lundi 28 février 2011

Olof Palme, mystères

Il y a 25 ans jour pour jour, les Suédois apprenaient, tard dans la soirée, que leur premier ministre avait été assassiné par balles. Très peu de personnes virent Olof Palme gisant sur le trottoir de Sveavägen, une des avenues principales de Stockholm, quasi-déserte à cette heure-là (devant cette vitrine en photo, au coin de la rue).


Cette mort violente n'en a pas moins marqué en profondeur un pays qui se croyait immunisé contre un tel acte, lové qu'il était dans le cocon de l'Etat-providence qu'il avait patiemment tissé. Les ratages de l'enquête, eux, ont ébranlé la confiance que les Suédois accordaient à leurs autorités. Ils ont aussi donné naissance à des théories fantasmagoriques sur le ou les auteurs du meurtre... (l'émission Rendez-vous avec X, sur France-Inter, reprend ici quelques pistes).
Jusqu'à aujourd'hui, donc, l'affaire reste nimbée de mystère.
Il y a un an, je racontais ici (Cette nuit-là, un inconnu) comment le jeune appelé de permanence que j'étais avait vécu cette nuit du 28 février au 1er mars 1986. Aujourd'hui, je vais reproduire l'article que j'ai écrit pour Le Temps, quotidien de Suisse - tiens, un autre pays "neutre" - où l'on garde un œil attentif à ce qui se trame en Suède. L'article a été publié en ce jour de commémoration. Je l'ai complété de quelques photos puisées sur la Toile.

Auparavant, je vous recommande ce portrait audiovisuel assez éloquent ("le Kennedy européen... citoyen jacobin bien élevé... aux yeux perçants au gris-bleu scandinave dont on ne trouve l'équivalent que dans le reflet de l'acier suédois... patricien rouge...") réalisé par l'ORTF et conservé dans les archives de l'INA. Ainsi que le journal d'Antenne 2 diffusé le lendemain du crime.
Je signale aussi un site proposant des discours et articles (en anglais) de cette figure de la social-démocratie européenne. Sur la page d'accueil du site, je vous conseille un petit film muet tourné en 8 mm par Palme lui-même, lors d'une visite en Algérie à l'automne 1962, alors qu'il n'était qu'un collaborateur de Tage Erlander, son mentor et prédécesseur à la tête du gouvernement.
De ce séjour, Palme écrivit plus tard: "Là, j'ai appris à quel point il était important de soutenir les mouvements de libération". Il le montra par la suite en manifestant contre la guerre du Vietnam et en exprimant son soutien à des nouveaux régimes post-coloniaux. Dans les coulisses, pourtant, Palme était soucieux de ménager le gouvernement américain en maintenant une collaboration secrète face à l'Union soviétique, selon des livres d'historiens et de journalistes (voici le dernier en date) qui écornent ainsi l'image d'un Palme croisé de l'anti-impérialisme américain. Ah, Realpolitik, quand tu nous tiens...

L'ARTICLE publié dans Le Temps:


Vingt-cinq ans après sa mort, l’énigme Olof Palme




28 février 2011

Cette fois-ci, c’en était trop pour Mårten Palme. Le fils cadet de l’ex-premier ministre suédois ne pouvait pas laisser dire, sans preuve aucune, que son père avait été assassiné par des militaires ou des policiers. Que la personne se répandant dans les médias pour avancer cette thèse, Leif G. W. Persson, soit un professeur en criminologie, auteur de polars à succès [dont un inspiré par ce meurtre], ne lui permet pas d’avancer n’importe quoi, selon Palme junior. «Sa théorie est infondée! Il tombe dans le même piège que d’autres avant lui, en cherchant des éléments qui renforcent sa propre conception de qui a pu commettre le meurtre.»

