jeudi 10 novembre 2011

La Suède oublie ses amis palestiniens

Telles les bornes d'une route nationale, les repères d'hier prennent parfois de sacrés coups de boutoir. Tenez, par exemple, cette décision du gouvernement suédois de voter contre l'admission de la Palestine à l'Unesco. Jamais une telle initiative n'aurait été imaginable dans la Suède d'Olof Palme (photo de 1983), ni même celle que représentait Anna Lindh lorsqu'elle était ministre des affaires étrangères, avant son assassinat en 2003. Et pourtant, Stockholm a bien voté contre, le 31 octobre.

Pas question, pour la Suède, d’accorder une telle faveur à la Palestine, qui tente d’obtenir le statut d’Etat indépendant et frappe à toutes les portes de l’ONU dans l’espoir d’une reconnaissance internationale formelle et définitive. La candidature à l'Organisation des Nations unies pour l'éducation, la science et la culture est défendable sur le fond, explique-t-on à Stockholm, mais elle n'intervenait pas au bon moment.

Voilà donc la Suède, sur ce dossier, placée dans le camp - ultraminoritaire, avec 14 voix contre 107 "oui " et 52 abstentions - des Etats qui, au côté de Washington, ont voté contre l'entrée de la Palestine à l'Unesco. Elle s'y retrouve en compagnie notamment de 4 autres membres de l'UE (Allemagne, Pays-Bas, République tchèque et Lituanie), tandis que 10 autres pays de la même UE (France et Finlande comprises) ont voté pour. D'autres, comme le Danemark, l'Estonie et la Lettonie, ont préféré s'abstenir. Nous constatons, une fois de plus, la grande unité de vues qui prévaut au sein de cette bonne vieille Union!

Si Sten Andersson était encore vivant, il en avalerait de travers son chapeau de feutre. Cet ancien ministre suédois des affaires étrangères était devenu un interlocuteur apprécié des dirigeants palestiniens. A partir des années 1980, époque où ces derniers sentaient encore diablement le soufre, il avait contribué à un début de dialogue entre l’administration américaine et l'Organisation de libération de la Palestine (OLP). Notamment en incitant son chef, Yasser Arafat, à abandonner la lutte armée et à reconnaître à l'Etat d'Israël le droit d'exister, ce qu'il fit en décembre 1988 à Genève, comme le raconte ici Sten Andersson (lien en suédois).

Dans l’article qu’elle publia à la mort de l’ancien ministre social-démocrate, une éditorialiste du journal Aftonbladet raconte ce que lui avait répondu Yasser Arafat lorsqu’elle lui avait transmis les salutations de l’ancien ministre: "Oh Sten, my brother!"

Je me souviens aussi de l’accueil chaleureux réservé par les sociaux-démocrates suédois aux caciques de l’OLP, lorsqu’ils se rendaient à Stockholm dans les années 1990. On les croisait lors de conférences de presse tenues dans la salle de presse du ministère des affaires étrangères, couvés par des hôtes aux petits soins. Comme si ces messieurs venus de territoires lointains rappelaient aux Suédois l’époque dorée où leur pays, encore neutre et non-aligné, jouait un rôle d’entremetteur de l’ombre ou de démineur discret de conflits… avant de se faire chiper cette spécialité par les Norvégiens (cf. les accords d'Oslo de 1993).

Cette époque serait-elle à ranger définitivement aux rayons des souvenirs "caducs", comme disait l'autre (vidéo tirée des archives de l'INA)? N’y aurait-il plus besoin de discrets médiateurs désintéressés entre responsables palestiniens, israéliens et américains? Toujours est-il que le vote suédois du 31 octobre n’est pas passé inaperçu au Proche-Orient - d’un côté comme de l’autre.

Qu’est-ce qui explique ce revirement made in Stockholm? Il semble bien qu’il ait été dicté par des considérations de politique intérieure. Le Parti libéral, allié des conservateurs au gouvernement et par tradition le parti suédois le plus favorable à Israël, est très sceptique quant à la reconnaissance par l’ONU d’un Etat palestinien indépendant. Dans une tribune publiée le 1er septembre, les deux poids lourds du Parti libéral au gouvernement, Jan Björklund (ministre de l’éducation et chef du parti) et Birgitta Ohlsson (affaires européennes), l’avaient clairement fait savoir (lien en suédois).

