Il est vrai que deux romans se passant en Estonie, c'était un peu beaucoup pour un automne hexagonal peuplé de critiques littéraires qui, souvent par manque de place, ont tendance à élaguer face à la profusion de bouquins proposés. Qui plus est, les livres baltes en question sont l'oeuvre de deux jeunes femmes qui n'avaient auparavant jamais publié dans de grandes maisons parisiennes. Si l'on ajoute le fait que ni l'une ni l'autre n'a écrit son livre en estonien (mais en finnois et en français) ni ne vit dans le pays balte (l'une habite à Helsinki, l'autre en France depuis ses 10 ans)... on pourra comprendre que, par nécessité davantage que pour des critères "objectifs", l'une ait pris le pas sur l'autre dans la quête d'une reconnaissance médiatique.
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A côté du cru et rugueux Purge (Stock), jugé manichéen par certains dans le pays balte, Un roman estonien, premier livre publié par Katrina Kalda, née il y a 30 ans à Tallinn et arrivée 10 ans plus tard à Calais, ferait presque figure d'aimable jeu d'écriture. De la dentelle joliment ourlée, presque trop ouvragée par endroits, mais confectionnée avec dextérité par une personne qui se réclame d'un style plus classique, élégant, abouti.
Est-ce un hasard? Sofi Oksanen et Katrina Kalda ont chacune le physique de l'emploi (du subjonctif), une apparence qui correspond à leur style d'écriture et au sujet de leur roman respectif. La première, que j'ai rencontrée à Helsinki, est fardée à outrance, ses lèvres, le pourtour de ses yeux verts. Elle arbore de longue date des tenues gothiques. Elle s'exprime avec assurance, parfois un brin de dédain. Elle avance sans coup férir, sûre de son destin d'Ecrivaine.
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Il en faut pour avoir bâti Un roman estonien (Gallimard). Architecture ambitieuse, piliers élancés, genre gothique tardif à la King's College Chapel de Cambridge. Pour le reste, rien de british dans l'intrigue en question. Elle se déroule, elle aussi, dans l'Estonie des années 1990 avec moult virées dans la décennie précédente. Une période charnière donc, pour ce pays qui doit alors se réinventer au sortir de l'occupation soviétique, laquelle avait mis fin à une première période d'indépendance de 20
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August, l'un des personnages principaux du roman, a reçu cette tâche au nom d'un passé de dissident que s'obstine à lui prêter Eerik, industriel influent et actionnaire d'un journal. August se retrouve à pondre au jour le jour un roman de l'avant-indépendance, publié sous la forme d'un feuilleton dans la même feuille de chou.
La trame s'intensifie lorsqu'on comprend que le narrateur d'Un roman estonien n'est autre que le personnage créé par August pour son roman-feuilleton. Une sorte de double, mais sous des traits plus flamboyants et hardis, qui autorisera notamment le petit écrivain craintif et sans talent à assouvir par procuration sa passion pour la femme d'Eerik. Me suivez-vous? Cela peut paraître un peu confus de premier abord, et expliqué comme ça à la va-vite, mais il n'en est rien. Et si je me suis parfois un tout petit peu égaré, c'était pour mieux m'y retrouver, assez bluffé par la construction qui prenait forme sous mes yeux.
Katrina Kalda en profite pour glisser quelques réflexions sur la perspective d'une entrée de l'Estonie dans l'Union européenne ("Eerik y voyait des accords et des contrats, August voyait Dante, Shakespeare et Schiller. Aucun des deux ne voyait les normes alimentaires, la pasteurisation du lait, les croissants à l'huile sous emballage plastique, ni les passeports à empreinte digitale incorporée"), l'attente des lecteurs (ils "ne veulent lire que leur propre histoire") ou la création littéraire. Laquelle permet bien des tours et des retournements que je tairai ici.
La seconde moitié du livre, qui se veut la plus intime dans un écrin de campagne luxuriante, m'a moins convaincu. J'ai préféré les évocations des salons de Tallinn ou l'ambiance au Viru, le premier grand hôtel construit dans la ville à l'époque soviétique pour héberger les touristes occidentaux, qui y laissaient des devises fortes sans savoir - certains s'en doutaient, bien sûr -
Seuls autres petits bémols à mon goût:
1. le vernis un peu apprêté dont je parlais plus haut qui, par endroits, donne l'impression d'une composition trop réfléchie pour couler de source (mais le narrateur ne dit-il pas: "Tout se fabrique, rien ne se crée"?);
2. la manière dont le même narrateur nous prend à témoin, moi, vous, nous les lecteurs. Qu'il veuille nous confier ses sentiments, soit. Mais j'ai moins apprécié qu'il nous demande, de temps à autre, d'aller "vérifier" des dates et des noms, de "patienter pendant plusieurs chapitres" avant que tel ou tel événement ne survienne, etc. Peut-être est-là un procédé imaginé par Katrina Kalda pour baliser le terrain, afin que le lecteur ne s'y perde pas. Etait-ce nécessaire? Si je ne demande qu'à être pris par la main et mené dans un livre, je ne tiens pas à ce qu'on m'intime ma conduite ni qu'on ne m'annonce la couleur.
A propos de nuances et de teintes, je citerai un extrait pour terminer, dans lequel je me suis reconnu, et avec moi sans doute bon nombre de lecteurs vivant plus près des pôles que de l'équateur.
"A neuf heures, le soleil se levait enfin, la plupart du temps à peine décelable, flou, dans les jaune pâle et dans les gris, mais quelque fois orange et éclatant, un peu liquide, ressemblant à un oeuf sur le plat dont le jaune central n'a pas fini de cuire et dont la fine membrane transparente, élastique, menace de se rompre à chaque instant. Cette timide amorce de soleil, qui semblait n'apparaître que pour nous sauver, nous mettait le coeur en joie."
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