Who cares? Ce ballet créé par Balanchine sur une musique de Gershwin sera l'un des clous du bal du Nouvel An qui, à l'opéra de Tallinn, marquera la fin de l'année 2010 et l'entrée, au 12e coup de minuit, de l'Estonie dans la zone euro.
Etrange choix, ce Who cares? Non pas sur le plan musical (j'aime bien Gershwin). Mais à cause de la symbolique du titre du ballet, qui sera présenté ce soir juste avant minuit, en présence du gratin politico-mondain d'Estonie et des premiers ministres des trois Etats baltes.
J'ai du mal à croire que ce choix n'ait pas une signification particulière. Mais lequel? Who cares? Qui s'en fout? De qui, de quoi?
J'imagine que, dans la tête des Estoniens ayant sélectionné cette oeuvre, on aimerait bien répondre de la sorte aux commentaires moqueurs et aux élans de surprise que suscite, ici et là, l'entrée de ce pays balte dans une zone monétaire, il est vrai, passablement bousculée...
J'ai relevé quelques titres d'articles sur internet:
- Ils sont fous ces Estoniens!
- L'Estonie s'éloigne de Moscou en adoptant l'euro au pire moment
- Welcome, Estonia, to flawed euroland
* * *
J'admets que, vu de loin, cette adhésion estonienne à la zone euro peut paraître à contre-temps (euphémisme) ou suicidaire (exagération). J'ai essayé, dans un article publié ce matin par La Croix, d'expliquer et de mettre en perspective le ralliement de l'Estonie. A chacun de se faire son opinion.
A mon avis, ce pays n'avait guère d'autres choix que de s'arrimer à l'espace monétaire européen. Une devise comme la kroon, la couronne estonienne, peut-elle survivre à terme dans un monde de plus en plus global? Sur quelles bases? Imaginez que l'économie estonienne ne génère que 600 000 emplois. Et le pays a beau se prévaloir d'un bilan étonnant en matière de déficit budgétaire et d'endettement public, celui-ci n'est pas à l'abri de soubresauts venant de l'extérieur. Bien qu'individualiste par caractère, je dois reconnaître que bien souvent, l'union fait la force...
Je comprends aussi fort bien que les Estoniens voient dans cette appartenance à la zone euro une assurance supplémentaire face au grand voisin russe dont on ne sait toujours pas comment il évoluera. C'est là l'une des, si ce n'est LA principale raison qui explique la volonté estonienne de rejoindre le noyau dur de l'UE, en dépit des incertitudes actuelles quant à son avenir.
* * *
Dans le même temps, j'entends bien quelques-uns des arguments des rares militants eurosceptiques estoniens. Celui que j'ai rencontré il y a quelques jours à Tallinn (Anti Poolamets) a tout d'un Zébulon provocateur qui se stimule en débitant à haute voix des rafales d'idées et de formules. Le voici posant devant une des affiches de son cru, assimilant la zone euro au Titanic:
Si j'ai du mal à ne pas tiquer en l'entendant comparer l'euro au rouble soviétique et les eurocrates aux affidés de Vladimir Poutine, je reconnais qu'il n'a pas tort sur d'autres points, même si ses arguments peuvent souvent être contrés.
Oui, le gouvernement estonien tait les aspects négatifs de l'abandon de la devise nationale (mais ça ne veut pas dire qu'il n'en est pas conscient... et puis c'est de bonne guerre, il ne va pas clamer sur tous les toits que le pays s'apprête à monter à bord d'un rafiot en difficulté).
Oui, il n'a pas consulté la population sur cette étape importante (mais l'adhésion à l'euro était prévue par le traité d'adhésion à l'UE), qui plus est à un moment très délicat dans la courte histoire de la monnaie européenne.
Oui, le passage à l'euro peut paraître imposé d'en haut (mais les députés estoniens qui ont approuvé cette décision n'ont-ils pas été élus par le peuple?).
Oui, les Estoniens ont dû, une nouvelle fois, se serrer la ceinture pour que le gouvernement puisse présenter un dossier de candidature acceptable par les membres de la zone euro.
Oui, les billets de banque estoniens sont esthétiquement plus réussis que les euros. Sans parler de la symbolique de l'indépendance qu'ils véhiculent (la kroon a été créée en 1992, juste après la sortie de l'URSS).
* * *
Pour l'instant, des gens comme Anti Poolamets semblent prêcher dans un désert (blanc) d'indifférence ou de lassitude. Dans les bourrasques de neige qui soufflent sur cette contrée, il y a une petite voix qui siffle "puisque la décision est prise et que l'Europe nous ouvre les portes de l'euro, allons-y, on verra plus tard". Depuis des mois, d'ailleurs, les Estoniens s'y préparent sans trop se poser de questions, notamment en affichant les prix des produits en couronnes et en euros, comme à la cafétéria de l'université de Tallinn:
La monnaie européenne est loin d'être la panacée. De toute façon, il n'existe pas de solution magique ni parfaite. Il est donc probable qu'une fois le pays entré dans la zone euro, les arguments eurosceptiques gagneront en popularité parmi les Estoniens. Il sera alors temps d'en reparler.
En attendant, le moment est venu de dire Tere euro!... Salut l'euro!
vendredi 31 décembre 2010
lundi 13 décembre 2010
Le Nobel de la paix, choc de civilisations
Ainsi le prix Nobel de la paix a-t-il été décerné à une chaise vide (photo AFP), pour la 1ère fois depuis 1935. Cela s'est passé vendredi à Oslo. Le dissident chinois Liu Xiaobo est emprisonné dans son pays. Pas même une épouse ni un frère pour venir recevoir le prix en son nom. La cérémonie s'est déroulée sous son regard: une grande photo du prisonnier trônait sur l'estrade. Au lieu du traditionnel discours du récipiendaire, Liv Ullmann a lu un texte pétri d'idéalisme, écrit par le lauréat.
Alors que les tapis rouges ont été remisés jusqu'à la prochaine cérémonie, le 10 décembre prochain, et que l'hôtel de ville a retrouvé sa quiétude habituelle, quelques réflexions sur l'édition 2010 du Nobel de la paix, avant qu'il ne disparaisse dans le tout venant de l'actualité (l'attentat de Stockholm de samedi m'occupe pas mal).
Commençons par le lauréat, Liu Xiaobo. Sa vie quotidienne n'aura pas été bouleversée par l'attribution du prix, annoncée le 8 octobre dernier. Il lui reste, en principe, un peu plus de 10 années à passer derrière les barreaux, loin de Pékin, de sa femme, de ses amis. Fin décembre 2009, la justice chinoise l'a condamné à 11 ans de prison pour avoir cosigné un appel à plus de démocratie en Chine (la Charte 08). Aucune amélioration à attendre de ce côté-ci, du moins tant que le régime chinois restera sur la même ligne.
La stature de Liu Xiaobo (interviewé ici en 2004 par un journaliste du Temps) sort néanmoins renforcée par le prix Nobel. Grâce à lui, il est devenu à l'étranger le symbole de l'oppression chinoise à l'encontre de ceux qui militent en faveur d'une plus grande liberté d'expression. Ce pays a beau devenir incontournable sur la scène économique et diplomatique mondiale, il n'est pas à la hauteur de ce nouveau statut dans le domaine des droits de l'homme.
La Chine donc. Le Nobel a contribué à mettre un peu plus la pression sur ce pays, tout du moins dans l'opinion publique. Au niveau des gouvernements, peu sont ceux qui, dans le monde occidental, osent désormais aborder clairement la question des droits de l'homme lors de rencontres avec les hauts représentants officiels chinois. A priori, l'attribution du prix ne changera rien à cette realpolitik. Au contraire, le poids croissant de la Chine devrait peu à peu anesthésier les velléités de critiques vis-à-vis de Pékin. On l'a vu à Oslo, plus d'un tiers des États disposant d'une ambassade dans cette capitale ont décliné l'invitation du Comité Nobel à assister à la cérémonie de vendredi (cf mon article dans La Croix). Y compris des pays qui aspirent à adhérer à l'UE: la Serbie et l'Ukraine (laquelle a décidé, in extremis, d'être représentée).
Malgré la montée en puissance de la Chine, malgré les courbettes des politiques et des hommes d'affaires occidentaux qui lorgnent sur ce marché gigantesque, Pékin a réagi de manière très vigoureuse dans cette affaire. Un homme seul et emprisonné représenterait-il donc une réelle menace pour ce pays d'1,3 milliard d'habitants dirigé d'une main de fer? En tous cas, le symbole Liu Xiaobo n'est pas sous-estimé par les gouvernants, à en juger par leurs efforts en vue de réduire la portée du prix et la légitimité des Norvégiens l'ayant attribué, qualifiés de "clowns" par une porte-parole officielle (photo). Cette crispation, selon certains experts (dont la sinologue Marie Holzman), traduirait l'existence de dissensions internes sur la direction politique à donner au régime. Le point de vue officiel chinois, pas inintéressant, est expliqué ici en anglais (une tribune de l'ambassadeur à Oslo publiée par le quotidien norvégien Aftenposten).
Et l'institution du Nobel, comment s'en sort-elle dans cette affaire? Une nouvelle fois, le Comité Nobel norvégien est persuadé d'avoir marqué l'histoire de cette récompense plus que centenaire. Le prix 2010 est "considéré par beaucoup comme l'un des plus importants dans l’histoire du Nobel de la paix", avec ceux décernés à l'Allemand Carl von Ossietzky (1935), au Soviétique Andreï Sakharov (1975), au Polonais Lech Walesa (1983) et à la Birmane Aung San Suu Kyi (1991), me déclarait le secrétaire du Comité, Geir Lundestad (photo), peu avant la cérémonie (voir cet autre article paru depuis dans La Croix).