Les libéraux ont su convaincre leurs partenaires au sein de la coalition de centre-droite. En échange du vote négatif à l'Unesco, les conservateurs du Premier ministre Fredrik Reinfeldt auraient, selon diverses sources à Stockholm, obtenu le principe d'une baisse du budget éducation, portefeuille que détient le chef du Parti libéral. Cela permettrait, avec d’autres mesures, d’envisager une nouvelle baisse des impôts, conformément aux promesses faites avant les législatives de septembre 2010. Depuis le scrutin, on le sait, la conjoncture s'est nettement détériorée. Mais le Premier ministre souhaite autant que possible pouvoir continuer à se profiler comme celui qui par lequel la pression fiscale a baissé en Suède.

Bien que plus ouvert sur le dossier israélo-palestinien que ne le laisse entendre le vote du 31 octobre, Carl Bildt, l'actuel ministre suédois des affaires étrangères, n'aurait pas cherché à aller contre ce marché. Lequel lui a permis, au passage, de marquer des points auprès de l'administration américaine. Cela peut toujours servir un jour, doit penser cet électron libre du gouvernement aux ambitions personnelles encore vivaces, en dépit du temps qui passe.

Sur son blog, Carl Bildt va même jusqu’à regretter le vote favorable à l'admission de la Palestine à l'Unesco qui, selon lui, va à la fois nuire à cette organisation et à la Palestine. "La Suède a voté non, parce que nous pensons que cette décision tombait au mauvais moment. Au lieu de renforcer la cause palestinienne - cause dont nous sommes l'un des plus fervents défenseurs - elle va affaiblir l'Unesco et son importante mission", écrit-il. Cela reste à prouver.

vendredi 4 novembre 2011

Musique du vendredi: Sinua, sinua rakastan

1968. A Paris, le Quartier latin est en ébullition. Un peu partout en Europe, des jeunes étouffent et se défoulent. Pendant ce temps-là, quelque part en Finlande...





Cette mélopée trèèès langoureuse deviendra vite un tube dans la Finlande d'Urho Kekkonen, période fin de règne. Sinua, sinua rakastan. Je t'aime... Kaj Chydenius en est le compositeur. Ce sera l'un de ses plus grands succès populaires.



Intitulé Asfalttilampaat (Les moutons d'asphalte), le film noir et blanc est signé Mikko Niskasen. En Suède, les distributeurs ont cru bon de remanier le titre: Asphatkärleken (L'amour d'asphalte). Torride.


vendredi 28 octobre 2011

Je peux être premjerministrs

A un jour près, la Lettonie avait un chef de gouvernement virtuel avant d'en avoir un "vrai".
La date du 26 octobre avait été fixée de longue date par la chaîne de télévision publique LTV1 pour la diffusion de la finale de son jeu Es varu būt premjerministrs, soit Je peux être premier ministre:



La direction de la chaîne de télé ne pouvait alors pas savoir (mais sans doute l'espérait-elle) que les négociations pour la formation d'une coalition gouvernementale, après les élections du 17 septembre, prendraient plus de temps que prévu et réserveraient un suspense digne d'une émission de téléréalité...
De fait, ce n'est que le 25 octobre, soit 38 jours après le scrutin, que le parlement finit par voter en faveur d'une nouvelle coalition gouvernementale, avec à sa tête Valdis Dombrovskis. Le vrai premier ministre donc (photo), qui dirigeait déjà le cabinet sortant (et celui d'avant).
Entre le scrutin du 17 septembre et le récent vote du parlement, les Lettons ont entendu les principales figures politiques du pays imaginer, tour à tour, une coalition intégrant pour la 1ère fois le parti de l'importante minorité russophone; un gouvernement arc-en-ciel incluant et les "russes" et les ultranationalistes anti-russes (!); puis un cabinet réduit aux partis du centre-droit et aux ultranationalistes. Formule finalement retenue et adoptée le 25 octobre par la Saeima, le parlement, avec une majorité de 57 sièges sur 100.

