dimanche 29 mai 2011

Tintin en Baltonie: les bijoux des oligarques

Tintin s'apprêtait à prendre des vacances bien méritées lorsqu'il reçut un sms de son rédacteur-en-chef:

URGENT STOP ALLEZ EN BALTONIE STOP COUP DE THEATRE STOP ENQUETEZ DISSOLUTION STOP

Son supérieur hiérarchique ne s'était jamais complètement fait aux nouvelles technologies. S'il le pouvait, il glisserait du papier troué pour télex dans son iPod.
Bref, tout cela ne faisait pas les affaires de notre reporter, qui avait prévu d'aller assister à un festival de cymbalum dans sa chère Syldavie. Mais, comme on lui avait appris à l'école de journalisme, quand il faut, il faut.
Par le premier avion, il arrivait en Baltonie, où il n'avait pas remis les pieds depuis les élections législatives. Les lecteurs les plus attentifs de ce blog s'en souviennent, c'était à l'automne dernier.
Tintin avait gardé un bon souvenir de son premier séjour dans cet autre plat pays, en dépit - ou à cause - de quelques paradoxes ou étrangetés relevés ici et là.
Pour son retour, il n'allait pas être déçu.

* * *

Sitôt sur place, il perçoit dans l'air des ondes différentes. Nulle fièvre ni ivresse, nul soulagement, non, mais une discrète ébullition. C'est que la police anti-corruption (le LOBC) et le président de cette république venaient de mettre les pieds dans le plat. Comment? En s'attaquant aux trois oligarques baltons, désormais officiellement suspectés d'enrichissement personnel illicite et autres combines pas jolies jolies.
Le coup de balai avait commencé quelques jours plus tôt. Descentes de police aux sièges de diverses compagnies ou institutions contrôlées par le trio qui, jusqu'à il y a deux ans, faisaient encore la pluie et le beau temps dans le pays.
Stupeur et incrédulité. Se pourrait-il que des enquêteurs aient enfin les coudées franches et suffisamment de biscuits pour s'en prendre aux trois hommes de manière frontale? Ou bien n'était-ce là qu'un énième coup d'épé dans l'eau, voire une manoeuvre de diversion?
Après tout ce qu'il avait entendu dire sur ces fameux oligarques, Tintin ne leur aurait jamais confié Milou, ne serait-ce que le temps d'une promenade le long de la Baltique. A côté d'eux, Rastapopolous, en dépit d'une certaine ressemblance, passerait pour un gentil garçon de plage.

* * *

L'affaire avait pris une toute autre dimension lorsque le président de la République baltonne, un certain monsieur Z (comme Zorro?), avait annoncé, samedi soir à l'heure du sauna, qu'il lançait une procédure en vue de dissoudre le parlement. Du jamais vu dans l'histoire contemporaine du pays! Et ce, moins de huit mois après les dernières législatives.
Quelle mouche avait donc bien pu piquer cette bonne pâte de président qui, jusqu'alors, n'était pas apparu comme un va-t-en-guerre?
Tintin, qui avait reçu pour mission d'enquêter, s'y met dare-dare. Très vite, il apprend qu'une majorité de députés s'étaient coalisés, deux jours plus tôt, pour mettre des bâtons dans les roues des enquêteurs du LOBC. Non, ils ne lèveraient pas l'immunité parlementaire d'un trois des oligarques, mesure nécessaire pour permettre aux inspecteurs de perquisitionner son domicile. "Sa femme s'occupe de leurs enfants à la maison, ça ne se fait pas d'envoyer la police", avait expliqué l'un des élus, très prévenant.
Sur les 100 députés que compte le parlement, seuls 35 avaient voté pour la levée de l'immunité. Et notamment ceux du parti du Premier ministre. Les autres - du moins les présents - s'étaient soit prononcés contre (ceux du parti cofondé par deux des oligarques, Tout pour la Baltonie), soit abstenus (les députés d'un parti soutenu et financé par le 3e oligarque, pourtant allié au parti du Premier ministre au sein de la coalition gouvernmentale).
Et ça, monsieur Z, le président, n'a pas apprécié du tout. Lors de son discours, il s'en est pris à ces élus qui défiaient ainsi les forces de l'ordre et plaçaient leurs intérêts personnels et ceux de leurs copains au-dessus de ceux de l'Etat. Est-ce ainsi qu'on remercie la population locale d'avoir accepté sans mouffeter d'importants sacrifices pour permettre au pays de sortir d'une crise économique abyssale? Toutes ces baisses de salaire, toutes ces hausses d'impôts, ces fermetures d'hôpitaux, tout cela aurait été enduré pour que de l'argent disparaisse dans les poches profondes des oligarques?