Ce qui est sûr, c'est que l'institution norvégienne, composée de cinq personnalités élues par le parlement d'Oslo, s'est attaquée à un gros morceau. En 1989, elle avait déjà considérablement irrité Pékin en récompensant le dalaï-lama. Près de vingt ans plus tard, elle a remis sur le métier l'ouvrage, mais dans un contexte différent: si la République populaire ne s'est guère assouplie depuis l'année de la répression du mouvement de Tienanmen, elle est désormais mieux armée pour faire valoir ses intérêts dans le monde.
Je ne peux m'empêcher de voir aussi dans la récompense à Liu Xiaobo un moyen de se refaire une santé après son choix plus contestable - de mon point de vue de Français - de l'an dernier: Barack Obama. Quoi qu'ait pu en dire après coup Geir Lundestad (notamment dans l'entretien qu'il m'avait accordé pour la revue Politique internationale), l'attribution du prix à un président américain (photo) n'ayant pas eu le temps de faire ses preuves et qui, de surcroît, venait d'envoyer des renforts militaires sur le front afghan n'a pas été des plus heureux. Alors qu'avec le dissident chinois, le Comité Nobel endosse la tenue, plus consensuelle à l'Ouest, du Petit poucet face au gros méchant dragon jaune. Dans les deux cas, il passe pour une institution défendant avant tout les valeurs occidentales dans un monde dont le centre de gravité échappe de plus en plus à cette sphère de pensée.
Il est trop tôt sans doute pour prédire la diminution progressive de la portée du prix Nobel de la paix. Mais au fur et à mesure que l'influence des pays dits "civilisés" et autres "patries" des droits de l'homme ira en s'amenuisant, le poids d'une telle récompense n'est-il pas voué à diminuer? A moins que le monde occidental ne parvienne à convertir les pays émergents/émergés aux valeurs démocratiques, aux droits de l'homme, à la liberté d'expression, à la transparence qu'il prône tant, sans toujours les appliquer à lui-même... C'est un gant que le Comité Nobel prétend, à sa mesure, vouloir relever. Reparlons en dans quelques années. Et voyons ce qu'il adviendra, en parallèle, du tout nouveau prix Confucius de la paix, lancé la semaine dernière par une organisation chinoise avec l'ambition d'en faire un contre-Nobel.
Alors que les tapis rouges ont été remisés jusqu'à la prochaine cérémonie, le 10 décembre prochain, et que l'hôtel de ville a retrouvé sa quiétude habituelle, quelques réflexions sur l'édition 2010 du Nobel de la paix, avant qu'il ne disparaisse dans le tout venant de l'actualité (l'attentat de Stockholm de samedi m'occupe pas mal).
Commençons par le lauréat, Liu Xiaobo. Sa vie quotidienne n'aura pas été bouleversée par l'attribution du prix, annoncée le 8 octobre dernier. Il lui reste, en principe, un peu plus de 10 années à passer derrière les barreaux, loin de Pékin, de sa femme, de ses amis. Fin décembre 2009, la justice chinoise l'a condamné à 11 ans de prison pour avoir cosigné un appel à plus de démocratie en Chine (la Charte 08). Aucune amélioration à attendre de ce côté-ci, du moins tant que le régime chinois restera sur la même ligne.
La stature de Liu Xiaobo (interviewé ici en 2004 par un journaliste du Temps) sort néanmoins renforcée par le prix Nobel. Grâce à lui, il est devenu à l'étranger le symbole de l'oppression chinoise à l'encontre de ceux qui militent en faveur d'une plus grande liberté d'expression. Ce pays a beau devenir incontournable sur la scène économique et diplomatique mondiale, il n'est pas à la hauteur de ce nouveau statut dans le domaine des droits de l'homme.
La Chine donc. Le Nobel a contribué à mettre un peu plus la pression sur ce pays, tout du moins dans l'opinion publique. Au niveau des gouvernements, peu sont ceux qui, dans le monde occidental, osent désormais aborder clairement la question des droits de l'homme lors de rencontres avec les hauts représentants officiels chinois. A priori, l'attribution du prix ne changera rien à cette realpolitik. Au contraire, le poids croissant de la Chine devrait peu à peu anesthésier les velléités de critiques vis-à-vis de Pékin. On l'a vu à Oslo, plus d'un tiers des États disposant d'une ambassade dans cette capitale ont décliné l'invitation du Comité Nobel à assister à la cérémonie de vendredi (cf mon article dans La Croix). Y compris des pays qui aspirent à adhérer à l'UE: la Serbie et l'Ukraine (laquelle a décidé, in extremis, d'être représentée).
Malgré la montée en puissance de la Chine, malgré les courbettes des politiques et des hommes d'affaires occidentaux qui lorgnent sur ce marché gigantesque, Pékin a réagi de manière très vigoureuse dans cette affaire. Un homme seul et emprisonné représenterait-il donc une réelle menace pour ce pays d'1,3 milliard d'habitants dirigé d'une main de fer? En tous cas, le symbole Liu Xiaobo n'est pas sous-estimé par les gouvernants, à en juger par leurs efforts en vue de réduire la portée du prix et la légitimité des Norvégiens l'ayant attribué, qualifiés de "clowns" par une porte-parole officielle (photo). Cette crispation, selon certains experts (dont la sinologue Marie Holzman), traduirait l'existence de dissensions internes sur la direction politique à donner au régime. Le point de vue officiel chinois, pas inintéressant, est expliqué ici en anglais (une tribune de l'ambassadeur à Oslo publiée par le quotidien norvégien Aftenposten).
Et l'institution du Nobel, comment s'en sort-elle dans cette affaire? Une nouvelle fois, le Comité Nobel norvégien est persuadé d'avoir marqué l'histoire de cette récompense plus que centenaire. Le prix 2010 est "considéré par beaucoup comme l'un des plus importants dans l’histoire du Nobel de la paix", avec ceux décernés à l'Allemand Carl von Ossietzky (1935), au Soviétique Andreï Sakharov (1975), au Polonais Lech Walesa (1983) et à la Birmane Aung San Suu Kyi (1991), me déclarait le secrétaire du Comité, Geir Lundestad (photo), peu avant la cérémonie (voir cet autre article paru depuis dans La Croix).
Ce qui est sûr, c'est que l'institution norvégienne, composée de cinq personnalités élues par le parlement d'Oslo, s'est attaquée à un gros morceau. En 1989, elle avait déjà considérablement irrité Pékin en récompensant le dalaï-lama. Près de vingt ans plus tard, elle a remis sur le métier l'ouvrage, mais dans un contexte différent: si la République populaire ne s'est guère assouplie depuis l'année de la répression du mouvement de Tienanmen, elle est désormais mieux armée pour faire valoir ses intérêts dans le monde.
Je ne peux m'empêcher de voir aussi dans la récompense à Liu Xiaobo un moyen de se refaire une santé après son choix plus contestable - de mon point de vue de Français - de l'an dernier: Barack Obama. Quoi qu'ait pu en dire après coup Geir Lundestad (notamment dans l'entretien qu'il m'avait accordé pour la revue Politique internationale), l'attribution du prix à un président américain (photo) n'ayant pas eu le temps de faire ses preuves et qui, de surcroît, venait d'envoyer des renforts militaires sur le front afghan n'a pas été des plus heureux. Alors qu'avec le dissident chinois, le Comité Nobel endosse la tenue, plus consensuelle à l'Ouest, du Petit poucet face au gros méchant dragon jaune. Dans les deux cas, il passe pour une institution défendant avant tout les valeurs occidentales dans un monde dont le centre de gravité échappe de plus en plus à cette sphère de pensée.
Il est trop tôt sans doute pour prédire la diminution progressive de la portée du prix Nobel de la paix. Mais au fur et à mesure que l'influence des pays dits "civilisés" et autres "patries" des droits de l'homme ira en s'amenuisant, le poids d'une telle récompense n'est-il pas voué à diminuer? A moins que le monde occidental ne parvienne à convertir les pays émergents/émergés aux valeurs démocratiques, aux droits de l'homme, à la liberté d'expression, à la transparence qu'il prône tant, sans toujours les appliquer à lui-même... C'est un gant que le Comité Nobel prétend, à sa mesure, vouloir relever. Reparlons en dans quelques années. Et voyons ce qu'il adviendra, en parallèle, du tout nouveau prix Confucius de la paix, lancé la semaine dernière par une organisation chinoise avec l'ambition d'en faire un contre-Nobel.
vendredi 3 décembre 2010
WikiLeaks éclaire les bisbilles scandinaves
WikiLeaks est de nouveau sur mon agenda. L'Express me propose de glaner des informations pour un article en cours de préparation à Paris. Je tente de démêler le pan suédois (à mon avis, le moins passionnant) du cas Julian Assange. Difficile d'apporter quelque chose de neuf, lorsque beaucoup a déjà été dit et écrit sur les (présumés) dérapages sexuels du cofondateur du site WikiLeaks. L'avocat suédois de l'Australien, Me Björn Hurtig, est presque aussi muet que la procureure en charge. Il est vrai que l'affaire (résumée ici par l'AFP) est confuse et sensible et que tout propos risque d'être exploité par les différentes parties.