Imaginons un instant que les pourparlers aient duré un peu plus longtemps, à cause d'un quelconque désaccord entre "alliés" (ce ne sont pas les pommes de discorde qui manquent dans le verger politique local). Le 26 octobre au soir, la Lettonie aurait alors eu un "premier ministre" purement télévirtuel: Martins Puris, un jeune gars venant du port de Liepaja, déclaré vainqueur du jeu télévisé:



C'est ce blond sémillant qui a été choisi parmi les candidats comme étant le plus apte à diriger un gouvernement (on retrouve ici leurs vidéos de présentation). Inspirée d'une idée canadienne, l'émission, qui en était à sa 2ème édition dans le pays balte, vise à placer les candidats dans des situations telles qu'un chef de gouvernement est susceptible de les affronter. Que feraient-ils, par exemple, en cas d'une nouvelle faillite d'une grande banque lettone? Quels mots choisiraient-ils dans leur adresse à la nation si une puissance ennemie menaçait d'envahir le pays? Comment se comporteraient-ils s'ils se laissaient aller à coucher avec leur secrétaire, ou s'ils étaient pris en flagrant délit de conduite en état d'ébriété?, etc. La "vraie vie" de tous les jours, quoi, pour tout locataire du Matignon letton...
Afin de jauger ces jeunes aspirants très politiquement corrects, la chaîne de télé avait fait appel à quelques politologues et journalistes et, surtout, à d'anciens titulaires du poste, dont Ivars Godmanis, premier ministre à deux reprises (1990-1993 et 2007-2009) et batteur de rock à ses heures perdues, Aigars Kalvitis (2004-2007) et Indulis Emsis (2004), l'homme qui avait oublié une mallette pleine de dollars à la cafétéria du parlement...

Sens des responsabilités, gravité et dynamisme... Martins Puris et ses rivaux - Karlis Sils, Rudolfs Kreicbergs, Katrina Killa, Antonina Nenaseva, Edgars Zukovskis, Katrina Veismane, Dainis Persidskis, Janis Garancis et Edmunds Cepuritis - ont pris le jeu très au sérieux.

L'ambassade des Etats-Unis en Lettonie aussi. Le soir de la finale, Madame l'ambassadeur, Judith G. Garber, déboulait sur le plateau pour décerner un prix à l'une des quatre derniers candidats en lice (photo de LTV1, voir aussi cette vidéo). Pas de chance, ce n'était pas au vainqueur, le blond Martins, mais à la brune Antonina Nenaseva. Ainsi intronisée "Best Future Leader representing Our Shared Values", la candidate - issue de la minorité russophone - doit cette distinction à son implication dans une association (russe de Lettonie), PatriotiLV, qui prône plus de tolérance et la non-discrimination envers quiconque pour raisons ethniques, sociales ou autre.

Accorder un tel prix à une candidate ayant ce profil, ce n'est pas anodin, évidemment, de la part de "l'ami" américain. Pas plus que le moment et le lieu choisis pour le décerner, à une heure de grande écoute sur la télé publique. La tolérance vis-à-vis des minorités n'est pas la valeur la mieux partagée dans le pays. Et la discrimination n'est jamais très loin dès lors qu'on aborde la politique des autorités lettones vis-à-vis des minorités - et en particulier vis-à-vis des habitants d'origine russe, ukrainienne ou biélorusse, un groupe qui représente un tiers environ de la population totale.

Les dirigeants de ce pays viennent de manquer l'occasion de mieux associer à la vie publique cette minorité dont les membres, pour la plupart, n'ont nullement envie d'aller vivre en Russie ou en Biélorussie voisines. Comme je l'écrivais ici, le parti des russophones, le Centre de l'harmonie (ou de la Concorde), est arrivé en tête aux législatives du 17 septembre, et ce pour la 1ère fois depuis le départ des républiques baltes de l'ex-URSS.