Ce petit règlement de comptes a fait grand bruit la semaine dernière en Suède, alors que le royaume commémore la mort d’Olof Palme, le 28 février 1986. Il en dit long sur l’impuissance du royaume à éclaircir la plus grosse affaire criminelle de son histoire contemporaine. Car, en dépit d’un travail considérable, en dépit de l’assistance apportée par des polices étrangères, l’assassinat de cette figure de la social-démocratie européenne n’a toujours pas été élucidé.

Il y a un an, le parlement de Stockholm a modifié la législation qui, auparavant, fixait à 25 ans le délai de prescription pour meurtre. En théorie, la police suédoise peut donc continuer indéfiniment à enquêter jusqu’à ce qu’elle débusque le ou les coupables. Mais y parviendra-t-elle un jour? 95% des Suédois ne le croient pas, selon un récent sondage publié par le journal Svenska Dagbladet.

Pour bon nombre d’entre eux, l’auteur du meurtre a bien été identifié… et il est mort. Christer Pettersson, un marginal arrêté en 1988, a été reconnu par Lisbeth Palme, l’épouse du premier ministre, avec lequel elle rentrait à pied d’une séance de cinéma, sans garde du corps, lorsqu’il fut abattu en pleine rue. Pettersson, qui aurait ainsi vengé un ami incarcéré, a été condamné à la prison à perpétuité. Puis gracié en appel pour cause de manque de preuves matérielles. De plus, Lisbeth Palme aurait été influencée par la publication d’une photo du suspect avant d’être confrontée à lui.

La Cour suprême a définitivement classé le dossier en 1998. Pettersson, impénitent consommateur d’amphétamines, est mort six ans plus tard, non sans s’être vanté d’avoir commis le crime… Il n’est pas le seul. Pas moins de 130 personnes ont «avoué» avoir tué le dirigeant, surtout dans les premières années qui ont suivi le drame. Des mythomanes, a conclu la police. Celle-ci n’a pas manqué de travail au fil des années: quelque 11 000 personnes ont été accusées nommément d’avoir appuyé sur la gâchette.

A plusieurs reprises, les Suédois ont cru que la police, après un début d’enquête pour le moins poussif, était enfin sur la bonne voie. Les hypothèses avancées les firent voyager en divers endroits de la planète, là où on aurait pu commanditer l’assassinat. Palme avait entrepris une médiation de paix entre l’Iran et l’Irak, alors en guerre. Il tentait de promouvoir une «troisième voix» entre Est et Ouest, au nom d’une Suède «neutre» jugée trop proche de Moscou par certains. Il honnissait le régime de l’apartheid sud-africain, qui le lui rendait bien.

C’est ainsi que s’entrechoquèrent plusieurs «pistes»: la CIA – associée à des policiers suédois d’extrême droite –, la police sud-africaine, le PKK (parti pro-indépendantiste kurde de Turquie) mécontent de la surveillance de ses membres en Suède, etc. Pas plus tard qu’en janvier, c’est la piste yougoslave qui a ressurgi à la faveur d’une enquête du magazine allemand Focus. Sans conséquence jusqu’à présent.

«Que l’appareil d’Etat suédois n’ait pas pu gérer une telle affaire a secoué les Suédois et réduit leur confiance en lui», pointe Kjell Östberg [lien radio, en suédois], un historien auteur d’une biographie de Palme. Conséquence, la population a accordé une oreille attentive aux «révélations» faites par des détectives privés plus ou moins sérieux. L’un d’eux a expliqué le meurtre par un trafic de diamants, un autre a accusé des membres de la famille Palme, etc. La récom- pense de 7,2 mil- lions de francs suisses, promise pour tout indice décisif, tient toujours.

Pour la police, l’élément qui pourrait relancer l’enquête serait la découverte de l’arme du crime, un Smith & Wesson 357 Magnum, selon les analyses balistiques. En 2006, un tel revolver, recherché de longue date, était retrouvé. Las, il était trop rouillé pour «parler». Les quatre enquêteurs du «groupe Palme» n’abandonnent pas leur mission, sans trop y croire. «Il faut être réaliste», lâche Stig Edqvist, son chef depuis 14 ans.

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