La dernière livraison en date de documents confidentiels américains publiés par WikiLeaks - du moins ce que l'on en sait - nous apporte des éléments beaucoup plus intéressants dans une perspective nordique. C'est de cela dont je veux parler aujourd'hui. Les télégrammes des ambassades des Etats-Unis à Oslo et à Stockholm, rendu publics par le site honni par Washington et pas mal d'autres capitales, lèvent un coin de voile sur le jeu ayant entouré la décision norvégienne d'acquérir des F-35 américains pour remplacer, dans la seconde moitié des années 2010, ses F-16 vieillissants.
Annoncée en novembre 2008, cette décision prise au détriment du JAS Gripen suédois a, vous vous en doutez, une portée qui excède celle d'un simple contrat industriel, même si la somme en jeu n'est pas anecdotique (environ 2 milliards d'euros pour 48 appareils). Car le choix d'Oslo a donné un coup de frein sérieux, au moins de manière temporaire, à l'élan de coopération nordique qui se dessinait en matière de défense. Il a aussi, semble-t-il, douché les espoirs d'une coordination basée sur une vraie confiance mutuelle entre ces pays sur d'autres dossiers. Les bisbilles régionales ne sont pas prêtes de cesser.
Parlons d'abord canons et obus. Depuis quelques années, les gouverne- ments nordiques taillent dans leurs budgets défense respectifs et tentent de réformer des armées bâties pour la Guerre froide. Les Nordiques ne pourraient-ils pas faire char ou avion commun dans le "nouveau monde" issu de la disparition de l'URSS? L'idée a d'abord semblé saugrenue pour cause de d'incompatibilités entre les neutres (Finlande, Suède) et les membres de l'Otan (Danemark, Islande, Norvège). Puis elle a fait son chemin, avant d'être promue par un rapport pondu par un ancien ministre norvégien de la défense et des affaires étrangères. Thorvald Stoltenberg (le père de Jens, l'actuel premier ministre) a voulu y aborder sans tabou les différents moyens pour les Nordiques de mieux coordonner sur le terrain leurs politiques de défense et de sécurité.
Si les idées de Stoltenberg senior devaient avoir une certaine substance, le gouvernement dirigé par son fiston travailliste n'était-il pas "obligé" de commander le JAS Gripen, qui équipe déjà l'armée suédoise? La Norvège était attendue au tournant. D'autant que, comme le serinait Saab (son maître d'oeuvre), l'appareil suédois avait déjà ses preuves: il a été commandé, entre autres, par l'Afrique du Sud et la Thaïlande, qui l'exploitent au quotidien, contrai- rement au F-35 encore en cours de dévelop- pement. Qui plus est, l'appareil suédois (photo) représentait, sur le papier, l'avantage d'être moins cher que l'américain.
C'était sans compter avec quelques paramètres qui ont fait la différence:
* Le prix des avions n'est pas l'élément le plus décisif pour un pays devenu très riche grâce au pétrole.
* La proximité géographique, culturelle, linguistique, historique, etc. n'est pas un argument suffisant pour vendre un avion de guerre.
* Les vieux liens entre Oslo et Washington, tissés de longue date et particulièrement durant la Guerre froide, ne sont pas aussi distendus que ne l'espéraient les Suédois (eux aussi très proches des Américains, en dépit d'une non-appartenance à l'Otan). Certes, le gouvernement en poste depuis 2005 est une coalition de centre gauche censée être moins proaméricaine qu'une alternative de centre droite, mais dès lors que les intérêts géopolitiques du royaume sont en jeu...
* Un pays membre de l'Alliance atlantique a tendance à acheter du matériel "compatible Otan", donc construit par un autre Etat membre. Un atout pour le F-35 même si une bonne partie des pièces du JAS Gripen sont en fait d'origine américaine.
* Les Suédois ont pris leurs désirs pour des réalités.
Après deux ans de réflexion, Oslo finit donc par opter (oh surprise!) pour l'appareil américain (photo), en l'estimant supérieur au suédois sur tous les points. Grise mine à Stockholm. Les Suédois s'en étonnèrent en public et en privé, persuadés que leurs cousins norvégiens avaient lu trop rapidement le mode d'emploi du JAS Gripen. Dégât colatéral: l'espoir d'une coopération nordique en matière de défense en prit un coup, que certains tentent depuis de revigorer, par des petits pas concrets ou par des déclarations d'intention volontairement provocantes (je vous invite à lire mon récent article publié dans L'Express).
* * *
Que nous apprennent les documents américains publiés désormais grâce à WikiLeaks?
A en croire les télégrammes des ambassades à Oslo et à Stockholm, dont le quotidien suédois Aftonbladet a publié des extraits dans son édition du 3 décembre, le gouvernement norvégien a nettement moins tergiversé qu'il ne l'a laissé entendre aux Suédois. On découvre notamment que, dès le 23 octobre 2008, alors qu'Oslo affirmait publiquement encore évaluer le dossier JAS Gripen, le secrétaire d'Etat à la défense (Espen Barth Eide) a "donné tous les signaux selon lesquels le F-35 serait choisi", lors d'une rencontre avec un général américain (Roger Brady). Le lendemain même, c'était au tour du ministre des affaires étrangères (Jonas Gahr Støre) de confier à l'ambassadeur américain (Benson Whitney) que "si nous ne faisons pas d'erreur, tout ira bien". Ce n'était pourtant pas gagné d'avance, étant donné la publicité négative dont avait initialement souffert le F-35.
Le 20 novembre 2008, quelques heures après que le ministre suédois de la défense (Sten Tolgfors) se fut exprimé de manière optimiste quant aux chances du JAS Gripen, le choix de son rival américain était annoncé officiellement par le gouvernement d'Oslo.
Les amicales pressions améri- caines, retracées dans les télégram- mes confi- dentiels cités par Aftonbladet, se sont donc révélé d'une grande efficacité. En filigrane se profile aussi le travail de détection et de conquête d'un allié dans la place. A Oslo, l'ambassade américaine (photo) a repéré Espen Barth Eide, alors considéré comme l'un des brillants représentants de la jeune garde travailliste. Celui-ci fit l'objet, selon les mêmes sources, d'un rapport destiné entre autres à la CIA et aux services de renseignements militaires américains: ses points forts et ses faiblesses, ses ambitions (un poste aux Nations unies), ses centres d'intérêt privés, etc. Depuis sa mise en cause par les documents publiés par WikiLeaks, l'intéressé a démenti avoir donné de quelconques signaux aux diplomates américains.
Et pour être sûre de bien savonner la planche suédoise, l'ambassade américaine à Stockholm avait, en juillet 2008, plaidé en faveur (et obtenu) le report très opportun d'une décision de Washington quant à la vente d'un système radar made in USA dont les Suédois voulaient doter leur JAS Gripen. Pas de décision sur le radar américain? Il était donc encore moins intéressant pour les Norvégiens d'acheter l'avion suédois!
Ce petit déballage proposé par WikiLeaks n'est pas une surprise pour les experts militaires. La vente d'armes n'a jamais été une affaire de saints (Saab en sait quelque chose, lui qui a été soupçonné d'avoir - avec son ex-partenaire britannique BAE Systems - versé des pots-de-vin pour la vente du même Gripen, comme évoqué ici ou là). Mais voir des détails du genre passer de l'état de simples suppositions/rumeurs à celui d'informations étayées par des documents confidentiels (non-démentis par les autorités américaines) n'est pas le moindre intérêt des fuites organisées par WikiLeaks, quelles que soient les réserves qu'on puisse avoir sur les motivations de cette organisation et sur le bien-fondé de l'hypothétique "transparence totale" dont elle s'est fait l'apôtre.
La dernière livraison en date de documents confidentiels américains publiés par WikiLeaks - du moins ce que l'on en sait - nous apporte des éléments beaucoup plus intéressants dans une perspective nordique. C'est de cela dont je veux parler aujourd'hui. Les télégrammes des ambassades des Etats-Unis à Oslo et à Stockholm, rendu publics par le site honni par Washington et pas mal d'autres capitales, lèvent un coin de voile sur le jeu ayant entouré la décision norvégienne d'acquérir des F-35 américains pour remplacer, dans la seconde moitié des années 2010, ses F-16 vieillissants.
Annoncée en novembre 2008, cette décision prise au détriment du JAS Gripen suédois a, vous vous en doutez, une portée qui excède celle d'un simple contrat industriel, même si la somme en jeu n'est pas anecdotique (environ 2 milliards d'euros pour 48 appareils). Car le choix d'Oslo a donné un coup de frein sérieux, au moins de manière temporaire, à l'élan de coopération nordique qui se dessinait en matière de défense. Il a aussi, semble-t-il, douché les espoirs d'une coordination basée sur une vraie confiance mutuelle entre ces pays sur d'autres dossiers. Les bisbilles régionales ne sont pas prêtes de cesser.
Parlons d'abord canons et obus. Depuis quelques années, les gouverne- ments nordiques taillent dans leurs budgets défense respectifs et tentent de réformer des armées bâties pour la Guerre froide. Les Nordiques ne pourraient-ils pas faire char ou avion commun dans le "nouveau monde" issu de la disparition de l'URSS? L'idée a d'abord semblé saugrenue pour cause de d'incompatibilités entre les neutres (Finlande, Suède) et les membres de l'Otan (Danemark, Islande, Norvège). Puis elle a fait son chemin, avant d'être promue par un rapport pondu par un ancien ministre norvégien de la défense et des affaires étrangères. Thorvald Stoltenberg (le père de Jens, l'actuel premier ministre) a voulu y aborder sans tabou les différents moyens pour les Nordiques de mieux coordonner sur le terrain leurs politiques de défense et de sécurité.