Cela n'a pas suffi à convaincre les partis lettons de souche de faire un geste en intégrant cette formation au sein d'une nouvelle coalition gouvernementale. Laquelle formation - il faut le souligner - ne revendiquait pas le poste de premier ministre, malgré sa 1ère place aux élections (avec près de 8 points de pourcentage d'avance sur le suivant).
Valdis Zatlers, président de la République entre l'été 2007 et le 7 juillet dernier, a bien tenté à un moment de plaider en faveur d'une ouverture en direction des russophones. La manoeuvre fit long feu, en dépit de certains appels du pied du Centre de la Concorde. Et en particulier la reconnaissance par l'un de ses deux chefs, Nils Usakovs (photo officielle), du fait que la Lettonie avait bien été "occupée" par les Soviétiques à partir de la 2ème guerre mondiale.

Fait au détour d'une phrase prononcée dans le cadre d'un discours a priori anodin, ce tout récent aveu est à double détente. D'une part, il vise à contribuer à déminer un champ historique sur lequel a échoué, il y a un an, une précédente tentative (plus timide encore) d'entente sur une possible coalition "avec les Russes".
D'autre part, comme me le faisait justement remarquer un ami, reconnaître qu'il y a bien eu occupation à l'époque soviétique est à même d'inciter les nationalistes lettons à admettre qu'avec la disparition de l'URSS, l'occupation a cessé. Et donc que les russophones arrivés pendant la période soviétique ne peuvent plus être considérés comme des "occupants" à chasser (qualificatif bien pratique, d'ailleurs, pour délégitimer et neutraliser cette grosse frange de la population). C'est du moins ce qu'espèrent (sans doute, du moins je le devine) Nils Usakovs, l'actuel maire de Riga, et (certainement) ceux qui pensent qu'il est temps pour le pays de surmonter le passé.
On peut douter de la sincérité de Nils Usakovs et du soutien réel dont il bénéficie sur ce point au sein de son parti. Mais il n'est pas interdit d'espérer...

Las, les partis lettons de souche ont, plutôt que de bousculer leurs habitudes et prendre le moindre risque politique, préféré laisser une fois de plus le principal parti de la minorité russophone sur le seuil. Il faut croire que les mentalités ne sont pas encore prêtes au sein de la classe politique lettone, 20 ans après le retour à l'indépendance.
Je reste persuadé que, sauf en cas de sabotage téléguidé demain par Moscou, ce n'est que partie remise. Les petits pas effectués de part et d'autre durant l'automne vont faire réfléchir.
Je ne dis pas que l'inclusion au gouvernement du Centre de l'harmonie serait garante d'un meilleur fonctionnement des institutions. Je ne dis pas que des ministres membres de la minorité feront nécessairement un meilleur travail que leurs collègues lettons de souche. Je ne dis pas non plus que les cadres de ce parti sont plus intègres que les autres.
Mais pour la cohésion d'une population qui s'effiloche au fil des départs vers l'étranger et pour une meilleure atmosphère démocratique, il faudra bien un jour donner à cette importante minorité le droit d'être représentée au gouvernement, tout comme elle l'est déjà dans les affaires municipales. Je ne vais pas détailler pourquoi maintenant. Il faudrait des pages (à ce propos, je vous renvoie à mon livre Les pays baltes. Un voyage découverte) et je ne suis pas d'humeur à faire un résumé aujourd'hui! A bientôt.

mercredi 12 octobre 2011

Panique à Oslo, selon Munch

Panikk i Oslo. Rictus mi-angoissés mi-grotesques des messieurs au premier plan. On dirait qu'ils fuient un bal masqué qui aurait mal tourné.


Panique à Oslo. Pourquoi Edvard Munch a-t-il donné un tel titre, qui aurait fort bien résumé la journée du 22 juillet dernier en Norvège, à l'une de ses oeuvres, une gravure sur bois réalisée en 1917?
Le temps de me poser la question et le flux de visiteurs, en ce dimanche pluvieux, m'a déjà charrié plus loin. Avant de quitter l'exposition consacrée à Munch et à son "oeil moderne", au Centre Georges Pompidou, je remonte le courant pour prendre une photo de la gravure en question. Puis je m'assieds pour mieux la regarder. Pas évident...


