mercredi 29 septembre 2010

Tintin en Baltonie

Que découvrirait Tintin s'il arrivait à Riga ces jours-ci? Notre jeune reporter ne manquerait de remarquer qu'une élection se prépare. Non pas que l'air soit particulièrement enfiévré. Mais, tout de même, Tintin est perspicace: des affiches ont fleuri dans les rues de la capitale lettone, de la propagande a été diffusée, colportée, distribuée. Peut-être a-t-elle été écoutée et lue. En tous cas, samedi, on élit un nouveau Parlement.
Et ça Tintin, bien qu'il n'y connaisse pas grand-chose au rayon balte (sa spécialité, c'est la Syldavie), il se ferait un devoir de s'y intéresser de près. Alors, le temps d'écrire ces lignes, je vais me glisser dans sa peau.

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Que verrais-je avec les yeux de Tintin en Baltonie?

* Ce n'est pas la joie... Les candidats ne sourient pas, tout juste certains parviennent-ils à grimacer. C'est dans le tempérament local, paraît-il. Pas d'effets de manche (il faudra que j'avertisse la Castafiore). On veut faire sérieux avant tout. Et c'est vrai que l'heure est plutôt à la gravité, vu l'ampleur de la crise (-18% de PIB l'an dernier, la plus forte chute de toute l'UE!). Ambiance Île noire.

* Avec l'aide d'un interprète (le Tchang letton), je comprends quelques slogans ici et là. Tiens, il y a un monsieur (un certain Guntis Ulmanis, dont on me dit que c'est un ancien président de la République) qui veut mettre les intérêts de la Lettonie "par-dessus tout". Ca me rappelle vaguement des livres d'histoire... Le plus étrange, c'est que son grand-oncle, Karlis Ulmanis, avait un penchant pour la chose autoritaire dans les années 30. Il n'était pas le seul en Europe, certes, mais il avait tout de même dissous les partis politiques et le parlement (Saeima). Se pourrait-il que son petit-neveu y fasse allusion de manière subliminale? En tous cas, le parti dont il représente les couleurs s'appelle Tout pour la Lettonie!. Avec ça, si les électeurs n'ont pas compris le message.

* Ah, on me dit maintenant que ce parti, qui m'a pourtant l'air très patriotique, fait du business avec la Russie, et pas toujours de manière très claire. Est-ce possible? On me dit aussi que c'est le parti de deux oligarques lettons, deux hommes qui ont bien profité des années de flou postsoviétique pour faire du flouze avant de se lancer en politique pour promouvoir leurs intérêts. Un petit côté Trésor de Rackham le Rouge...

* Il y a un parti qui a la gentillesse de mentionner que "les gay et les transsexuels votent pour" un parti adverse. C'est attentionné ça, quelle ouverture d'esprit :) A moins que... que cela ne soit pour le discréditer? Serait-ce possible? Saperlipopette! On voit la hauteur des débats. En fait, on me précise que ce parti si délicat n'est autre que Tout pour la Lettonie! Décidément, il les accumule.

* L'Unité, le parti du premier ministre, lui, aime les flèches, les courbes, les graphiques et les pourcentages. Il y en a partout sur ses affiches! Le professeur Tournesol aimerait ça. Moi ça me donne mal à la tête. Il paraît que, parmi les gens ayant l'âge d'avoir vécu la période soviétique, on apprécie, ça fait sérieux. Et pour le coup, le premier ministre, un certain Valdis Dombrovskis, il fait vraiment premier de la classe, avec ses petites lunettes et son air concentré. On me dit que ça plait à une partie des Lettons de souche. Un type qui fait le boulot, sans la ramener, ils acceptent.

* La grosse minorité russe, elle, aimerait plutôt le genre macho, le candidat marmoréen qui rien qu'en le regardant vous donne envie de changer de trottoir. J'en ai rencontré un comme ça. Pas en vrai, heureusement, mais sur une affiche, de pied en cape. Terrible. A côté, le capitaine Haddock passerait pour une lavette. Je ne trouve pas sa photo (tant mieux pour vous). Mais avec ses gros bras croisés sur un costard gris reluisant, il avait tout l'air du videur de boite de nuit (moscovite) à qui on ne la raconte pas. Je serais curieux de voir s'il sera élu. Ce bachibouzouk risque de mettre de l'ambiance au parlement! Saeimarchera au pas...