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Pour le brave Tintin, toujours prêt à défendre la veuve et l'orphelin, cette indignation paraît justifiée. Il en fait part à des connaissances baltonnes, qui lui répondent par un sourire mi-figue mi-raisin.
Ells sourient parce qu'enfin quelqu'un a osé saisir le taureau par les cornes. Elles sourient aussi parce que ce quelqu'un, ce monsieur Z, ne doit son poste de président qu'aux dits oligarques... Eh oui, ce sont eux qui sont allés débusquer ce directeur d'hôpital, chirurgien reconnu (notamment auprès de la classe politique) pour le parachuter à la présidence de la République, en 2007. Le débauchage avait été bouclé lors d'une réunion tenue dans un zoo, à l'abri des regards indiscrets.
"Sacrés zèbres, ces oligarques. Ils ont misé sur un cheval qui, aujourd'hui, leur donne le coup de pied de l'âne", consigne Tintin dans son carnet de notes, pas mécontent de son piètre jeu de mots.
Drôle d'animal, aussi, ce monsieur Z, songe Tintin. Car, et c'est loin d'être anodin bien sûr, le coup de théâtre dont il est l'auteur - après consultation avec le procureur général et le premier ministre - est survenu moins d'une semaine avant le premier tour de l'élection présidentielle! Et dans ce pays, ce sont les députés qui, au suffrage universel indirect, élisent le titulaire de ce poste (en principe honorifique en matière de politique intérieure).
Qu'espère monsieur Z dans l'histoire, au moment où un autre candidat s'est déclaré contre lui? Difficile de croire qu'il est complètement désintéressé, suppute Tintin. Dans son discours, le président sortant estime, qu'avec son initiative, ses chances d'être réélu le 2 juin se sont grandement envolées. Est-ce aussi sûr? Ne parie-t-il pas sur un sursaut d'orgueil de députés piqués au vif, ou désireux de se refaire une virginité avant de se présenter aux électeurs? Et puis, question bête, un parlement sous le coup d'une procédure de dissolution est-il dans la capacité d'élire un président?

* * *

Tintin se perd en conjectures. D'autant qu'on lui explique, entre deux plats arrosés de mayonnaise vite avalés dans un bouiboui, qu'en Baltonie, la Constitution prévoit qu'une dissolution du parlement, avant d'être effective, doit être soumise à l'approbation de l'électorat. Il faudra donc que les Baltons disent si, oui ou non, ils veulent renvoyer leurs députés dans leurs chaumières. Si le "oui" l'emporte au référendum prévu fin juillet (hypothèse fort probable, au regard de l'impopularité des oligarques), les électeurs retourneront aux urnes pour choisir un nouveau parlement. En revanche, si le "non" gagne, le président devra quitter ses fonctions. Mais puisqu'il risque de ne pas être réélu en juin...
Tu parles d'une affaire alambiquée, c'est pire qu'en Belgique, soupire le jeune reporter.
Tintin se gratte la houppe. "Ca risque de coûter très cher à l'Etat balton ça, non? Qui plus est, en pleine cure d'austérité..." Certes, lui répond-on entre la poire et un verre de liqueur noirâtre, mais ce qui disparaît dans les poches profondes des oligarques coûte encore plus cher à l'Etat et aux contribuables.

* * *

Hmmm. Tintin aimerait bien en savoir plus sur les combines du trio infernal, mais il sent déjà que son article sera beaucoup trop long. Son rédacteur-en-chef lui en voudrait d'entrer dans les détails... "Attendez, Tintin, vous n'allez pas écrire un roman, ce n'est que la Baltonie!", s'était-il déjà entendu dire lors de son 1er séjour, lorsqu'il avait voulu dépasser les 4500 caractères, espaces inclus.
Espaces inclus... espèce d'inculte, avait-il pesté en son fort intérieur.
Pour cette nouvelle histoire, Tintin n'est même pas sûr d'avoir un tel volume à sa disposition, avec tout le ramdam mondial qui truste les rubriques étrangères des journaux. Il maugrée. Pourquoi n'a-t-il jamais lancé un blog pour évacuer le trop-plein d'infos et de frustration qu'il traîne en lui, de reportage en reportage?
Heureusement, il connaît une revue spécialisée sur Internet qui pourrait lui prendre une version plus étoffée de ce nouvel épisode a priori décisif de la vie politique baltonne. La revue ne rapporte pas une queue de cerise, mais l'affaire le vaut bien. Peut-être arrivera-t-il même à placer quelques anecdotes succulentes sur les réactions des oligarques sur la sellette.
Le soir, notre reporter fourbu rentre à l'hôtel et s'endort sans même penser à Milou, confié au capitaine Haddock le temps de sa mission. La nuit, une pensée l'assaille. Et si Rastapopoulos était de mèche avec les oligarques?

2 commentaires:

  1. J'en ai rêvé et Tointoin, heu pardon, Tintin, l'a fait. Mais dans les subtiles subtilités de la politique baltone (et comme je l'avais déjà mentionné ailleurs), ne serait-ce pas pour Zeta Kungs (traduction littérale en Balton de "Mister Z" et non pas Zeta-Jones, même si ça nous aurait gardé près de Zorro) une option pour rester dans la politique. Imaginons que les députés ne l'aient pas ré-élu (et celà semblait assez probable) et aient cédé à leurs penchants SM en élisant la dominatrix du contrôle d'état, ou cherché un autre homme-marionnette comme le maire de la ville côtière dont le seul nom fait penser au ... putois (Sesks en Balton). Monsieur Z (comme Zorglub ?) n'aurait alors gardé que le rôle de l'ex, ce qui n'est jamais très reluisant. La manoeuvre actuelle pourrait alors être un moyen de continuer à perdurer en politique après l'élection : ayant acquis la confiance du peuple par ce geste de défiance somme toute fort peu risqué, il se crée un capital politique sans précédent (sauf, il y a dix ans, Einars R.).
    Dans la mesure où Mr. Z dispose d'un démon femelle babylonien à domicile (לילית telle que citée dans la bible), dont on se demande parfois si elle n'est pas la véritable centrale de guidage de cet homme politique choisi pour sa fadeur, les manoeuvres byzantines restent assez probables.

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  2. Que va donc nous réserver monsieur Z, maintenant qu'il a bel et bien perdu l'élection et son poste de président? A suivre, entre autres, sur ce blog...

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