Si le motif décrit sur la gravure n'est pas le simple fruit de l'imagination tumultueuse de Munch, à quoi pouvait-il faire allusion?
A la menace d'une révolution d'inspiration bolchévique? L'année s'y prêterait mais une telle hypothèse, bien que désirée alors par des socialistes plus radicaux qu'en Suède, paraissait peu crédible en ces terres norvégiennes encore peu industrialisées et sans noblesse de sang à clouer au pilori.
A l'irruption d'une épidémie dévastatrice, punition forcément venue d'en haut pour les plus illuminés, répétition locale avant la grande grippe espagnole qui fit, en 1918-19, des dizaines de millions de morts en Europe, Norvège comprise?
L'étiquette présentant la gravure de Munch, accrochée au haut à gauche d'un mur en cette salle surpeuplée du Centre Pompidou, n'éclaire pas le visiteur. Mais la proximité d'autres tableaux, sur le même mur, me met sur une piste. Au moins deux d'entre eux nous racontent un incendie, des femmes en coiffe et tablier blancs, des messieurs en melon fuient des flammes gigantesques qui montent d'un toit.


Une recherche sur la toile (virtuelle) confirme qu'Oslo, comme tant d'autres villes faites du bois des forêts qui les entourent, a été le théâtre d'incendies plus ou moins dévastateurs. L'un d'eux, survenu en 1890, transforma en un monticule de cendres cinq tableaux de Munch. Mais je ne parviens pas à identifier un gros incendie en 1917. Cela dit, ce ne serait pas la 1ère fois que Munch s'inspirerait d'un événement passé pour le reproduire plusieurs fois, à des années d'intervalles.
En fouillant dans le catalogue en ligne du musée Munch d'Oslo, je tombe sur un autre indice, qui pourrait s'avérer décisif. En 1915, Munch avait réalisé une autre gravure sur bois intitulée Panikk tout court.


Elle lui a été inspirée par l'angoisse ressentie en Norvège à l'annonce de la déclaration de la 1ère guerre mondiale. Bien que neutre, comme les autres pays scandinaves, le pays redoutait les conséquences d'un conflit sur le commerce maritime, l'emploi, le prix des denrées et sur la stabilité politique du royaume.
Avec son Panikk i Oslo datant de 1917, Munch aurait-il retravaillé ce motif, toujours selon le principe de la re-production d'une scène, d'un drame, d'une impression?

* * *

L'exposition, à voir jusqu'au 9 janvier (et savamment analysée ici par La Tribune de l'art), vaut aussi le déplacement pour les photos et courts métrages réalisés par le Norvégien, artiste curieux des innovations technologiques de son temps. Dans la pénombre d'une salle circulaire se profile Munch l'homme, pris sous diverses facettes par l'appareil photographique qu'il prenait visiblement un certain plaisir à déclencher. Quelques clichés de profil, pris si ma mémoire est bonne dans sa résidence d'Ekely, près d'Oslo, me disent quelque chose. Dans les traits, la lippe, la moue, les pauses, je ne peux m'empêcher de voir en Munch un croisement... de Mussolini et de Marlon Brando.



Lui se voyait ainsi (parmi des dizaines d'autoportraits qu'il a réalisés jusqu'à sa mort en 1944):


Non seulement Munch était pétri de talent, mais il avait une gueule.

vendredi 30 septembre 2011

Quel lapin sortira du chapeau Nobel?

Et c'est reparti pour les spéculations concernant les prochains prix Nobel, et en particulier celui de la paix. Dans une semaine exactement, le 7 octobre à 11 heures locales, le Comité Nobel norvégien annoncera son choix. Qui succèdera à Barack Obama (2009) et à Liu Xiaobo (2010), pour ne citer que les plus récents lauréats? Le cru 2011 sera-t-il aussi controversé que les deux précédents? Le premier l'avait été parce que le président américain venait de débuter son mandat (manque de résultats concrets) et de décider de l'envoi de renforts militaires en Afghanistan (incompatible avec l'idée même de paix, selon les pacifistes). Le second parce que le régime chinois avait piqué une grosse colère après le choix d'un dissident qu'il avait expédié en prison pour contestation.