* Le parti russophone pour lequel se présente cet olibrius serait, me dit-on, bien placé pour remporter le plus de voix, samedi. Mille milliards de mille sabords! Comment est-ce possible? Il paraît que les gens auraient tellement soupé des dirigeants qui les gouvernent depuis 20 ans qu'ils seraient prêts à voter pour l'un des rares partis en lice qui n'aient encore jamais eu le pouvoir au niveau national. Et comme il leur promet l'objectif lune... Pourtant, ils sont nombreux à affirmer que ce parti est trop proche de Moscou pour être honnête. Qu'est-ce que j'en sais moi? J'ai beau être Tintin, difficile de se faire une idée claire et nette. En tous cas, ce parti, qui s'appelle le Centre de la concorde (ou de l'harmonie, selon les traductions), fait pas mal d'efforts pour rassurer son monde. "Viss bus labi!" ("Tout ira bien"), proclame-t-il sur ses affiches. Sans nul doute le slogan phare de ces élections 2010.

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Avant de renvoyer Tintin à ses albums, je lui ai demandé de me confier ses pronostics sur l'issue des élections. Il m'a répondu qu'il n'avait pas sept boules de cristal.

6 commentaires:

  1. "Tout pour la Lettonie" aime aussi les nouvelles technologies : ce matin des milliers d'entreprises lettones ont reçu un mail de Monsieur Eriks Berzins qui les invite à voter pour l'un des membres de cette liste.
    Deux questions alors :
    1- Pourquoi seulement les entreprises ? Parce qu'en Lettonie (petit pays presque indépendant au sud de l'E-stonie) envoyer des mails publicitaires aux entreprises n'est pas répréhensible : la loi anti-spam exclut de son champ les mails sériels envoyés aux personnes morales.

    2- Pourquoi et pour qui faut-il voter selon M. Berzins ?
    Pour Andris Skele : plusieurs fois ministre et premier ministre, selon M. Berzins, il a sauvé deux fois le pays de la crise. Bon, réfléchissons... Première crise ? en 1998 avec la crise du rouble ? Bizarrement, il était premier ministre juste avant et juste après (en plus, il avait surtout la chance d'avoir un très bon gouverneur de la banque centrale). La deuxième fois ? Ben on cherche encore : lors de son deuxième mandat, il a passé son temps à présenter sa démission.

    Et il n'en a presque pas profité : il est juste devenu le principal actionnaire des principaux combinats laitiers lettons et donc le "commandeur" de la principale ressource agro-alimentaire du pays (tout en gardant de fructueux contacts avec des producteurs de boissons moins saines : http://www.pap.lv/main.php?v=2&k=46&p=1&r=147). Et puis, il a juste un peu mis d'argent de côté en profitant de l'installation de la télévision numérique terrestre. Mais c'est un honnête homme : il n'a fait ça que pour le bien de sa famille (http://www.baltic-course.com/eng/markets_and_companies/?doc=27995) et pour celui de ses amis actionnaires laitiers (voir liste des autres mis en examen dans ce dossier).
    Au moins a-t-il du répondant : sa fortune personnelle est estimée à 60 millions d'Euros et ne fait de lui après tout que le 15ème plus riche letton.
    Mais, me direz-vous, qui est Eriks Berzins et où est le rapport à Tintin ?
    Notre bien-pensant spammeur est en fait un personnage d'une B.D. de propagande de "Tout pour la Lettonie" publiée dans le journal de campagne du parti.

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  2. C'est l'histoire de Rastapopoulos que vous nous racontez là!
    Plus sérieusement, j'ai l'impression que bon nombre de Lettons ne se font plus guère d'illusions quant à cet homme d'affaires. Il pensait que son retour sur le devant de la scène politique allait suffire à doper son parti. Il y a un frémissement mais certainement pas le sursaut espéré par ledit Andris Skele et ses associés.
    Je suis tout de même curieux de savoir si la mobilisation tous azimuts de "Tout pour la Lettonie" va finir par payer in extremis. L'initiative dont vous parlez (le mail collectif adressé à de nombreuses entreprises, dont je n'ai personnellement pas entendu parler jusqu'à présent) montre que ce parti peut encore surprendre...
    S'il parvient à convaincre tous ses relais d'influence, anciens ou actuels, et tous ceux qui savent qu'un jour, il pourrait leur être utile, il n'est pas exclu du tout que ce parti fasse un score moins faible que ne le prédisent les instituts de sondage. Instituts dont la fiabilité me semblent incertaine, étant donné la propension des gens à garder leurs intimes convictions pour eux.
    Rendez-vous donc après le scrutin.
    Lacitis, vous pouvez aussi me joindre par email à l'adresse mentionnée dans mon "profil complet".

