombre et de lumière". C'est ainsi que l'un des personnages principaux, Salme Malmikunnas, mercière à la retraite vivant dans une bourgade éloignée de la capitale, confie au petit ami noir d'une de ses filles que "la Finlande n'est pas prête" pour lui.
Voici l'extrait en question:
"Nous n'avions pas eu beaucoup l'occasion, dans ce pays, de pratiquer les échanges internationaux, parce qu'une génération avait consacré sa jeunesse à la guerre et la suivante à s'en remettre (...) Ce pays n'est pas achevé, lui ai-je dit, malgré tous les efforts faits pour le construire. Il n'est pas prêt, surtout pour quelqu'un de ta couleur, car il l'est à peine pour nous, qui sommes gris. Tu vas devoir à t'habituer à beaucoup de choses."
Ailleurs, Salme réfléchit à l'évolution en cours:
"A l'époque, il y avait du travail pour tous ceux qui en voulaient. Puis le monde a changé et avec Paavo nous n'y avons plus rien compris.(...) Paavo et moi appartenons à un autre monde. Ce n'est pas que nous soyons contre le changement, mais il faut bien dire que nous sommes complètement largués. Et c'est très bien ainsi, inutile de s'accrocher quand la comprenette ne suit pas. L'essentiel est que les enfants restent dans la course au moins jusqu'au prochain virage."
Ce que Salme et son mari Paavo ne savent pas, ou ne veulent pas savoir, c'est que leurs rejetons, eux aussi, sont "largués". C'est le cas de leur fils Pekka, qu'ils croient être en train de mener une honnête carrière dans le commerce, à leur image. En réalité, Pekka est un paumé qui hante les cérémonies d'enterrement pour manger des plats chauds ou qui, pour mendier, se déguise en SDF péruvien jouant El Condor Pasa à la flute de Pan.
Etat d'âme:
"Il se considérait comme le premier immigré de souche, et son sort était de ce fait plus dur encore que celui des arrivants habituels, accueillis pour la plupart avec bienveillance par les autorités en raison des guerres civiles faisant rage dans leur patrie. (...) Pekka soutenait que son pays natal était devenu en dix ans si différent et insolite que même un autochtone pouvait s'y sentir étranger. (...) Chaque fois qu'il abordait ces questions, Pekka était contraint de préciser qu'il n'avait rien contre les immigrés, il se sentait simplement semblable à eux. Moins l'avantage de l'exotisme. Il avait air plus finlandais que nature et ne pouvait donc pas compter sur les sentiments maternels ou paternels des personnes pleines d'empathie."
Kari Hotakainen campe aussi un très convaincant salopard, Kimmo Hienlahti, un de ces nouveaux riches tels que la Finlande en a produits à partir des années 1980. Kimmo le beau parleur issu d'un milieu rural très modeste, dont le bagout lui a permis de faire fortune dans ce pays de taiseux. Voici quelques scènes où il est à l'oeuvre:
... à propos d'ouvriers estoniens qui lui ont refait son jardin:
"Il les avait payés au noir huit euros de l'heure et, une fois le travail fini, leur avait offert deux bouteilles d'alcool qu'ils avaient refusées en lui demandant à la place un euro de plus de l'heure. Cracher sur la boisson et réclamer plus d'argent! On voyait à quel point le monde avait changé."
... ou au hasard d'une rencontre dans Helsinki:
"Une bande de jeunes crève-la-faim s'avança à sa rencontre, chaloupant sur toute la largeur de la rue. (...) Je vous comprends, vous êtes jeunes, tout juste sortis de l'école et déjà au chômage, je suis conscient que vos gestes et attitudes n'ont pas pour but de me blesser personnellement (...) Même si je vous comprends, il m'est impossible de masquer mon mépris, dû au fait que j'ai pour ma part gagné de mes mains mon argent, dont un tiers sert à subvenir aux besoins de gens de votre espèce."
Un jour, Kimmo décide, une fois n'est pas coutume, de prendre le bus:
"Le chauffeur de bus était noir (...) En réponse à son regard interrogateur, il lui annonça en mauvais finnois la somme, deux vingt. Kimmo n'avait que des billets de cent euros, dont il tendit le moins froissé au chauffeur. Ce dernier soupira et secoua la tête. Moi aussi je peux secouer la tête en soupirant, songea Kimmo, et te dire en bon finnois ce que je pense de la mondialisation que j'ai un jour soutenue avant de changer d'avis. Si j'avais su qu'en pratique elle était synonyme de liberté pour tout et pour tous, je m'y serais opposé."