Si les idées de Stoltenberg senior devaient avoir une certaine substance, le gouvernement dirigé par son fiston travailliste n'était-il pas "obligé" de commander le JAS Gripen, qui équipe déjà l'armée suédoise? La Norvège était attendue au tournant. D'autant que, comme le serinait Saab (son maître d'oeuvre), l'appareil suédois avait déjà ses preuves: il a été commandé, entre autres, par l'Afrique du Sud et la Thaïlande, qui l'exploitent au quotidien, contrai- rement au F-35 encore en cours de dévelop- pement. Qui plus est, l'appareil suédois (photo) représentait, sur le papier, l'avantage d'être moins cher que l'américain.
C'était sans compter avec quelques paramètres qui ont fait la différence:
* Le prix des avions n'est pas l'élément le plus décisif pour un pays devenu très riche grâce au pétrole.
* La proximité géographique, culturelle, linguistique, historique, etc. n'est pas un argument suffisant pour vendre un avion de guerre.
* Les vieux liens entre Oslo et Washington, tissés de longue date et particulièrement durant la Guerre froide, ne sont pas aussi distendus que ne l'espéraient les Suédois (eux aussi très proches des Américains, en dépit d'une non-appartenance à l'Otan). Certes, le gouvernement en poste depuis 2005 est une coalition de centre gauche censée être moins proaméricaine qu'une alternative de centre droite, mais dès lors que les intérêts géopolitiques du royaume sont en jeu...
* Un pays membre de l'Alliance atlantique a tendance à acheter du matériel "compatible Otan", donc construit par un autre Etat membre. Un atout pour le F-35 même si une bonne partie des pièces du JAS Gripen sont en fait d'origine américaine.
* Les Suédois ont pris leurs désirs pour des réalités.
Après deux ans de réflexion, Oslo finit donc par opter (oh surprise!) pour l'appareil américain (photo), en l'estimant supérieur au suédois sur tous les points. Grise mine à Stockholm. Les Suédois s'en étonnèrent en public et en privé, persuadés que leurs cousins norvégiens avaient lu trop rapidement le mode d'emploi du JAS Gripen. Dégât colatéral: l'espoir d'une coopération nordique en matière de défense en prit un coup, que certains tentent depuis de revigorer, par des petits pas concrets ou par des déclarations d'intention volontairement provocantes (je vous invite à lire mon récent article publié dans L'Express).
* * *
Que nous apprennent les documents américains publiés désormais grâce à WikiLeaks?
A en croire les télégrammes des ambassades à Oslo et à Stockholm, dont le quotidien suédois Aftonbladet a publié des extraits dans son édition du 3 décembre, le gouvernement norvégien a nettement moins tergiversé qu'il ne l'a laissé entendre aux Suédois. On découvre notamment que, dès le 23 octobre 2008, alors qu'Oslo affirmait publiquement encore évaluer le dossier JAS Gripen, le secrétaire d'Etat à la défense (Espen Barth Eide) a "donné tous les signaux selon lesquels le F-35 serait choisi", lors d'une rencontre avec un général américain (Roger Brady). Le lendemain même, c'était au tour du ministre des affaires étrangères (Jonas Gahr Støre) de confier à l'ambassadeur américain (Benson Whitney) que "si nous ne faisons pas d'erreur, tout ira bien". Ce n'était pourtant pas gagné d'avance, étant donné la publicité négative dont avait initialement souffert le F-35.
Le 20 novembre 2008, quelques heures après que le ministre suédois de la défense (Sten Tolgfors) se fut exprimé de manière optimiste quant aux chances du JAS Gripen, le choix de son rival américain était annoncé officiellement par le gouvernement d'Oslo.
Les amicales pressions améri- caines, retracées dans les télégram- mes confi- dentiels cités par Aftonbladet, se sont donc révélé d'une grande efficacité. En filigrane se profile aussi le travail de détection et de conquête d'un allié dans la place. A Oslo, l'ambassade américaine (photo) a repéré Espen Barth Eide, alors considéré comme l'un des brillants représentants de la jeune garde travailliste. Celui-ci fit l'objet, selon les mêmes sources, d'un rapport destiné entre autres à la CIA et aux services de renseignements militaires américains: ses points forts et ses faiblesses, ses ambitions (un poste aux Nations unies), ses centres d'intérêt privés, etc. Depuis sa mise en cause par les documents publiés par WikiLeaks, l'intéressé a démenti avoir donné de quelconques signaux aux diplomates américains.
Et pour être sûre de bien savonner la planche suédoise, l'ambassade américaine à Stockholm avait, en juillet 2008, plaidé en faveur (et obtenu) le report très opportun d'une décision de Washington quant à la vente d'un système radar made in USA dont les Suédois voulaient doter leur JAS Gripen. Pas de décision sur le radar américain? Il était donc encore moins intéressant pour les Norvégiens d'acheter l'avion suédois!
Ce petit déballage proposé par WikiLeaks n'est pas une surprise pour les experts militaires. La vente d'armes n'a jamais été une affaire de saints (Saab en sait quelque chose, lui qui a été soupçonné d'avoir - avec son ex-partenaire britannique BAE Systems - versé des pots-de-vin pour la vente du même Gripen, comme évoqué ici ou là). Mais voir des détails du genre passer de l'état de simples suppositions/rumeurs à celui d'informations étayées par des documents confidentiels (non-démentis par les autorités américaines) n'est pas le moindre intérêt des fuites organisées par WikiLeaks, quelles que soient les réserves qu'on puisse avoir sur les motivations de cette organisation et sur le bien-fondé de l'hypothétique "transparence totale" dont elle s'est fait l'apôtre.
mercredi 24 novembre 2010
Rencontres avec Sofi Oksanen
Etrange de voir un roman détricoté et retricoté sous ses yeux. La mue a eu lieu l'autre soir à Paris, dans les locaux de l'Institut finlandais. On y lisait Purge, le roman de Sofi Oksanen. Ou plutôt la pièce de théâtre que l'auteure écrivit initialement, avant d'en faire le roman que l'on connaît, publié en finnois en 2008.
Comme tous ceux qui, ce soir-là, n'avaient lu que le livre, et non la pièce, je notais les différences entre les deux versions. Elles avaient trait essentiellement à l'ordre dans lequel s'emboitent les différents épisodes du récit, étalés dans le temps, durant et juste après l'occupation soviétique de l'Estonie. Cette destruction-reconstruction du mécano Purge était, je dois le dire, assez fascinante à observer.
La lecture était assurée par trois comédiennes et quatre comédiens de la compagnie La Métonymie, assis en rang d'oignon face au public. Deux comédiennes incarnaient le personnage principal: une pour l'Aliide jeune (des années 1940 et 1950) et l'autre pour l'Aliide âgée (du début des années 1990). D'un côté de la "scène" se déroulaient les parties anciennes du récit; de l'autre les plus récentes, avec deux olibrius ponctuant leurs interventions de bribes de russe fleuri. Parfois, des volées de phrases s'échangeaient entre ces périodes, par-dessus la tête des comédiens éclairés par une lumière crue. Une mise en scène simple et efficace imaginée par Tiina Kaartama.
* * *
Pour en finir - cet automne - avec le phéno- mène Ok- sanen, je vais restituer ici une bonne partie de l'entretien que j'ai eu avec elle, le 14 octobre à Helsinki, avant donc qu'elle n'ait obtenu le prix Femina étranger pour Purge.
L'heure: 15h30.
Le lieu: l'intérieur de Kappeli, un vieux café-restaurant de la capitale finlandaise, où écrivains, artistes et compositeurs aimaient à se réunir dès la fin du 19ème siècle, alors que le pays n'était alors qu'un grand-duché sous tutelle tsariste.
Sofi Oksanen m'avait demandé si cela ne me dérangeait pas que le début de l'entretien, réalisé pour le journal La Croix, soit filmé par une équipe préparant un documentaire sur elle pour le compte d'YLE, la télévision publique finlandaise. Soit.
A 15h30 tapantes, j'aperçus l'auteure marchant sur l'esplanade qui mène à Kappeli, sous l'oeil d'une caméra. Quelques passants se retournaient sur elle. Sa notoriété n'est plus à faire dans le pays où elle est née il y a 33 ans et où elle a grandi. Nous nous saluâmes dans l'entrée du café.
- Pendant l'entretien, ne regardez surtout pas la caméra, m'intima le réalisateur finlandais pendant qu'on nous installait dans un coin du café, à côté d'une haute baie vitrée (pourquoi n'ai-je jamais aimé la télévision depuis mes études en journalisme?)
L'atmosphère à Kappeli: plutôt feutrée même si, à une table de nous, les raclements de chaises en bois sur le carrelage, produits par un groupe de retraités qui se levaient pour saluer chaque nouvel arrivant, avaient de quoi déconcentrer.
Voici ce qu'il est ressorti d'une heure de discussion, dont une moitié sous l'oeil de la caméra qui rôdait autour de nous.
Pourquoi avoir écrit Purge?
Il y avait plusieurs raisons. Je voulais présenter la vie et les traditions rurales en Estonie de manière documentée. Dans ma jeunesse, lorsque je me rendais en Estonie avec ma mère, j’ai entendu des gens raconter des histoires et des légendes. Je voulais les perpétuer sous une forme littéraire. Et puis je voulais aborder le sujet de la violence sexuelle en tant qu’arme de guerre, qui est longtemps resté hors du débat public. Il faut en parler. J’étais en colère en apprenant, durant le conflit dans les Balkans, qu’il y avait des camps de concentration où les femmes étaient violées. Quasiment au cœur de l’Europe ! Cela ne collait pas à l’image que j’ai – comme la plupart des gens – d’une Europe moderne. J’ai aussi repensé au message entendu après la 2e guerre mondiale : « plus jamais ça »…
A quel point était-il important pour vous de refléter la réalité dans Purge? Vouliez-vous, à côté de la dimension fictionnelle, en faire aussi un document à caractère historique?