Sauf à vouloir descendre de son piédestal pour devenir avant tout une instance politique au message moralisateur, il sera difficile au Comité Nobel de continuer éternellement sur cette lancée. Une récente discussion avec le secrétaire du Comité Nobel, Geir Lundestad, me laisse entendre que le profil du ou de la lauréate 2011 sera plus consensuel, moins exposé à la polémique.

"Il y a beaucoup de chemins qui mènent à la paix. Il est évident que cette année, le prix sera d'un autre genre que les précédents", me disait Geir Lundestad, rencontré le 2 septembre pour un article à paraître la semaine prochaine dans le magazine Challenges.
Cette demi-confidence survenait quelques jours après une réunion des cinq membres du Comité norvégien, à laquelle il avait assisté en tant que secrétaire de cette instance indépendante, poste qu'il occupe depuis 1990.

Et Lundestad (à gauche) d'ajouter: "Ce n'est pas parce que certains prix à venir auront un profil moins haut qu'il faudra considérer que nous regrettons celui que nous avons donné l'an dernier à Liu Xiabo". Sous-entendu: les critiques et les appels au boycottage de la cérémonie du prix 2010 par Pékin n'ont en rien ébranlé les convictions du Comité Nobel, mais chaque prix ne sera pas aussi explosif.

* * *

Certains journalistes scandinaves croisés en septembre à Oslo sont, eux, convaincus que le Comité Nobel réserve encore une surprise détonante pour la cuvée 2011. Telle serait la volonté du président du Comité, Thorbjørn Jagland. A en croire mes confrères, cet ancien premier ministre est avide de publicité et prêt à beaucoup de choses pour que le monde entier parle à nouveau du lapin sorti du chapeau norvégien. Quoi de plus efficace alors qu'un prix poil à gratter qui exaspère tel ou tel puissant de ce monde ?

Les propos tenus par Geir Lundestad m'incitent toutefois à croire qu'un nouvel éclat polémique n'est pas à attendre cette année. Mais peut-être me suis-je fait rouler dans la farine... Peut-être Geir Lundestad a-t-il pris ses désirs pour des réalités? Peut-être Thorbjørn Jagland a-t-il réussi entre-temps à imposer ses vues auprès des quatre autres membres du Comité (quatre femmes, soit dit en passant, élues comme lui par le Parlement norvégien).

Les entretiens accordés ces derniers jours par Thorbjørn Jagland à des agences de presse internationales n'ont guère éclairé ma lanterne. A l'AFP qui lui demandait avec insistance si le "printemps arabe" serait distingué, comme le supputent plus d'un expert, il a refusé tout commentaire sur ce point précis. Un tel choix paraîtrait assez logique si l'on s'en tient aux principaux développements survenus récemment sur la scène internationale. Rappelons que, dans son testament rédigé en 1895, Alfred Nobel avait souhaité que les futurs prix soient décernés à des personnalités ayant oeuvré pour le bien de l'humanité au cours de l'année écoulée.

* * *

Cela dit, le Comité Nobel a déjà montré par le passé qu'il pouvait aussi décerner son prix à des personnalités ou à des organisations ayant accompli un travail de longue haleine, et pas forcément sous les projecteurs. Et puis quelle personnalité choisir dans le monde arabe en ébullition? Encore faudrait-il trouver quelqu'un(e), ou une organisation, qui symbolise suffisamment les avancées en cours, et si possible sans casseroles pour ternir sa réputation. Certains experts, habitués des devinettes d'avant-prix Nobel, se risquent à quelques pronostics ici ou là.

Pour éviter les querelles sur l'identité du "meilleur" champion du printemps arabe, pourquoi ne pas distinguer une autre partie du globe cette année, quitte à le retenir une fois qu'on y verra un peu plus clair dans les mêlées égyptienne, tunisienne, libyenne, etc.? En contrepartie, l'Académie suédoise pourrait dès maintenant accorder le prix de littérature à un écrivain arabe. Seul l'Egyptien Naguib Mafouz a eu cet honneur (en 1988). Cet automne, raconte The Guardian, le Libanais Adonis tiendrait la corde parmi les parieurs.
Réponse la semaine prochaine...