Plus loin, ledit chauffeur noir, qui n'est autre que le gendre de Salme l'ancienne mercière, se rebelle mentalement contre un passager désagréable avec lui:
"Si ça peut te consoler, je peux te dire que moi aussi je suis raciste. Je trouve les Finlandais simples d'esprit. Par devant, vous vous aplatissez, mais par derrière vous ronchonnez. (...) Oui. Je vous considère comme une race inférieure. Mais je vous respecte parce que vous avez survécu seuls, dans ce froid sidérant. Vous n'avez pu trouver d'appui nulle part, avec l'ours russe à vos frontières. Je ne parle même pas de la Suède, ce n'est pas un pays mais une base de loisirs."
Contrairement à l'impression que peuvent donner ces citations, La Part de l'homme n'est pas dénué d'humour, loin de là. Les scènes initiales, cocasses, campent un écrivain qui, parce qu’il "n’a pas de vie", convainc une retraitée a priori son histoire - Salme Malmikunnas - de lui livrer la sienne, moyennant 7 000 euros. "Dans cette femme qui 'n'aime pas les livres inventés', m'a raconté Kari Hotakainen, j’ai mis beaucoup de mes parents, des gens simples et directs qui, comme elle, tenaient une boutique dans une petite ville, loin de Helsinki."
Le roman dessine un univers où, finalement, les plus âgés ne s’avèrent pas les plus déboussolés face au "progrès". Et où les "méchants", aussi nantis soient-ils, peuvent y laisser des plumes... "Je suis obsédé par l’idée de vengeance", concède Kari Hotakainen, qui a vu Taxi Driver, le film de Martin Scorsese, "plus de dix fois" dans ses jeunes années. Mais point de violence gratuite chez ce romancier (dont son Rue de la tranchée, prix Finlandia 2002 puis du Conseil nordique, a aussi été traduit en français). Grand amateur de Buster Keaton, dont il a écrit une biographie fictive, il préfère manier les ressorts du burlesque doux-amer. On est loin de l'artillerie lourde déployée par Timo Soini, le chef des Vrais Finlandais.
NB (le 19 avril 2011): les Vrais Finlandais ont obtenu 19% des voix (contre 4,1% aux précédentes législatives de 2007) et seront, sauf imprévu, invités aux pourparlers en vue de la formation d'une coalition gouvernementale. Les résultats complets sont disponibles ici (en suédois).
dimanche 3 avril 2011
Le bon ange
Une petite fille avait un lapin. Elle habitait en ville, dans un appartement, avec sa mère. Et le lapin donc, depuis qu'une connaissance le lui avait donné pour son anniversaire. Né à la campagne, l'animal dodu eut un peu de mal à se faire à la vie urbaine. Mais choyé par la petite fille, il finit par prendre goût à sa caisse en plastique tapissée de feuilles de salade. Les carottes qu'elle lui donnait avait presque la même saveur que celles sur lesquelles il fit ses dents. La petite fille allait les chercher au grand marché spécialement pour lui.
Un jour, le lapin tomba malade. Sans doute avait-il le mal du pays. La petite fille, elle, mit son manque d'appétit sur le compte d'une émission qu'ils avaient regardée ensemble à la télévision. A travers le grillage de sa cage, le lapin avait entrevu une belle lapine, héroïne d'un dessin animé. La maman, un moment amusée, assura à sa fille qu'un lapin ne pouvait pas voir la télé et que si son petit cœur battait, ce ne saurait être pour une lapine.
La petite fille n'y crut pas une minute. Pour consoler son lapin, elle continua à lui parler de la princesse lapine, tout en guettant son prochain passage à la télé. Celui-ci tarda et le lapin d'amour mourut.
Drame dans l'appartement. La fille était bouleversée. Sa tristesse prit la maman de court. Comment lui faire oublier? Elle dit à sa fille qu'elles ramèneraient le lapin à la campagne pour qu'il repose là où il était né, entouré des siens. Avec sa maman et son papa? Oui, avec sa maman et son papa. On lui creusera une petite tombe rien que pour lui, surmontée de deux grosses carottes entrecroisées.