Purge est un roman. Toute personne a sa propre vérité, donc je ne peux pas dire que je raconte "la" vérité. Mais je peux dire que j’écris la destinée de gens qui ne pouvaient pas se faire entendre durant l’occupation soviétique. Ainsi, officiellement, les violences sexuelles n’existaient pas. Officiellement, ni l’armée Rouge ni le KGB ne se livraient à ce genre de pratiques, bien que dans la vie réelle, ils l’ont fait. Cela dit, la violence sexuelle en tant que thème de débat public est quelque chose de relativement nouveau en Estonie, ainsi que dans tout l’espace de l’ex-URSS. C’est pour cela qu’il m’importait d’écrire sur le sujet.
L’accueil réservé à votre livre en Estonie est très positif, il est perçu comme un moyen de faire mieux connaître le sort de la population durant l’occupation. Pourtant, des voix se sont élevées pour le critiquer en disant qu’en réalité, la vie n’était pas aussi sombre que la manière dont vous la décrivez…
Eh bien, pour certains la réalité était encore pire ! D’une certaine façon, la même vieille anecdote, en vigueur à l’époque soviétique, est encore valide aujourd’hui : « Dites moi comment vous avez réagi à Une journée d’Ivan Denissovitch de Soljenitsyne et je vous dirai quel est votre milieu familial ». Il en va de même avec les réactions à certains aspects de l’histoire estonienne récente... Car, à l’époque soviétique, il y avait aussi des gens qui étaient très privilégiés. De nos jours, ce n’est pas un sujet très plaisant pour eux. Difficile d’expliquer pourquoi on était membre du Parti communiste ou pourquoi on soutenait le KGB en lui donnant des informations.
Avec Purge, vous rappelez aux Estoniens ce passé proche et peu agréable…
Il y a beaucoup de recherches historiques intéressantes menées en Estonie, du matériau nouveau qui ne cesse d’apparaître. Et c’est très intéressant pour moi en tant qu’auteure. Je suis d’ailleurs heureuse de voir cette nouvelle génération d’historiens à l’œuvre. Mais leurs ouvrages restent confidentiels, même s’ils ramènent des informations cruciales à la surface. Alors qu’un roman peut y parvenir. La non-fiction est en quête de vérité alors que la fiction est une forme d’art qui touche votre cœur – ou pas – mais qui, de toute façon, brasse plus de sentiments.
En Finlande, où Purge a déjà été vendu à plus de 160 000 exemp- laires, quel aspect a suscité le plus d’intérêt?
L’histoire estonienne en tant que telle. Et puis le livre a amené les Finlandais à discuter publiquement de leur propre passé, de la relation avec la Russie, de la « finlandisation » et de la manière tronquée dont l’Estonie était présentée dans les médias, les livres d’histoire.
Et vous n’êtes pas très satisfaite de la manière dont…
Non, pas du tout. Bien sûr, c’était durant la période de la finlandisation et de la guerre froide, qui ont influé la façon dont les Estoniens étaient présentés dans les textes publics par exemple ou dans les médias. Dans les années 1980, lorsque les Estoniens parlaient de regagner leur indépendance et leur souveraineté, Matti Vanhanen, un journaliste qui allait devenir premier ministre plus tard [de 2003 à juin 2010], a défini ces Estoniens comme « radicaux, dangereux » à l’égard de l’Union soviétique, et il a même utilisé le mot « terroriste »...
Pensez-vous que vos livres contribuent un peu à ouvrir le débat sur la question?
Ce qui est sûr c’est qu’on reconnaît en Finlande que les gens savaient mieux ce qui se passait en Union soviétique qu’ailleurs à l’Ouest. D’ailleurs, des Finlandais ont aidé, à titre individuel, des Estoniens, tels ceux qui ont sorti clandestinement des œuvres de poètes, dont celle de Paul-Eerik Rummo. Ce genre d’actes de soutien a existé. Dans le même temps, beaucoup de politiciens finlandais et d’autres ne voulaient pas savoir ce qui se passait, en particulier dans la gauche radicale, qui était encore forte dans la Finlande des années 1960 et 1970. Cela affectait la manière dont on discutait de l’Union soviétique.
Lorsque j’étais enfant, les jeunes de mon âge ne savaient rien de l’Estonie, ou n’avaient rien appris à son sujet, jusqu’à ce que le professeur de finnois raconte un jour qu’il y avait une langue proche de la nôtre, l’estonien, parlé par des gens habitant tout près de notre pays. Les Estoniens qui fuyaient l’occupation soviétique à la fin de la 2ème guerre mondiale n’ont pas pu s’installer en Finlande, parce que dans ce pays, les autorités donnaient tous les réfugiés à l’Union soviétique. Ils ont donc dû aller plus loin, en Suède, aux Etats-Unis ou ailleurs. Là, ils ont perpétué les traditions, publié des ouvrages et des journaux en estonien, entretenu des écoles estoniennes, etc. Ce qui n’a pas été le cas en Finlande, qui n’a pas connu les émigrants estoniens de 1ère génération. Ce pays avait beau être le plus proche de l’Estonie soviétique, il était aussi mentalement un peu plus éloigné que les autres.
Avant d’en faire un roman, vous avez écrit Purge pour le théâtre. Pourquoi cette démarche?
Il était assez clair dans mon esprit que l’histoire devait être dite sur scène. J’étais en train de faire des recherches sur les violences sexuelles durant la 2ème guerre mondiale, ainsi que sur les traumatismes occasionnés. J’ai remarqué qu’une des réactions typiques des victimes consistait à éviter de regarder les autres droit dans les yeux. Il me fallait mettre cela en scène : l’idée qu’une personne qui ne veut pas être vue est regardée. Cette forme d’art collectif correspond bien à une telle expérience intime de la honte. Puis il y a eu les répétitions au Théâtre national, à Helsinki. J’avais écrit la pièce de façon à ce que la sœur du personnage principal (Aliide) ne soit pas du tout présente. Pourtant j’avais envie d’entendre sa voix. On n’avait pas de comédienne pour elle et cela n’était pas prévu. Du coup, j’ai commencé à écrire un monologue pour elle. C’est alors que j’ai remarqué que j’étais en train d’écrire un roman… J’avais aussi beaucoup de matériau disponible que je ne pouvais pas utiliser pour la pièce.
Donc ce n’était pas prévu au départ que vous écriviez un roman?
Non.
J’ai cru comprendre que vous souhaitiez renouveler cette méthode, écrire une pièce de théâtre puis l’adapter au format du roman, est-ce exact?
Oui, parce que le sujet de mon prochain roman se prête, lui aussi, à différents types de narration. Egalement sur scène et en roman. J’ai toujours aimé écrire pour le théâtre. C’est un exercice tellement différent du roman. Bien sûr, une pièce donne lieu à un processus collectif de travail, l’écriture est différente. J’aime bien la complémentarité de ces formes d’écriture.
Quelle est votre connexion avec l’Estonie? Parlez-vous la langue?
A la maison, en Finlande, nous parlions le finnois en famille. Mais, grâce à ma mère, je lisais beaucoup de livres en estonien. Enfant, j’étais bilingue. Puis j’ai commencé l’école. Je n’ai pas y apprendre l’estonien: il n’était pas enseigné. Du coup, c’est devenu une langue différente de celles que j’ai pu apprendre de manière scolaire. Si j’ai continué à m’améliorer en estonien, c’était uniquement en l’écoutant et en le parlant. Par conséquent, l’anglais, par exemple, est une langue dont je maîtrise mieux la grammaire que l'estonien, mais pour laquelle il me manque la signification culturelle des mots. En estonien, en revanche, j’ai une meilleure maîtrise de la connotation des mots, de leur couleur, de leur sens.
Durant votre jeunesse, est-ce que vous vous rendiez souvent en Estonie?
J’y allais aussi souvent que possible. Mais c’était assez compliqué. Ma famille maternelle habitait dans l’Ouest de l’Estonie, donc le long de la frontière occidentale de l’Union soviétique qui, à ce titre, était une zone militaire interdite. A l’époque, les étrangers étaient autorisés à se rendre à Tallinn pour quatre jours à l’aide d’un visa. Des groupes de touristes pouvaient y aller. Mais pour sortir de Tallinn, il fallait une invitation de la part d’une personne sur place. Seuls les enfants, les parents, les frères et les sœurs pouvaient soumettre de telles invitations auprès des autorités. Mes grands-parents estoniens n’étaient pas en mesure de le faire, parce qu’ils ne maîtrisaient pas le russe – langue qu’il fallait employer pour rédiger le texte et communiquer avec les autorités. Alors c’était une sœur de ma mère, vivant à Haapsalu, qui envoyait l’invitation. Si celle-ci était acceptée, nous pouvions faire une demande de visa. Et si cette demande était acceptée, nous pouvions voyager…
Combien de fois êtes-vous allée en Estonie à l'époque soviétique?
Lorsque nous avions une invitation à la campagne, nous pouvions rester un mois, un mois et demi. Nous en faisions la demande tous les étés. Je ne me rappelle pas combien de fois nos invitations ont été rejetées. Le restant de l’été, nous faisions de courts voyages à Tallinn. La première fois que j’y suis allé, j’avais quatre mois…
Et vous y retournez encore? Vous avez encore de la famille?
