dimanche 12 septembre 2010

Purge, la tension selon Oksanen

Entre le moment où j'ai commencé à lire Purge, le 1er roman de Sofi Oksanen à être publié en France, et celui où j'écris ce billet, il s'est passé un bon mois. Après l'avoir terminé, j'ai voulu laisser passer un peu de temps pour digérer ce livre intense. Puis j'ai voyagé dans la région, j'ai écrit des articles, j'ai rendu une visite importante et j'en ai reçue une autre. Bref, je n'étais pas assez disponible pour m'occuper de Purge - et de ce blog en général (ce à quoi je compte remédier!).
Entre-temps, le roman a pris son envol en France et quel envol, puisqu'il a été distingué par le prix du roman FNAC et, d'après ce que j'ai pu en lire, apprécié par la critique ("Il inquiète, il dérange, il captive... Bref, il ne s'oubie pas", écrit Florence Noiville dans Le Monde).
Le fait est que les éditions Stock - et en particulier Marie-Pierre Gracedieu, en charge de la collection La Cosmopolite - ont eu le nez creux en décidant de faire traduire Puhdistus, une oeuvre initialement écrite pour le théâtre par Sofi Oksanen avant d'être adaptée au format romanesque. Le pari n'était pas gagné d'avance.
Certes, l'auteure s'est déjà imposée parmi les plus prometteurs d'Europe du Nord, où elle a reçu de nombreux prix pour Purge, paru en finnois en 2008. Mais l'histoire aurait pu repousser un éditeur parisien ou ne provoquer qu'un bâillement poli chez les critiques littéraires. Parce qu'elle se passe dans un pays, l'Estonie, qui, vu de France, reste souvent exotique (au mieux) ou déprimant (merci à l'URSS), et parce que Sofi Oksanen trifouille les plis de la mémoire de cette petite nation dont on ne connaît finalement que peu de choses*.
Or non seulement les lecteurs peu au fait de cette réalité estonienne en apprendront un rayon sur la vie sous l'occupation soviétique et l'époque qui s'ensuivit, mais ils y trouveront leur compte en matière d'intensité littéraire et de maîtrise dans la construction d'une intrigue.
Disons le tout de suite, ce livre n'est ni un polar (cela a été écrit ici ou là), ni un roman historique à proprement parler. Oui, il y a des passages tout en tension où le souffle vient à manquer. Oui, il y a des allusions très directes aux soubresauts de l'histoire de l'Estonie, depuis l'immédiat avant-guerre (1939) jusqu'au retour à l'indépendance. Mais Purge est plus que cela, alors que pourtant, il se concentre sur la vie de deux femmes, et en particulier sur celle d'Aliide, la colonne vertébrale de tout le livre.
L'histoire commence par leur rencontre dans la campagne estonienne, en 1992, lorsqu'Aliide n'attend plus rien de la vie. Elles se jaugent, s'interrogent sur leurs intentions réciproques. Qui sont-elles, quel lien les lie l'une à l'autre? Une fois l'intrigue plantée dans un décor où les arômes d'oreilles de cochon bouillies et de conserves aux framboises ne parviennent pas à dissiper un certain malaise, Sofi Oksanen nous fait faire des allers et retours entre le début des années 1990 et le passé.
Ces remontées dans le temps narrent la manière dont des Estoniens des campagnes - Aliide, sa soeur et d'autres - ont vécu l'irruption des Soviétiques, les déportations, l'arrivée des soldats allemands (perçus comme des sauveurs), le retour de l'armée Rouge, la terreur communiste, les viols, la chasse aux "frères des forêts", ces résistants qui attendirent en vain l'intervention des Américains ou des Britanniques, etc.
Comme la nation estonienne, Aliide fut maltraitée dans sa chair et dans sa tête. Elle n'en perdit pas pour autant l'obsession qui était la sienne et, aveugle, s'y accrocha comme à une bouée, quitte à ce que cela lui joue des tours, bien des années plus tard. C'est ce passé qui, peu à peu, ressurgit lorsque l'autre femme dont je vous parlais au début, jeune et déjà épave de la vie contemporaine et de son versant capitaliste, échoue dans le jardin de la retraitée.
Je préfère ne pas en dire plus. Si ce n'est que, pour une auteure finlandaise aujourd'hui âgée de 33 ans, Sofi Oksanen (photo YLE), outre le style, étonne par sa connaissance du quotidien dans ce qui était la République socialiste soviétique d'Estonie. Mais, vous le savez déjà peut-être, elle a de la famille dans ce pays balte: sa mère est une Estonienne, qui a épousé un Finlandais. Avant même la fin de l'URSS, la jeune Sofi, qui a grandi "à l'Ouest", a pu se rendre de l'autre côté du golfe qui sépare ces deux nations aux langues cousines. Elle y a puisé matière à peupler ce roman et, dans une moindre mesure, un autre, Les vaches de Staline, dont je compte parler ici, une fois que j'aurai achevé sa lecture dans une traduction suédoise, à défaut d'une française. Il y a fort à parier que cette lacune éditoriale sera vite comblée.

* A ce propos, je recommande aux intéressés la somme écrite par Jean-Pierre Minaudier, L'histoire de l'Estonie et de la nation estonienne (L'Harmattan, 2007), à ma connaissance le meilleur livre du genre publié en français sur ce pays.

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