La petite fille réfléchit, sécha ses larmes et partit dans sa chambre, pendant que la maman puisait dans un bocal les pièces de monnaie qu'il faudrait dépenser pour le voyage.
Le lendemain, on sortit de l'appartement, en direction de la gare routière, où attendaient les bus en partance pour la campagne. La maman avait installé délicatement le lapin dans un sac en skaï vert. Le fond du sac avait été garni de la plus fraîche des salades trouvée au marché le matin même. La fermeture était restée en partie ouverte, pour laisser passer un peu d'air.
En remontant la rue qui menait à la gare routière, la mère et la fille, main dans la main, se heurtèrent à un gros monsieur pressé. Qui arracha le sac en skaï de l'autre main de la maman et s'enfuit en courant. Après l'avoir vu disparaître au coin de la rue, la petite fille, d'abord sans voix, se mit à hurler. Des passants firent mine de ne pas voir la scène. Agenouillée à ses côtés, la maman prit sa fille dans ses bras. Après avoir susurré bien des mots inutiles, elle fut prise d'une inspiration. Ne pleure pas, tu vois, ce monsieur qui a pris notre sac, c'est un bon ange. Il s'occupera encore mieux de notre lapin que nous et l'emmènera directement au paradis.
N. B.: librement adapté d'un fait divers raconté ces jours-ci à la télévision lettone.
La photo de la salade a été broutée sur ce blog, merci à lui.
Pour l'anecdote, il s'agit du 100ème billet posté sur Nordiques & Baltes.
Un jour, le lapin tomba malade. Sans doute avait-il le mal du pays. La petite fille, elle, mit son manque d'appétit sur le compte d'une émission qu'ils avaient regardée ensemble à la télévision. A travers le grillage de sa cage, le lapin avait entrevu une belle lapine, héroïne d'un dessin animé. La maman, un moment amusée, assura à sa fille qu'un lapin ne pouvait pas voir la télé et que si son petit cœur battait, ce ne saurait être pour une lapine.
La petite fille n'y crut pas une minute. Pour consoler son lapin, elle continua à lui parler de la princesse lapine, tout en guettant son prochain passage à la télé. Celui-ci tarda et le lapin d'amour mourut.
Drame dans l'appartement. La fille était bouleversée. Sa tristesse prit la maman de court. Comment lui faire oublier? Elle dit à sa fille qu'elles ramèneraient le lapin à la campagne pour qu'il repose là où il était né, entouré des siens. Avec sa maman et son papa? Oui, avec sa maman et son papa. On lui creusera une petite tombe rien que pour lui, surmontée de deux grosses carottes entrecroisées.
La petite fille réfléchit, sécha ses larmes et partit dans sa chambre, pendant que la maman puisait dans un bocal les pièces de monnaie qu'il faudrait dépenser pour le voyage.
Le lendemain, on sortit de l'appartement, en direction de la gare routière, où attendaient les bus en partance pour la campagne. La maman avait installé délicatement le lapin dans un sac en skaï vert. Le fond du sac avait été garni de la plus fraîche des salades trouvée au marché le matin même. La fermeture était restée en partie ouverte, pour laisser passer un peu d'air.
En remontant la rue qui menait à la gare routière, la mère et la fille, main dans la main, se heurtèrent à un gros monsieur pressé. Qui arracha le sac en skaï de l'autre main de la maman et s'enfuit en courant. Après l'avoir vu disparaître au coin de la rue, la petite fille, d'abord sans voix, se mit à hurler. Des passants firent mine de ne pas voir la scène. Agenouillée à ses côtés, la maman prit sa fille dans ses bras. Après avoir susurré bien des mots inutiles, elle fut prise d'une inspiration. Ne pleure pas, tu vois, ce monsieur qui a pris notre sac, c'est un bon ange. Il s'occupera encore mieux de notre lapin que nous et l'emmènera directement au paradis.
N. B.: librement adapté d'un fait divers raconté ces jours-ci à la télévision lettone.
La photo de la salade a été broutée sur ce blog, merci à lui.
Pour l'anecdote, il s'agit du 100ème billet posté sur Nordiques & Baltes.
Inscription à :
Articles (Atom)