Oui, mais je n’ai guère le temps de voyager en ce moment. Je ne voyage que pour le travail…
Mais n'est-ce pas là votre choix?
Disons que c’est ma vocation de devenir écrivain et je suis une auteure très privilégiée. Et bien sûr, une auteure veut faire tout son possible pour obtenir de nos nouveaux lecteurs.
En Estonie, j’ai rencontré des gens qui vous considèrent comme estonienne. Quel effet cela vous fait, à vous qui avez grandi en Finlande?
Pour moi, l’identité nationale n’est pas… Je suis née comme je suis. Disons que je m’identifie davantage à des gens qui ont des origines multiculturelles qu’à ceux ayant des racines uniquement finlandaises ou estoniennes. Mais ces racines m’importent tout de même. Je me définis comme esto-finlandaise ou finno-estonienne… D’un côté, les valeurs nordiques me sont chères. De l’autre, il m’est important de connaître les racines de ma famille estonienne. Contrairement à la partie finlandaise de ma famille, dont on ne retrouve plus la trace au-delà de mes grands-parents, mes racines estoniennes remontent à il y a plusieurs siècles. Cette famille estonienne a toujours vécu dans la même région. Je connais le cimetière familial et l’église où mes ancêtres se sont mariés durant des siècles. Et c’est quelque chose qui compte pour moi. Ils étaient paysans de génération en génération, cela fait partie de mon identité estonienne. Le premier d’entre eux à obtenir la liberté est mort en 1621, sa tombe se trouve dans le cimetière familial, on s’y rendait assez souvent durant ma jeunesse. Il n’était pas censé abandonner le servage mais, parce qu’il travaillait dur, il a pu acheter sa liberté. Cela nous rappelle que l’impossible peut devenir réalité.
Que faisaient vos parents?
Mon père était électricien, ma mère ingénieure, active jusqu’à ma naissance. Elle voulait que je naisse en Finlande. Puis elle a arrêté de travailler.
Le fait qu’à côté de vos romans, vous ayez contribué à des travaux non-fictifs, comme La peur était derrière nous tous (Kaiken takana oli pelko), recueil d’articles en finnois sur l’occupation soviétique de l’Estonie, ne brouille-t-il pas les pistes et l’image que certains lecteurs ont de vous et de vos écrits?
Non, et puis honnêtement ce n’est pas vraiment mon problème. Le recueil d’articles Kaiken takana oli pelko me tenait à cœur parce que, lorsque j’ai voyagé en Finlande pour présenter mon livre Purge, beaucoup de lecteurs finlandais m’ont demandé pourquoi les Estoniens n’avaient pas écrit sur leur histoire, pourquoi ne s’intéressaient-ils pas à leur propre histoire ? Or c’est une image erronée de l’Estonie. Oui, les Estoniens s’intéressent à leur histoire, mais en Finlande, il n’y a pas d’ouvrages sur le sujet écrits par des Estoniens. Ou bien les récents ouvrages ne sont pas traduits en finnois. Les Finlandais ne lisent pas en estonien. C’est pour cela que je voulais présenter, dans un recueil en finnois, les études de jeunes historiens estoniens.
Cela a suscité une sorte de…
… Chaos [rire]! Oui c’était surprenant. Russie unie [le parti du Kremlin] a publié un communiqué accusant l’ouvrage d’être anti-russe ou russophobe, sans même avoir eu le temps de le lire. Et ce, bien que le recueil contenait aussi des articles de Russes, comme Vladimir Boukovski qui a étudié les méthodes de torture durant la période soviétique, ou de Russes d’Estonie comme Igor Kotjuh, ou encore un article très intéressant écrit par un chercheur russe sur la minorité russe en Estonie qui vivait là avant l’occupation, et plus particulièrement sur la littérature émanant de cette minorité. J’ignorais que la vie culturelle et littéraire était aussi intense parmi cette minorité, alors qu’elle était de plus petite taille que celle d’aujourd’hui. Toute cette tradition culturelle fut interdite au début de l’occupation soviétique, parce qu’elle rappelait l’Estonie indépendante et l’esprit bourgeois. Elle fut donc écartée et placée dans des archives auxquelles peu de gens ont eu accès. C’est dommage, parce que la minorité russe a vu, elle aussi, son passé confisqué.
Etes-vous en contact avec des écrivains estoniens?
Oui, il nous arrive de nous rencontrer. Mais nous ne nous parlons pas tous les jours, écrire est une activité solitaire… Et puis j’ai aussi des amis estoniens dans d’autres sphères culturelles.
Etes-vous engagée politiquement?
Je vote mais je ne suis membre d’aucun parti politique. Je n’aime pas les partis.
Comme tous ceux qui, ce soir-là, n'avaient lu que le livre, et non la pièce, je notais les différences entre les deux versions. Elles avaient trait essentiellement à l'ordre dans lequel s'emboitent les différents épisodes du récit, étalés dans le temps, durant et juste après l'occupation soviétique de l'Estonie. Cette destruction-reconstruction du mécano Purge était, je dois le dire, assez fascinante à observer.
La lecture était assurée par trois comédiennes et quatre comédiens de la compagnie La Métonymie, assis en rang d'oignon face au public. Deux comédiennes incarnaient le personnage principal: une pour l'Aliide jeune (des années 1940 et 1950) et l'autre pour l'Aliide âgée (du début des années 1990). D'un côté de la "scène" se déroulaient les parties anciennes du récit; de l'autre les plus récentes, avec deux olibrius ponctuant leurs interventions de bribes de russe fleuri. Parfois, des volées de phrases s'échangeaient entre ces périodes, par-dessus la tête des comédiens éclairés par une lumière crue. Une mise en scène simple et efficace imaginée par Tiina Kaartama.
* * *
Pour en finir - cet automne - avec le phéno- mène Ok- sanen, je vais restituer ici une bonne partie de l'entretien que j'ai eu avec elle, le 14 octobre à Helsinki, avant donc qu'elle n'ait obtenu le prix Femina étranger pour Purge.
L'heure: 15h30.
Le lieu: l'intérieur de Kappeli, un vieux café-restaurant de la capitale finlandaise, où écrivains, artistes et compositeurs aimaient à se réunir dès la fin du 19ème siècle, alors que le pays n'était alors qu'un grand-duché sous tutelle tsariste.
Sofi Oksanen m'avait demandé si cela ne me dérangeait pas que le début de l'entretien, réalisé pour le journal La Croix, soit filmé par une équipe préparant un documentaire sur elle pour le compte d'YLE, la télévision publique finlandaise. Soit.
A 15h30 tapantes, j'aperçus l'auteure marchant sur l'esplanade qui mène à Kappeli, sous l'oeil d'une caméra. Quelques passants se retournaient sur elle. Sa notoriété n'est plus à faire dans le pays où elle est née il y a 33 ans et où elle a grandi. Nous nous saluâmes dans l'entrée du café.
- Pendant l'entretien, ne regardez surtout pas la caméra, m'intima le réalisateur finlandais pendant qu'on nous installait dans un coin du café, à côté d'une haute baie vitrée (pourquoi n'ai-je jamais aimé la télévision depuis mes études en journalisme?)
L'atmosphère à Kappeli: plutôt feutrée même si, à une table de nous, les raclements de chaises en bois sur le carrelage, produits par un groupe de retraités qui se levaient pour saluer chaque nouvel arrivant, avaient de quoi déconcentrer.
Voici ce qu'il est ressorti d'une heure de discussion, dont une moitié sous l'oeil de la caméra qui rôdait autour de nous.
Pourquoi avoir écrit Purge?
Il y avait plusieurs raisons. Je voulais présenter la vie et les traditions rurales en Estonie de manière documentée. Dans ma jeunesse, lorsque je me rendais en Estonie avec ma mère, j’ai entendu des gens raconter des histoires et des légendes. Je voulais les perpétuer sous une forme littéraire. Et puis je voulais aborder le sujet de la violence sexuelle en tant qu’arme de guerre, qui est longtemps resté hors du débat public. Il faut en parler. J’étais en colère en apprenant, durant le conflit dans les Balkans, qu’il y avait des camps de concentration où les femmes étaient violées. Quasiment au cœur de l’Europe ! Cela ne collait pas à l’image que j’ai – comme la plupart des gens – d’une Europe moderne. J’ai aussi repensé au message entendu après la 2e guerre mondiale : « plus jamais ça »…
A quel point était-il important pour vous de refléter la réalité dans Purge? Vouliez-vous, à côté de la dimension fictionnelle, en faire aussi un document à caractère historique?
Purge est un roman. Toute personne a sa propre vérité, donc je ne peux pas dire que je raconte "la" vérité. Mais je peux dire que j’écris la destinée de gens qui ne pouvaient pas se faire entendre durant l’occupation soviétique. Ainsi, officiellement, les violences sexuelles n’existaient pas. Officiellement, ni l’armée Rouge ni le KGB ne se livraient à ce genre de pratiques, bien que dans la vie réelle, ils l’ont fait. Cela dit, la violence sexuelle en tant que thème de débat public est quelque chose de relativement nouveau en Estonie, ainsi que dans tout l’espace de l’ex-URSS. C’est pour cela qu’il m’importait d’écrire sur le sujet.
