Que nous réservent les élections suédoises de ce dimanche? Cette année encore, l'issue est incertaine. Certes, le gouvernement sortant, dirigé par le conservateur Fredrik Reinfeldt, part favori, comme je le raconte dans le journal La Croix. Mais rien ne permet d'exclure avec certitude un retour de l'opposition. La machine social-démocrate peut nous réserver des surprises. A priori, je ne vois pas le parti emmené depuis trois ans par Mona Sahlin passer au-dessus de 35% des voix, son score aux précédentes législatives (2006). Mais avec ses alliés ex-communiste et surtout vert, il pourrait contester in extremis la majorité à la coalition sortante, pour peu qu'ils arrivent tous les trois à mobiliser leurs électeurs traditionnels. Et surtout si l'un des quatre partis de centre droite qui composent le gouvernement "bourgeois" ne parvient pas à franchir les 4% des voix requis pour entrer au parlement.
Je suis en train de lire I väntan på Mona Sahlin (En attendant Mona Sahlin, Norstedts, 2008), écrit par le journaliste Christer Isaksson. Un ancien adhérent du parti à la rose qui travailla un temps pour le gouvernement. Son livre est donc passablement orienté mais intéressant pour ce qu'il raconte sur les arcanes de ce qui restera, quel que soit son résultat ce dimanche, LE parti ayant marqué la Suède contemporaine de son empreinte. Ce livre raconte notamment comment Mona Sahlin avait enfin convaincu, en 2007, les struc- tures so- cial-démo- crates qu'elle était le leader qu'il fallait au parti, après son accident de parcours intervenu douze ans plus tôt.
L'épisode des couches-culottes et des Toblerone payés par Mona Salhin avec sa carte de crédit professionnelle a marqué les esprits, jusqu'en France. Là, des gens m'en parlent parfois, avec l'air étonné, comme s'il avait eu lieu sur une autre planète.
Je me souviens avoir suivi l'affaire pour l'Agence France-Presse, sans vraiment comprendre comment une vice-premier ministre pouvait se faire blague-bouler de la sorte pour une histoire de frais payés avec la mauvaise carte de crédit (et remboursés entre-temps).
La presse populaire suédoise (Expressen en tête, qui avait sorti l'affaire grâce à une fuite, mais aussi Aftonbladet, très proche du parti social-démocrate) avait ensuite fouillé dans la vie de Mona Sahlin. Pour finalement découvrir qu'elle et son mari n'avaient pas payé régulièrement les frais de ramassage municipal des poubelles... On voit le niveau.
Cette accumulation de pêchés impardonnables lui avait coûté une place quasi-assurée de premier ministre. Car Ingvar Carlsson la couvait depuis des années, persuadé qu'il était que cette femme ayant grandi avec et pour le parti serait une digne héritière des Tage Erlander et Olof Palme. L'incident Toblerone interrompit la mise sur orbite de sa dauphine.
J'avais écrit à l'époque que le parti social-démocrate avait douté des capacités de Mona Sahlin à gouverner la Suède, puisqu'elle n'arrivait pas à tenir en ordre ses comptes personnels. Mais pour le Français que j'étais (et que je suis encore), cette histoire paraissait à la fois hypocrite et louche. Sauf erreur, on n'a jamais su d'où venait la fuite sur les achats de couches et de barres en chocolat. Tout cela sentait le coup fourré. Il est de notoriété publique que des barons du parti ne portaient pas Mona Sahlin dans leur coeur. Parce qu'elle aurait été la 1ère femme à diriger le parti plus que centenaire. Parce qu'elle avait une allure un peu atypique (jeans et clope au bec) et une réelle capacité à nouer le contact avec des ouvriers de chantier ou des VRP, qui n'en rendaient que plus grisâtres les apparatchiks du parti.
Il fallut trouver une solution de secours. Göran Persson (photo), alors ministre des finances, finit, après moult "non", par dire oui à la succession d'Ingvar Carlsson en 1996. Persson fit le boulot, avec tout le doigté et l'humilité qu'on lui connaît. Et perdit le pouvoir dix ans plus tard, en bonne partie parce que les Suédois en avaient soupé de ses sermons de pasteur auto-satisfait.
Göran Persson annonça alors sa démission à la présidence social-démocrate, nons sans essayer d'asseoir son poulain sur son siège encore chaud. La manoeuvre échoua. Pär Nuder était trop froid, trop technocrate, trop terne. Bref, il ne fit pas le poids face à Mona Sahlin, revenue à la politique par la petite porte, puis au gouvernement via divers ministères.
Ce que j'ai appris dans le livre de Christer Isaksson, c'est que les pères de Mona Sahlin et de Pär Nuder avaient travaillé ensemble dans les années 1970, sous la tutelle d'un ministre du logement. Leurs enfants se marquèrent ensuite à la culotte, grimpant les échelons de l'appareil social-démocrate à un rythme plus ou moins semblable. Pour finalement s'affronter en 2007 en vue d'être l'Elu(e) du parti. Et, éventuellement, accéder au poste de premier ministre.
La route s'est avérée plus complexe que prévu par Christer Isaksson dans son livre. Les vieux démons entourant Mona Sahlin ont refait surface. A-t-elle la capacité pour diriger le pays? De plus, la candi- date a pris le risque de rompre avec la tradition qui veut que le parti social-démocrate parte seul en campagne électorale, quitte à s'appuyer, une fois élu, sur les Verts et la Gauche (ex-communiste) au parlement. Cette année, le trio a tenté une campagne commune qui semble avoir davantage dérouté qu'uni.
