Evocation d'un Copenhague presque surrané dans Bruits du coeur de Jens Christian Grøndahl, que je viens de terminer (Gallimard, 2002, traduit du danois par Alain Gnaedig). D'une plume sûre et légère, l'auteur décrit les sentiments et l'amour qui unissent les trois personnages principaux, le narrateur d'un côté, un frère et une soeur de l'autre. Le fils unique est issu d'une famille qui se décompose sous ses yeux d'enfant dans le quartier chaud du Copenhague des années 70, juste derrière Hovedbanegarden, la gare centrale. Quartier qui, s'il est encore hanté par quelques drogués et émaillé de sex-shops, se normalise peu à peu, se formate.
Extrait:
"Mon père tenait l'hôtel pour un oncle, qui est mort depuis longtemps. Je n'aurais pas considéré le quartier comme un des plus durs de la ville si ma mère ne m'avait parlé avec mépris des putes, des cinés pornos et des truands qui, dans mon imagination, donnaient aux cafés des airs de films. Elle n'était pas bornée, mais bien des gens l'auraient certainement traitée de snobinarde, ce dont certains ne se privaient pas. A l'époque, je ne connaissais pas le sens de ce mot.
"C'était elle qui assumait le quotidien, mon père, lui, disparaissait. Il dormait jusqu'à une heure avancée de la matinée et il passait le reste du temps à traîner dans les bistrots ou à jouer avec quelques Yougoslaves dans des arrière-boutiques un peu plus bas dans la rue. Il était toujours bien habillé, presque tiré à quatre épingles, avec un faible pour les chemises rouge vif et les foulards de soie, de plus, ses chaussures étaient toujours aussi étincelantes. C'est lui qui m'a appris à cirer mes chaussures, mais c'est aussi la seule chose dont je puisse dire avec certitude qu'il me l'a correctement enseignée."
Après une aventure avec un Français sur la Côte d'Azur, la mère du narrateur emménage avec ce dernier dans la lointaine banlieue Nord de Copenhague. Là même où j'ai vécu quelques semaines avant de m'installer, le temps d'un hiver glacial des années 80, dans le quartier plus central de Nørrebro.
"Je venais d'un endroit totalement différent des autres, eux qui avaient grandi là, dans les villas aux jardins profonds. Mais ce n'étaient ni les jardins ni les villas chics et impénétrables qui me faisaient la plus forte impression. C'était le silence particulier, uniquement rompu par le gazouillis des oiseaux, le vrombissement assoupi des tondeuses à gazon et le murmure du vent dans les feuilles. Et, plus que tout, j'associais ce silence à l'assurance évidente et nonchalente qui était l'apanage de mes nouveaux camarades. (...) Je me sentais comme un intrus dans le parfum de rhododendron et de cytise des rues silencieuses (...). J'était tout à la fois un espion et un explorateur. La crainte, la témérité et la volatile sensation d'inconnu provoquaient des solutions enivrantes et toxiques dans mon être de doux ans."
Le narrateur, dont jamais le nom n'est dit, connaîtra d'autres émois, de moins en moins innocents, avec Ariane, la grande soeur d'Adrian, son camarade d'école dont il deviendra inséparable, avant que la vie ne les éloigne peu à peu l'un de l'autre. Beaucoup plus tard, il apprendra la nouvelle du décès d'Adrian à l'âge de 39 ans. C'est en fait le point de départ de ce roman intimiste. "J'ai reçu une lettre de mon plus vieil ami cinq jours après sa mort", lit-on dès la 1ère ligne. C'est là aussi l'occasion pour le narrateur de reprendre contact avec la soeur du disparu, de retisser dans sa mémoire les fils d'une vieille amitié, et pour Grøndahl de décortiquer ce qui crée et défait les sentiments, d'aborder quelques sujets naguère tabous...
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