N. B. (le 12 octobre): le lapin est en fait une lapine, ou plutôt trois... Deux Libériennes (la présidente Ellen Johnson Sirleaf et la militante pacifiste Leymah Gbowee) et une Yéménite (la journaliste et activiste Tawakkul Karman) pour leurs efforts en vue de promouvoir et de faire respecter les droits des femmes dans des régions où ils sont encore bafoués.
Geir Lundestad avait donc dit vrai: le cru 2011 est nettement plus apte à faire l'unanimité que les précédents, même si certains se sont étonnés que le prix ait été accordé à la présidente libérienne à quelques jours du 1er tour de l'élection présidentielle dans son pays, elle qui remettait en jeu son mandat (la voici en train de voter - vidéo AFP).
Depuis la publication de ce billet, l'article que je préparais pour Challenges est paru.

lundi 19 septembre 2011

Lettonie: pourquoi le parti des russophones arrive en tête

Et ce qui devait arriver arriva. Le principal parti de l'importante minorité russe de Lettonie a obtenu le meilleur score aux élections législatives. Ca s'est passé samedi, le 17 septembre, journée qui devrait rester dans l'histoire encore courte de cet Etat, 20 ans après son retour à l’indépendance.


Il serait tentant de commencer par esquisser les retombées des élections sur les relations entre la Lettonie avec d'un côté la Russie, de l'autre l'Ouest (pour faire vite). Mais il ne me paraît pas inutile de revenir avant sur quelques faits pour expliquer les résultats de samedi.


S'il arrive pour la 1ère fois en tête, le principal parti de la minorité russophone (d'origine russe, donc, mais aussi biélorusse et ukrainienne) n'a que relativement peu progressé par rapport aux dernières législatives, tenues en octobre 2010. Le Centre de l'harmonie, c'est son nom, est passé de 26% à 28,3% des voix.

Cela s'explique notamment par la quasi disparition de l'autre parti de la minorité, le PCTVL, qui est passé entre-temps de 1,43% à 0,78% des voix. Le Centre de l'harmonie a également profité d'une légère baisse du taux de participation (60,5% contre 63% il y a un an), qui a semble-t-il surtout affecté les partis "lettons".


Pourquoi le Centre de la concorde devance-t-il les autres? Il y a différentes raisons:


- ce parti n'a jamais participé à un gouvernement depuis le retour de la Lettonie à l'indépendance en 1991. Il a donc l'avantage de ne pas avoir eu à mettre les mains dans le camboui du pouvoir au niveau national. Aux yeux de la minorité russophone, en particulier, il ne porte pas la responsabilité des mesures d'austérité qui ont suivi la crise profonde de 2008, adoptées en échange de l'aide financière internationale.

En dépit de cette virginité, il ne semble pas que ce parti ait grignoté sur l'électorat "letton-letton". Dans ce pays, on continue à voter pour son camp ethnique, comme par réflexe. Il y a encore trop de mauvais souvenirs, trop de points de discorde, de ressentiments pour qu'il en soit autrement. En d'autres mots, il est encore trop tôt.


- ce parti attire donc quasiment tout l'électorat de la minorité russophone, qui n'imagine pas encore voter pour des partis "lettons-lettons". Ce réflexe communautaire n'est pas près de s'estomper tant que le camp opposé n'aura pas à accorder plus de droits à la minorité, et en particulier celui de voir sa langue (le russe) élevée au rang de langue officielle du pays, au même niveau que le letton. Cette question de principe n'est pas à l'ordre du jour des gouvernements qui se sont succédé à Riga, précisément parce que les Lettons de souche se sentent encore menacés dans leur identité par cette importante minorité active.