Cela dit, si Mona Sahlin parvenait, ce week-end, à inverser la spirale négative dans laquelle elle et son parti se sont enfoncés ces derniers mois, elle deviendrait la 1ère femme à diriger le royaume. Ce qui serait la moindre des choses pour un pays qui se veut un modèle de parité... Même la France a eu une femme premier ministre (Edith Cresson). Cela n'a pas duré longtemps, certes, mais c'est gravé dans le marbre.
Le fameux modèle suédois est bien malmené. Pour autant, si l'on transpose ces résultats à quelques pays d’Europe, on notera que la montée des partis d'extrême droite et du populisme est de plus en plus prégnante. Un constat d'autant plus déstabilisant que les pays concernés ont toujours été réputés tolérants et félicités pour leur "ouverture" (Danemark, Pays-Bas, Autriche, Suède)...
RépondreSupprimerCeci sera bien transdcrits dans les livres d´histoire pour les futures générations!Surtout pour un pays comme la Suède qui se présentait un peu comme modèle social.
RépondreSupprimerUne honte...vraiment!
@ Eddy: tu remarqueras que les pays que tu cites ne sont pas bien grands. Qu'ils ont tous eu un passé plus glorieux (la France aussi, cela dit). Et que trois d'entre eux ont perdu une part significative de leur territoire. D'où peut-être un complexe d'infériorité et une contraction face à un monde qu'on a l'impression de ne plus maîtriser. Si on en parlait à Pim F.?
RépondreSupprimer@ Mandy: je ne sais pas si c'est une honte, en tous cas pas plus qu'ailleurs, et avec retard par rapport à la plupart des pays d'Europe. Je serais curieux de voir maintenant si le fameux "laboratoire social" qu'est censé être la Suède va accoucher d'une solution originale. Que l'on viendrait ensuite étudier de l'étranger en se demandant si elle est transposable ailleurs...
je ne suis pas très sûre de bien vous comprendre et de vous suivre sur le "ridicule" de l'affaire de la carte de crédit de M Sahlin ("On voit le niveau","accumulation de pêchés impardonnables") Bien sûr, cette histoire a profité à quelqu'un mais les Suédois n'aiment ni le mensonge ni la fraude, et celle-ci commence avec 1 Toblerone. cette intransigeance paraît ridicule j'en conviens mais à ce jour elle reste la meilleure façon de garantir le plus faible taux de corruption dans le monde me semble t-il (cf classement Transparency International).
RépondreSupprimerBonjour Corinne,
RépondreSupprimermerci pour votre réaction. J'ai écrit "on voit le niveau" en me référant avant tout aux pratiques de certains journalistes de tabloïd suédois. Aller débusquer des factures de collecte municipale d'ordures ayant été payées avec retard, et surtout les publier avec un ton accusateur et moralisateur pour mieux traîner dans la boue, revient quasiment à fouiller les poubelles en question. Je ne sais pas si vous étiez en Suède à cette époque-là, mais certains médias se sont acharnés sur Mona Sahlin avec une telle envie de nuire que c'en était grotesque. Alors que, je ne sais si vous approuverez, les "péchés" qu'elle a pu commettre à ce moment-là restent véniels.
Je suis d'accord avec vous pour dire que plus le seuil de tolérance est bas, moins la corruption risque de se développer. Et c'est une excellente chose qu'en Suède, n'importe qui puisse consulter les notes de frais d'un(e) responsable politique. Cela explique en partie pourquoi le pays reste parmi les mieux placés selon "l'indice de perception de la corruption" publié par Transparency International (même si la Suède est passée de la 1ère place en 2008 à la 4e ex aequo avec la Finlande cette année - la France arrivant 25ème).
Mais d'une part, les élus sont aussi des êtres humains... Il peut leur arriver d'oublier de payer une ou des factures (en Suède, la plupart d'entre eux n'ont pas, pour des raisons dont nous pourrions discuter une autre fois, de nounou à domicile pour s'occuper des enfants, pas plus qu'ils n'ont de nombreux membres de cabinet à leur disposition). Ca n'en fait pas pour autant des criminels (sauf exceptions) ni des cibles ambulantes.
D'autre part, je trouve que les médias suédois, s'ils jouent leur rôle de garde-fous dans le domaine, ont tendance à en rajouter lorsqu'ils s'emballent dans une sorte d'hystérie collective pétrie de jalousie et de politiquement correct. Je tâcherai de revenir là-dessus à la lumière de l'actualité récente dans le pays.
Bonjour Antoine,
RépondreSupprimerje suis tout à fait d'accord avec vous sur le fait qu'il s'agit de pratiques politiques et que les "péchés" de M Sahlin n'en sont pas (je crois qu'elle a simplement fait une erreur de carte bancaire). Mais je persiste à croire que commencer à composer avec ces choses finit par conduire à une certaine corruption. Il faut donc être très, trop, strict. Ceci dit, je serai heureuse de vous lire sur le politiquement correct des médias suédois que je ne connais pas.
Je profite de ce commentaire pour vous remercier des articles et entretien avec Sofi Oksanen dont je suis une grande fan depuis ma lecture de Purge, sublime roman. J'attends avec impatience la traduction en français de ses précédents livres.
Bonne journée à vou.