mardi 17 mai 2011

Submarino, l'envers du décor danois

Les marginaux à Copenhague, les trouve-t-on encore à Christiania? Les quelque 1000 occupants, devenus résidents officiels de ce qui est l'un des squatts les plus réputés et anciens d'Europe, viennent d'accepter de racheter les lieux. Ils n'ont guère eu le choix, certes, poussés qu'ils étaient par l'Etat danois, sous peine de devoir évacuer cette ancienne caserne occupée depuis quatre décennies. Mais tout de même, voilà des anciens hippies engagés dans une opération immobilière évaluée à entre 100 et 150 millions de couronnes danoises. En euros, cela fait entre 13,5 et 20 millions. Soit environ 16 000 euros à débourser par "squatteur". Après tout, pourquoi pas, s'ils en ont les moyens: le quartier est quasi-central, l'espace vaste, l'herbe abondante...

Non, les vrais marginaux danois sont ailleurs. On les trouve dans Submarino, le roman de Jonas T. Bengtsson, par exemple. S'ils sont le fruit de son imagination, les personnages que campent ce jeune auteur danois paraissent sortis tout droit des bas-fonds de la Copenhague actuelle, et non pas d'un squatt en voie de boboïsation bien entamée, malgré les dealers qui continuent à s'y livrer à leurs petits business.

La vie est sombre dans Submarino. Deux frères vivotent, chacun dans son coin, côtoient le vide, le frôlent. Le roman se déroule donc dans la Copenhague des années 2000. Ou plutôt en marge, dans les interstices d’une société danoise réputée confortable, qu’on devine à peine. L'antithèse d'un roman de Jens Christian Grøndhal (déjà évoqué sur ce blog).

Les deux personnages de Bengtsson ne sont pas vraiment des frères, en fait. Ce sont des "gamins d’institution" qu'une femme avait pris en charge avant qu'ils n'entrent dans une adolescence qui s'avèrera plus que précoce et bâclée. Ces années communes auprès d’une "mère" alcoolique et d'un petit frère en langes scandent un récit en deux parties. Une pour chacun des frères qui, adultes, racontent leur existence à la première personne.

Nick vit dans un foyer et soulève de la fonte pour oublier une rupture douloureuse avec une réfugiée bosniaque. Son "frère", jamais nommé le long des 530 pages, élève seul son jeune fils, Martin. Il replonge dans la drogue, devient petit dealer, manque à ses devoirs de papa. Certains épisodes sont désespérants de tristesse.

Jonas T. Bengtsson (photo) nous emmène dans une salle de musculation, dans une laverie automatique, dans un ("vrai") squatt ou des fast-foods turcs. Mais aussi dans une école maternelle, seul lieu d'où émane un peu de chaleur. Si le style est simple, fait de phrases sèches, il n’est pas banal pour autant, évite la vulgarité gratuite, même si le sexe y est sordide et triste. Avec ce second roman, le Danois de 35 ans livre un récit maîtrisé, sans concession ni pathos. Pas étonnant que Submarino ait été adapté au cinéma par Thomas Vinterberg: c'est ce réalisateur qui avait concocté le très joyeux Festen, idéal avant des agapes familiales...





Je n'ai pas encore vu le film tiré de Submarino mais, comme souvent, la bande annonce ne sert pas le roman, dont la traduction française - signée Alex Fouillet - a été publiée (début 2011 chez Denoël) après la sortie du long métrage dans l'Hexagone. Pour faire un peu plus connaissance avec Bengtsson, à lire cet entretien réalisé par lexpress.fr. Où l'intéressé se réclame de Per Olov Enquist, et non de Dickens, et dit "aimer souvent définir (son) travail comme un croisement entre Eminem et Ingmar Bergman".

2 commentaires:

  1. On a le droit de dire que Christiania recouvre des intérêts économiques gris qui permettent largement le rachat et aussi qu'à ce prix c'est vraiment donné vu les prix des quartiers avoisinants ?
    Ou bien ce serait un peu de mauvais esprit ?

    Sais-tu si on peut trouver quelque part à Riga les ouvrages dont tu parles (au moins en anglais, parce que les langues scandinaves, je ne fais que les déchiffrer) ?

    Bonne journée

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  2. Salut Philippe,
    on a le droit de le supputer mais encore faut-il pouvoir le prouver! A priori une bonne partie des familles qui habitent là ne sont pas concernées par les business illicites auquel tu fais allusion. Certaines d'entre elles, d'ailleurs, voudraient bien se débarrasser de ces mauvaises plantes qui polluent l'atmosphère par ailleurs bucolique qui règne à Christiania (as-tu vu la vidéo à laquelle on a accès par le 1er lien hypertexte?) Mais quand la chienlit prend racine, difficile de s'en défaire.
    Quant aux bouquins, ils sont disponibles en français à Riga: chez moi! Je te les prêterai si ça te dit.

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