- le camp "letton-letton" (les Lettons de souche, de langue maternelle lettone) s'est fragmenté en raison de l'émergence du parti de l'ancien président Valdis Zatlers, qu'il a créé en juillet, peu après la fin de son mandat. J'en avais alors parlé sur ce blog à l’occasion du lancement d’une procédure de dissolution du parlement par le même Valdis Zatlers, fait inédit dans l’histoire lettone. Quelles que soient les raisons réelles qui l'ont poussé à lancer son parti, le fait est qu'avec son score de 20,8%, le président sortant a grandement contribué à affaiblir la formation de Valdis Dombrovskis (18,3%), le premier ministre sortant, qui s’adresse au même électorat letton de souche, tendance plutôt modérée.


Quelles seront les conséquences des résultats de samedi?


- Tout d'abord, rien ne dit que le Centre de l'harmonie parviendra à entrer dans le gouvernement. En dépit (ou à cause) de son avance de près de huit points sur le 2e du scrutin, il reste considéré comme peu fréquentable par les autres partis. Pour différentes raisons liées au passé, au partage du pouvoir, au patriotisme (parfois plus feint que réel), aux principes, etc.

Seuls L'Union des verts et des paysans (ZZS, 12,2% des voix) de l'un des trois oligarques lettons et, peut-être, le nouveau parti de Valdis Zatlers (20,8%) seraient prêts à collaborer avec lui au sein d'une coalition gouvernementale. Mais cela paraît d'autant moins réaliste que le rapport des forces actuel penche trop en faveur du parti russophone. A moins que celui-ci ne réclame moins de ministères qu'il serait en droit d'obtenir et ne se contente que de portefeuilles non-stratégiques. A suivre donc.


- Ensuite, peut-on voir dans le vote du 17 septembre une volonté des Lettons de se rapprocher de Moscou ou de s’arrimer à la Russie en tournant le dos à l’Europe ? J’ai entendu cet argument ces derniers jours. C’est une vision un peu manichéiste qui ne tient pas compte de la réalité lettone. On ne peut pas parler d’un électorat letton en tant que tel. Il y a l’électorat letton de souche et l’électorat letton russophone.

Le 1er, qui est majoritaire dans le pays, n’a aucune envie de tourner le dos à l’Europe, même s’il peut regretter le peu d’investissements de pays de l’UE (hormis les nordiques) dans une économie locale qui en aurait grand besoin. Ce qui n’empêche pas certains Lettons de souche à la vue basse de vouloir gagner plus d’argent en développant le business avec des entreprises russes, au risque d’accroître la dépendance du pays vis-à-vis du grand voisin.

Pour l’électorat russophone, c’est plus compliqué. Hormis une frange de nostalgiques de l’époque soviétique et de partisans d’un rapprochement avec la Russie, il n’a pas particulièrement envie de dépendre du pouvoir moscovite. Mais ces Lettons-là sont culturellement proches de la "mère patrie" voisine, ils sont branchés sur la télé russe de Russie et voudraient voir leur langue maternelle obtenir le statut de 2e langue officielle au côté du letton. Pour eux, il est naturel de regarder vers l’Est, même si les plus éduqués d'entre eux comprennent qu’un régime "à la russe" a des inconvénients, notamment en termes de liberté d’expression. Le fait que le Centre de l’harmonie soit lié par un accord politique au parti dépendant de Vladimir Poutine a de quoi inquiéter les Lettons de souche. D’où les négociations pour éviter l’entrée de ce parti dans la future coalition gouvernementale lettone.


- De l’issue de ces négociations dépendra l’attitude de Bruxelles et des grandes capitales européennes. Le premier ministre sortant, Valdis Dombrovskis, bénéficiait d'une certaine confiance au sein de l'UE et du FMI, qui voyaient en lui le garant d'une certaine stabilité politique et financière. Avec lui, ils étaient à peu près sûrs que les engagements de l'Etat letton pour sortir de l'ornière seraient tenus, même si le coût social est lourd (départ de Lettons vers l’étranger, chômage, appauvrissement, etc.). Dombrovskis faisait le sale boulot exigé par les créditeurs. S’il n’est pas reconduit (scénario possible), qu’adviendra-t-il de cette crédibilité, avec quelles conséquences? A suivre là aussi.


Je reviendrai plus tard sur un autre aspect du scrutin de samedi, le sort réservé aux oligarques lettons.