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  3. Une info peut être un peu moins crédible, quoique... L'un de mes apprentis lettons me dit ce matin qu'il va aller voter pour gagner de l'argent. Je lui demande comment et il me répond que le parti en question propose 20 Ls cash aux élèves majeurs de son école.
    En se basant sur les élections précédentes, on voit ainsi qu'il suffirait de dépenser 5 millions de lats pour s'offrir une majorité et un gouvernement. Quand on sait qu'un sénateur américain coûte de 5 à 20 millions de dollars, c'est vraiment bon marché...
    Si c'est vrai, la question du monitoring post-adhésion à l'UE reste pleinement d'actualité et l'OSCE serait sans doute en droit de se (ré-)intéresser à la Lettonie.
    Cela dit, les légendes urbaines vont bon train ici, même dans la campagne lettone et cette campagne électorale a le mérite de remuer en profondeur les sentiments et ressentiments de toutes les classes lettones.
    Dans 24 heures, nous en saurons un peu plus.

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  4. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

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  5. Petit addendum concernant la démarche d'Andris Skele.
    L'alliance au sein de "tout pour la Lettonie" marie la carpe et le chou (quoique ni Skele, ni Slesers ne peuvent être qualifié de l'un ou de l'autre, et dire qu'Ulmanis pourrait l'être des deux serait être mauvaise langue). Mais il existe un point commun entre les deux hommes : par le biais du système électoral letton, ils ont réussi à se maintenir dans l'appareil du pouvoir depuis une douzaine d'années.
    Incontournables, ils ont été, sinon de tous les gouvernements, du moins toujours très proche. Tous les deux sont représentatifs du pont culturel est-ouest : ils maîtrisent aussi bien le renvoi d'ascenseur à l'occidentale que le "kompromat" à la russe. Ceci leur a permis d'installer des relais de pouvoir dans un grand nombre de sociétés privées ou publiques, au sein du parlement et dans diverses institutions.
    Ils leur importe sans doute peu que leur parti ad-hoc (une grande spécialité de la politique lettone) fasse un bon résultat, du moment qu'il leur permet d'être ré-élus et de placer quelques pions sur l'échiquier de la Saeima, et ainsi de conserver leur position dominante sur les affaires (et accessoirement pour Skele de pouvoir peser sur un procès qui ne va pas vraiment bien pour lui).

    Un autre acteur joue un jeu extrêmement semblable : Ainars Lembergs, le maire de Ventspils, qui s'amuse autant avec le pétrole qu'avec les média (actionnaire important -pour ne pas dire gérant de fait, mais nous n'avons pas accès au registre des sociétés de Bélize- de A/S Ventbunkers et A/S Venstpils Nafta, les participations croisées lui donnent aussi la barre sur Mediju Nams et donc sur Neatkariga rita avize, Vakaras zinas, Rigas balss et divers titres régionaux mais aussi sur Lauku Avize et Latvijas Avize. Ce dernier ayant le rôle de "journal officiel" aussi bien que d'organe d'informations générales, quant il n'est pas le porte voix du "Parti des Verts et des Paysans" -source : bases de données Lursoft).
    Les démêlées de Lembergs avec la justice helvétique et le parquet letton n'ont pas permis de déterminer s'il était aussi propriétaire du "Petit XXème" (restons tintinophiles), mais ont démontré soit la souplesse du contrôle judiciaire, soit l'extrême étendue de la résidence à laquelle il était assigné.
    Les Rastapopouli sont donc légion.

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  6. @Lacitis: merci pour ces nouveaux commentaires "initiés". J'apporte des éléments de réponse dans le billet que je viens de publier aujourd'hui sur ce blog. A bientôt, Ourson, pour de nouvelles remarques pertinentes?

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