L’accueil réservé à votre livre en Estonie est très positif, il est perçu comme un moyen de faire mieux connaître le sort de la population durant l’occupation. Pourtant, des voix se sont élevées pour le critiquer en disant qu’en réalité, la vie n’était pas aussi sombre que la manière dont vous la décrivez…
Eh bien, pour certains la réalité était encore pire ! D’une certaine façon, la même vieille anecdote, en vigueur à l’époque soviétique, est encore valide aujourd’hui : « Dites moi comment vous avez réagi à Une journée d’Ivan Denissovitch de Soljenitsyne et je vous dirai quel est votre milieu familial ». Il en va de même avec les réactions à certains aspects de l’histoire estonienne récente... Car, à l’époque soviétique, il y avait aussi des gens qui étaient très privilégiés. De nos jours, ce n’est pas un sujet très plaisant pour eux. Difficile d’expliquer pourquoi on était membre du Parti communiste ou pourquoi on soutenait le KGB en lui donnant des informations.
Avec Purge, vous rappelez aux Estoniens ce passé proche et peu agréable…
Il y a beaucoup de recherches historiques intéressantes menées en Estonie, du matériau nouveau qui ne cesse d’apparaître. Et c’est très intéressant pour moi en tant qu’auteure. Je suis d’ailleurs heureuse de voir cette nouvelle génération d’historiens à l’œuvre. Mais leurs ouvrages restent confidentiels, même s’ils ramènent des informations cruciales à la surface. Alors qu’un roman peut y parvenir. La non-fiction est en quête de vérité alors que la fiction est une forme d’art qui touche votre cœur – ou pas – mais qui, de toute façon, brasse plus de sentiments.
En Finlande, où Purge a déjà été vendu à plus de 160 000 exemp- laires, quel aspect a suscité le plus d’intérêt?
L’histoire estonienne en tant que telle. Et puis le livre a amené les Finlandais à discuter publiquement de leur propre passé, de la relation avec la Russie, de la « finlandisation » et de la manière tronquée dont l’Estonie était présentée dans les médias, les livres d’histoire.
Et vous n’êtes pas très satisfaite de la manière dont…
Non, pas du tout. Bien sûr, c’était durant la période de la finlandisation et de la guerre froide, qui ont influé la façon dont les Estoniens étaient présentés dans les textes publics par exemple ou dans les médias. Dans les années 1980, lorsque les Estoniens parlaient de regagner leur indépendance et leur souveraineté, Matti Vanhanen, un journaliste qui allait devenir premier ministre plus tard [de 2003 à juin 2010], a défini ces Estoniens comme « radicaux, dangereux » à l’égard de l’Union soviétique, et il a même utilisé le mot « terroriste »...
Pensez-vous que vos livres contribuent un peu à ouvrir le débat sur la question?
Ce qui est sûr c’est qu’on reconnaît en Finlande que les gens savaient mieux ce qui se passait en Union soviétique qu’ailleurs à l’Ouest. D’ailleurs, des Finlandais ont aidé, à titre individuel, des Estoniens, tels ceux qui ont sorti clandestinement des œuvres de poètes, dont celle de Paul-Eerik Rummo. Ce genre d’actes de soutien a existé. Dans le même temps, beaucoup de politiciens finlandais et d’autres ne voulaient pas savoir ce qui se passait, en particulier dans la gauche radicale, qui était encore forte dans la Finlande des années 1960 et 1970. Cela affectait la manière dont on discutait de l’Union soviétique.
Lorsque j’étais enfant, les jeunes de mon âge ne savaient rien de l’Estonie, ou n’avaient rien appris à son sujet, jusqu’à ce que le professeur de finnois raconte un jour qu’il y avait une langue proche de la nôtre, l’estonien, parlé par des gens habitant tout près de notre pays. Les Estoniens qui fuyaient l’occupation soviétique à la fin de la 2ème guerre mondiale n’ont pas pu s’installer en Finlande, parce que dans ce pays, les autorités donnaient tous les réfugiés à l’Union soviétique. Ils ont donc dû aller plus loin, en Suède, aux Etats-Unis ou ailleurs. Là, ils ont perpétué les traditions, publié des ouvrages et des journaux en estonien, entretenu des écoles estoniennes, etc. Ce qui n’a pas été le cas en Finlande, qui n’a pas connu les émigrants estoniens de 1ère génération. Ce pays avait beau être le plus proche de l’Estonie soviétique, il était aussi mentalement un peu plus éloigné que les autres.
Avant d’en faire un roman, vous avez écrit Purge pour le théâtre. Pourquoi cette démarche?
Il était assez clair dans mon esprit que l’histoire devait être dite sur scène. J’étais en train de faire des recherches sur les violences sexuelles durant la 2ème guerre mondiale, ainsi que sur les traumatismes occasionnés. J’ai remarqué qu’une des réactions typiques des victimes consistait à éviter de regarder les autres droit dans les yeux. Il me fallait mettre cela en scène : l’idée qu’une personne qui ne veut pas être vue est regardée. Cette forme d’art collectif correspond bien à une telle expérience intime de la honte. Puis il y a eu les répétitions au Théâtre national, à Helsinki. J’avais écrit la pièce de façon à ce que la sœur du personnage principal (Aliide) ne soit pas du tout présente. Pourtant j’avais envie d’entendre sa voix. On n’avait pas de comédienne pour elle et cela n’était pas prévu. Du coup, j’ai commencé à écrire un monologue pour elle. C’est alors que j’ai remarqué que j’étais en train d’écrire un roman… J’avais aussi beaucoup de matériau disponible que je ne pouvais pas utiliser pour la pièce.
Donc ce n’était pas prévu au départ que vous écriviez un roman?
Non.
J’ai cru comprendre que vous souhaitiez renouveler cette méthode, écrire une pièce de théâtre puis l’adapter au format du roman, est-ce exact?
Oui, parce que le sujet de mon prochain roman se prête, lui aussi, à différents types de narration. Egalement sur scène et en roman. J’ai toujours aimé écrire pour le théâtre. C’est un exercice tellement différent du roman. Bien sûr, une pièce donne lieu à un processus collectif de travail, l’écriture est différente. J’aime bien la complémentarité de ces formes d’écriture.
Quelle est votre connexion avec l’Estonie? Parlez-vous la langue?
A la maison, en Finlande, nous parlions le finnois en famille. Mais, grâce à ma mère, je lisais beaucoup de livres en estonien. Enfant, j’étais bilingue. Puis j’ai commencé l’école. Je n’ai pas y apprendre l’estonien: il n’était pas enseigné. Du coup, c’est devenu une langue différente de celles que j’ai pu apprendre de manière scolaire. Si j’ai continué à m’améliorer en estonien, c’était uniquement en l’écoutant et en le parlant. Par conséquent, l’anglais, par exemple, est une langue dont je maîtrise mieux la grammaire que l'estonien, mais pour laquelle il me manque la signification culturelle des mots. En estonien, en revanche, j’ai une meilleure maîtrise de la connotation des mots, de leur couleur, de leur sens.
Durant votre jeunesse, est-ce que vous vous rendiez souvent en Estonie?
J’y allais aussi souvent que possible. Mais c’était assez compliqué. Ma famille maternelle habitait dans l’Ouest de l’Estonie, donc le long de la frontière occidentale de l’Union soviétique qui, à ce titre, était une zone militaire interdite. A l’époque, les étrangers étaient autorisés à se rendre à Tallinn pour quatre jours à l’aide d’un visa. Des groupes de touristes pouvaient y aller. Mais pour sortir de Tallinn, il fallait une invitation de la part d’une personne sur place. Seuls les enfants, les parents, les frères et les sœurs pouvaient soumettre de telles invitations auprès des autorités. Mes grands-parents estoniens n’étaient pas en mesure de le faire, parce qu’ils ne maîtrisaient pas le russe – langue qu’il fallait employer pour rédiger le texte et communiquer avec les autorités. Alors c’était une sœur de ma mère, vivant à Haapsalu, qui envoyait l’invitation. Si celle-ci était acceptée, nous pouvions faire une demande de visa. Et si cette demande était acceptée, nous pouvions voyager…
Combien de fois êtes-vous allée en Estonie à l'époque soviétique?
Lorsque nous avions une invitation à la campagne, nous pouvions rester un mois, un mois et demi. Nous en faisions la demande tous les étés. Je ne me rappelle pas combien de fois nos invitations ont été rejetées. Le restant de l’été, nous faisions de courts voyages à Tallinn. La première fois que j’y suis allé, j’avais quatre mois…
Et vous y retournez encore? Vous avez encore de la famille?
Oui, mais je n’ai guère le temps de voyager en ce moment. Je ne voyage que pour le travail…
Mais n'est-ce pas là votre choix?
Disons que c’est ma vocation de devenir écrivain et je suis une auteure très privilégiée. Et bien sûr, une auteure veut faire tout son possible pour obtenir de nos nouveaux lecteurs.
En Estonie, j’ai rencontré des gens qui vous considèrent comme estonienne. Quel effet cela vous fait, à vous qui avez grandi en Finlande?
Pour moi, l’identité nationale n’est pas… Je suis née comme je suis. Disons que je m’identifie davantage à des gens qui ont des origines multiculturelles qu’à ceux ayant des racines uniquement finlandaises ou estoniennes. Mais ces racines m’importent tout de même. Je me définis comme esto-finlandaise ou finno-estonienne… D’un côté, les valeurs nordiques me sont chères. De l’autre, il m’est important de connaître les racines de ma famille estonienne. Contrairement à la partie finlandaise de ma famille, dont on ne retrouve plus la trace au-delà de mes grands-parents, mes racines estoniennes remontent à il y a plusieurs siècles. Cette famille estonienne a toujours vécu dans la même région. Je connais le cimetière familial et l’église où mes ancêtres se sont mariés durant des siècles. Et c’est quelque chose qui compte pour moi. Ils étaient paysans de génération en génération, cela fait partie de mon identité estonienne. Le premier d’entre eux à obtenir la liberté est mort en 1621, sa tombe se trouve dans le cimetière familial, on s’y rendait assez souvent durant ma jeunesse. Il n’était pas censé abandonner le servage mais, parce qu’il travaillait dur, il a pu acheter sa liberté. Cela nous rappelle que l’impossible peut devenir réalité.
