mercredi 15 juin 2011

Le grognard et le bouquiniste

Une fois n'est pas coutume, quelques mots sur deux blogs que j'ai découvert ces derniers mois et qui me paraissent valoir une fréquentation régulière, voire assidue pour le plus prolixe d'entre eux.

Le premier, Où es-tu Vande- voorde?, s'adresse à un grognard de Napoléon mort à Vilnius lors de la retraite de Russie. Un blog épistolaire écrit par "l’arrière-arrière-arrière-petite-fille de la cousine" de ce mystérieux François Louis Vandevoorde. Installée quelque part en France, Sylvie J. - "ni historienne, ni passionnée de la guerre" - a décidé de partir à la recherche de son ancêtre et de le tenir au courant de ses découvertes par l'intermédiaire de lettres. Ainsi écrit-elle, depuis le 1er juin 2010, à son "Cher Vandevoorde", matricule 5085 au 21ème régiment de ligne de la Grande Armée. Une correspondance au ton très personnel et bien tournée.

Je me permets de reproduire ici l'exergue placé en tête de ce blog:


Cher Vandevoorde,

Tu étais un héros de notre mythologie familiale, le parent «resté en arrière pendant la retraite de Russie» que Papa évoquait avec une certaine délectation avant d’aller chercher ton petit portrait et quelques vieux documents jaunis par le temps…Et le débat s’engageait : étais-tu mort gelé dans la Bérézina ou massacré par des cosaques, ou bien avais-tu survécu à cette terrible retraite de Russie, sauvé par une babouchka avant de fonder une famille aux frontières de la Russie et de la Pologne… Et il était facile, pour les enfants que nous étions, d’imaginer de petits Vandevoorde, forcément en uniforme de la Grande Armée, en train de frapper à la porte de notre appartement… Où-es-tu Vandevoorde ? Une question sans réponse jusqu’à ce qu’en octobre 2001, des ouvriers lituaniens commencent à creuser les fondations d’une série d’immeubles dans un nouveau quartier au nord-est de Vilnius… Une découverte qui a relancé nos recherches familiales. Et c’est à toi que j’ai décidé de les raconter. En tentant, autant que possible de replacer les évènements, sur ce blog, dans leur ordre chronologique.



Voilà, vous en savez assez pour vous aventurer dans cet espace où se dessine peu à peu le destin de Vandevoorde et de ses camarades d'infortune (relaté aussi dans ce livre). Des soldats malgré tout passablement oubliés, dont j'avais parlé dans une des "respirations" rythmant mon livre sur les pays baltes (disponible notamment ici).
Je vous recommande de commencer par le début du blog de Sylvie J. (c'est-à-dire par la fin... en remontant au préalable jusqu'au 1er billet, Un charnier découvert à Vilnius) pour mieux suivre la progression des recherches de l'auteure. La liste complète des lettres est accessible ici, alors qu'on trouvera des photos du beau cimetière de Vilnius (Antakalnis) où reposent aujourd'hui Vandevoorde et les siens.

* * *

Ma seconde découverte est un brin moins originale dans la forme mais vous en connaissez beaucoup, vous, des bouquinistes des quais de Paris qui tiennent un blog? Qui plus est avec talent? Jean-Louis Crimon s'est lancé à corps perdu dans l'exercice depuis le 27 avril dernier, avec l'ambition, semble-t-il, de ne pas refermer ses boîtes à livres, chaque soir, sans avoir pondu un billet pour son journal du bouquiniste.
Le résultat est assez jouissif, pour qui aime la littérature et l'objet livre, les références et les jeux de mots, les rencontres impromptues et les petites phrases échangées autour d'un vieux bouquin épuisé et recherché depuis si longtemps.
Mine de rien, il se passe pas mal de choses au 41, quai de la Tournelle, là où l'auteur a entamé sa mue, lui l'ancien journaliste de Radio-France - entre autres - croisé dans les années 1990, à l'époque où la Maison Ronde avait un correspondant permanent à Copenhague (imaginez ça aujourd'hui!).

Là encore, je m'autorise à reproduire un extrait de ce blog, pour la bonne cause. Il s'agit, presque au hasard, de Jeudi, après-midi de pluie:


- Mais monsieur, si je comprends bien, tous ces livres, ils ont déjà été lus !
- Oui, madame, ce sont des livres d'occasion.

- Mais ça ne me plaît pas du tout !
- Ah bon, pourquoi donc madame ?

- Je ne supporte pas qu'un livre ait pu être lu par quelqu'un d'autre avant moi !


Et l'alerte septuagénaire de claquer du talon comme pour mieux ponctuer son effet. Avant de tourner le dos à mes quatre boîtes vertes pour remonter, d'un pas décidé, le quai de la Tournelle vers le quai de Montebello, puis vers Saint-Michel. Incroyable aplomb. Étonnante personne qu'un livre "déjà lu avant elle" étonne ou scandalise à ce point. Pourtant la poésie de ces livres déjà lus ou relus, passés de mains en mains, parfois annotés au crayon de bois, discrètement, parfois dédicacés ou dédiés, non pas par l'auteur, mais par l'acheteur, comme ce
"Grand Meaulnes" de l'année 36 : "À Juliette, de la part de Georges, en souvenir de notre rencontre" recèlent d'une infinie tendresse. D'une beauté désuète. Touchante. Émouvante. Comme si le livre prenait de la valeur à chaque nouvelle lecture. Comme un supplément d'âme. À chaque âme nouvelle touchée.
Dans ma bibliothèque, c'est curieux, je n'ai que des livres qui ont été lus avant moi. Ce qui ne me pose aucun problème. Au contraire, j'en suis presque fier.
Le ciel, tout enroulé dans sa couette de nuages, est au bord de la pluie. La conversation avec la dame qui a horreur des livres
"déjà lus avant elle" m'a rendu l'âme chagrine. Ça y est, voilà la pluie qui bruine. Je ferme. Les bouquins n'aiment pas la pluie. Le bouquiniste pas davantage.


Je n'ai pas revu Jean-Louis Crimon depuis une bonne douzaine d'années déjà (était-ce à Oslo pour la remise d'un prix Nobel de la paix, ou bien à Copenhague?). Mais depuis avril, je le retrouve régulièrement sur son blog, fine lame sous ses allures bonhommes, en attendant d'aller flâner quai de la Tournelle.

2 commentaires:

  1. Tu donnes des envies. Pour le premier, il nous faudra en parler : j'étais au premier jour et au deuxième rang de cette étrange aventure du charnier. Au premier rang, deux "personnages" : Patrick Lion et l'Ambassadeur de France Jean-Bernard Harth (avec qui nous avons aussi vécu "l'affaire" Cantat).

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  2. Philippe, peut-être pourrais-tu entrer en contact avec Sylvie J, ou bien proposer à Patrick Lion de le faire (J-B Hart étant parti)?

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