samedi 31 juillet 2010

Ode à l'été letton (1/3)

La souris minuscule qui fréquente de temps à autre mon studio de Riga s'en est aperçue: j'ai décidé cette année de passer un été letton.
Hormis un saut en France début juin et une courte visite sur l'île de Gotland, j'ai pris mes quartiers d'été dans un de ces pays du Nord de l'Europe à qui la saison sied si bien. Je dis du Nord de l'Europe, parce qu'après tout, nous ne sommes qu'à une petite heure d'avion de Stockholm et la Finlande est calée sur le même axe longitudinal que les trois pays baltes.
Bref, ceux qui ont vécu l'été dans ce coin d'Europe savent combien la clarté y est particulière, la nature exubérante après l'hiver. Mais ce qui donne une couleur distincte à l'été balte, c'est... Comment dire? Dès que l'on sort des villes jaillissent des paysages laissés à l'abandon, ou mal entretenus, carrément vierges par endroits. Ca me change de ces contrées suédoises, finlandaises, danoises et norvégiennes où la nature a été apprivoisée. Ce n'est pas le cas partout bien sûr, il reste d'immenses espaces peu ou pas marqués par l'empreinte humaine. Mais, en raccourci, il y a moins de panneaux publicitaires et de signalisation entre Riga et Sigulda qu'entre Stockholm et Uppsala. Sans parler des axes secondaires. Conclusion: en ce moment de ma vie, je me sens plus à l'aise dans le foutoir balte que dans la maîtrise scandinave.
En sortant de Riga donc, on avance sur des routes qui font sauter le cd sur l'autoradio, l'asphalte est aussi mal réparti que la richesse parmi les populations locales. Assez vite, ledit asphalte le cède à la terre, forçant à réduire encore la vitesse. On s'enfonce mollement dans la réalité lettone (ou balte en l'occurrence), celle où retournent dès qu'ils le peuvent les citadins, le temps d'un événement familial, d'une fête comme celle du solstice d'été, d'une ballade en canoë.
C'est sur cette route que je vous emmène en ce début d'été finissant. En trois étapes.

* * *

Une autre chose me séduit ici, c'est la manière dont on continue à accorder de l'importance à des choses qui, en France, en ont souvent perdue. Parmi les gens de mon âge, quelque part à mi-parcours (!), ceux que je côtoie ici ont une connaissance autrement plus poussée de la nature, de la propriété de telle ou telle fleur lorsqu'elle sera infusée, de l'emplacement des nids de corneille ou des moeurs des cigognes qui peuplent littéralement les campagnes à la belle saison. Certes, je suis né et j'ai grandi à Paris, qui n'est pas l'endroit propice à ce genre d'observations, même au jardin du Luxembourg. Mais je ne crois pas me tromper en disant que les populations baltes sont plus proches de la nature que la française. Il y a là un vieux fond païen qui me convient bien...




De même sait-on davantage marquer les étapes d'une vie. Ainsi la fin du lycée. Je me rappelle avoir été heureux, et surtout soulagé, de décrocher le bac. Il nous a valu un beau diplôme en papier blanc frappé, dans mon souvenir, de je ne sais plus quel insigne romain. Mais dans ce brave lycée public de Dreux (Eure-et-Loir), nulle célébration, nulle pause pour apprécier l'événement ou juste y réfléchir un tout petit peu. Le nez dans le guidon, mes congénères et moi-même pensions déjà, chacun dans son coin, aux étapes suivantes, le stage ou le boulot d'été, les études à venir et l'éloignement géographique qu'elles induiraient, la mob' ou la bagnole rêvée, la nana convoitée...
Ces préoccupations devaient aussi flotter dans les têtes des élèves lettons qui, en juin, s'apprêtaient à quitter le lycée de Madona, bourgade à deux heures de route de Riga, vers l'Est. Mais, le temps d'une journée, on (le lycée) leur donna le temps de se retourner sur les années passées dans ses murs et de mesurer la signification du diplôme qu'ils venaient d'obtenir. Sans doute n'en prendront-ils conscience que plus tard.
Toujours est-il qu'en cette journée de juin, ces jeunes Lettons - en grande majorité des lycéennes, leurs copains étaient le plus souvent dans le public - ont tourné la page du secondaire. Célébration assez touchante, en présence de tous les profs et des parents et des proches, venus avec l'inévitable bouquet de fleurs. Il fallait les voir, ces gens qui piétinaient à la queue leu leu pour pouvoir, en fin de cérémonie, féliciter leur héros ou leur héroïne du jour, tout aussi endimanché(e) qu'eux.
































Même si la pompe de ce rituel hérité de l'époque soviétique a en partie disparu, l'ambiance était un brin compassée, je vous l'accorde, dans le gymnase moderne de Madona. Je ne dis pas que j'assisterais à un tel événement chaque année mais j'y ai trouvé un certain plaisir. La seule chose qui m'a un peu gêné, c'est le moment où résonna l'hymne national letton, Dievs, svētī Latviju! (Dieu, bénis la Lettonie!) repris par une foule à moitié convaincue. Que venait-il faire là? Il est vrai qu'il y a 20 ans à peine, les Lettons ne pouvaient l'entonner librement de la sorte. Ceci explique aussi (en partie) pourquoi, lors de la fête du 14 juillet organisée cette année par l'ambassade de France à Riga, les invités lettons ont chanté leur hymne avec beaucoup plus d'entrain que les français la Marseillaise...

(La suite au prochain épisode)

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