Que faisaient vos parents?
Mon père était électricien, ma mère ingénieure, active jusqu’à ma naissance. Elle voulait que je naisse en Finlande. Puis elle a arrêté de travailler.
Le fait qu’à côté de vos romans, vous ayez contribué à des travaux non-fictifs, comme La peur était derrière nous tous (Kaiken takana oli pelko), recueil d’articles en finnois sur l’occupation soviétique de l’Estonie, ne brouille-t-il pas les pistes et l’image que certains lecteurs ont de vous et de vos écrits?
Non, et puis honnêtement ce n’est pas vraiment mon problème. Le recueil d’articles Kaiken takana oli pelko me tenait à cœur parce que, lorsque j’ai voyagé en Finlande pour présenter mon livre Purge, beaucoup de lecteurs finlandais m’ont demandé pourquoi les Estoniens n’avaient pas écrit sur leur histoire, pourquoi ne s’intéressaient-ils pas à leur propre histoire ? Or c’est une image erronée de l’Estonie. Oui, les Estoniens s’intéressent à leur histoire, mais en Finlande, il n’y a pas d’ouvrages sur le sujet écrits par des Estoniens. Ou bien les récents ouvrages ne sont pas traduits en finnois. Les Finlandais ne lisent pas en estonien. C’est pour cela que je voulais présenter, dans un recueil en finnois, les études de jeunes historiens estoniens.
Cela a suscité une sorte de…
… Chaos [rire]! Oui c’était surprenant. Russie unie [le parti du Kremlin] a publié un communiqué accusant l’ouvrage d’être anti-russe ou russophobe, sans même avoir eu le temps de le lire. Et ce, bien que le recueil contenait aussi des articles de Russes, comme Vladimir Boukovski qui a étudié les méthodes de torture durant la période soviétique, ou de Russes d’Estonie comme Igor Kotjuh, ou encore un article très intéressant écrit par un chercheur russe sur la minorité russe en Estonie qui vivait là avant l’occupation, et plus particulièrement sur la littérature émanant de cette minorité. J’ignorais que la vie culturelle et littéraire était aussi intense parmi cette minorité, alors qu’elle était de plus petite taille que celle d’aujourd’hui. Toute cette tradition culturelle fut interdite au début de l’occupation soviétique, parce qu’elle rappelait l’Estonie indépendante et l’esprit bourgeois. Elle fut donc écartée et placée dans des archives auxquelles peu de gens ont eu accès. C’est dommage, parce que la minorité russe a vu, elle aussi, son passé confisqué.
Etes-vous en contact avec des écrivains estoniens?
Oui, il nous arrive de nous rencontrer. Mais nous ne nous parlons pas tous les jours, écrire est une activité solitaire… Et puis j’ai aussi des amis estoniens dans d’autres sphères culturelles.
Etes-vous engagée politiquement?
Je vote mais je ne suis membre d’aucun parti politique. Je n’aime pas les partis.
mardi 16 novembre 2010
La bataille de Normandie n'a pas eu lieu
Aurais-je séjourné depuis trop longtemps dans des contrées où le passé communiste reste ultrasensible? Je me suis posé la question après une soirée passée en Normandie, dans le cadre du festival des Boréales. C'était vendredi dernier au Drakkar, le cinéma de Dives-sur-Mer. Dans cette municipalité du Calvados située entre Cabourg et Deauville, la majorité est communiste depuis 1953! Une anomalie pour bon nombre d'habitants des pays d'Europe centrale et orientale ayant eu à vivre dans l'univers autoritaire et absurde façonné par Staline et ses successeurs. Comment pouvait-on élire à l'époque une équipe municipale se réclamant d'une idéologie aussi obtuse? Et voter en faveur de son maintien depuis près de 60 ans? Bien que je puisse énumérer quelques raisons - locales (le passé industriel) et nationales - valables et compréhensibles vues de France, j'admets aisément que, pour d'anciens ressortissants de l'URSS ou des pays "frères", le doute est permis.
Ce soir-là donc, nous allions visionner un film sur la fin de l'occupation soviétique en Estonie. Un documentaire (The Singing Revolution), qui raconte la manière dont les habitants de cette république ont réussi, à l'aide du chant, à s'extraire pacifiquement du magma soviétique, tout en contribuant à précipiter sa décomposition. En voici la bande annonce:
Je savais que le film en question ne faisait pas dans la dentelle. Réalisé par un couple d'Américains, James (d'origine estonienne) et Maureen Tusty, admiratifs de la lutte des indépendantistes baltes, il possède cette patine idéologique qui tend à noircir le trait plus que nécessaire. Le documentaire ne présente pas moins l'intérêt de rassembler des images d'archives souvent émouvantes, parfois étonnantes (comme le sermon administré par Mikhaïl Gorbatchev à quelques caciques du PC estonien devenus indépendantistes). Et de faire parler une flopée d'acteurs de cette transition dont on continue à s'étonner qu'elle ait pu avoir lieu sans effusion de sang. Certes, il y eut des morts dans les républiques voisines de Lituanie et de Lettonie, mais leur nombre (moins de 30) resta étonnamment faible étant donné les enjeux.
A l'issue du film, il était prévu que je réponde aux questions du public. Dans cette salle de ciné au décor désuet tel que je les apprécie, je m'attendais à une bataille d'idées, à un barrage d'objections provenant de spectateurs sceptiques quant au penchant ultralibéral pris par les pays baltes depuis 20 ans, ou irrité par la tonalité manichéenne du documentaire rythmé par une voix off parfois redondante. Celui-ci ne venait-il pas d'être projeté dans une petite ville dont le maire communiste (présent à la projection et d'abord sympathique) a été réélu confortablement avec quelque 70% des voix?
Mais de bataille il n'y eut point. Une bonne heure durant, je répondais à des questions souvent judicieuses mais inoffensives du public. A tel point que je dus raconter de mon propre chef les désillusions vécues par les Baltes depuis le retour à l'indépendance. Il ne serait pas dit ce soir-là que les lendemains de révolution (tout aussi chantante fusse-t-elle) étaient nécessairement radieux.
Pourquoi un tel manque de répondant? Soit les vrais militants du PCF étaient restés au chaud chez eux vendredi soir, ayant mieux à faire; soit ils ne sont plus que l'ombre de ce qu'ils étaient à la "grande époque". Hypothèse sans doute la plus réaliste et qui m'incite à répondre par la positive à ma question de départ...
* * *
Etant en France pour le festival des Boréales, puis pour un colloque sur la Norvège à Caen et une dizaine de jours de vacances, le rythme de mes billets sur ce blog s'en ressentira un peu, comme vous l'avez peut-être déjà remarqué. Il reprendra sa cadence habituelle en décembre.
D'ici là, j'ai une question à soumettre aux férus d'histoire et/ou de chansons: à Dives-sur-Mer, l'une des personnes présentes au cinéma Le Drakkar m'a assuré avoir entendu la mélodie de J'irai revoir ma Normandie entonnée par une chorale estonienne lors d'un périple dans ce pays balte. S'agit-il d'un simple emprunt au patrimoine culturel français, y a-t-il une raison historique? Tout élément de réponse sera le bienvenu.
Ce soir-là donc, nous allions visionner un film sur la fin de l'occupation soviétique en Estonie. Un documentaire (The Singing Revolution), qui raconte la manière dont les habitants de cette république ont réussi, à l'aide du chant, à s'extraire pacifiquement du magma soviétique, tout en contribuant à précipiter sa décomposition. En voici la bande annonce:
Je savais que le film en question ne faisait pas dans la dentelle. Réalisé par un couple d'Américains, James (d'origine estonienne) et Maureen Tusty, admiratifs de la lutte des indépendantistes baltes, il possède cette patine idéologique qui tend à noircir le trait plus que nécessaire. Le documentaire ne présente pas moins l'intérêt de rassembler des images d'archives souvent émouvantes, parfois étonnantes (comme le sermon administré par Mikhaïl Gorbatchev à quelques caciques du PC estonien devenus indépendantistes). Et de faire parler une flopée d'acteurs de cette transition dont on continue à s'étonner qu'elle ait pu avoir lieu sans effusion de sang. Certes, il y eut des morts dans les républiques voisines de Lituanie et de Lettonie, mais leur nombre (moins de 30) resta étonnamment faible étant donné les enjeux.
A l'issue du film, il était prévu que je réponde aux questions du public. Dans cette salle de ciné au décor désuet tel que je les apprécie, je m'attendais à une bataille d'idées, à un barrage d'objections provenant de spectateurs sceptiques quant au penchant ultralibéral pris par les pays baltes depuis 20 ans, ou irrité par la tonalité manichéenne du documentaire rythmé par une voix off parfois redondante. Celui-ci ne venait-il pas d'être projeté dans une petite ville dont le maire communiste (présent à la projection et d'abord sympathique) a été réélu confortablement avec quelque 70% des voix?
Mais de bataille il n'y eut point. Une bonne heure durant, je répondais à des questions souvent judicieuses mais inoffensives du public. A tel point que je dus raconter de mon propre chef les désillusions vécues par les Baltes depuis le retour à l'indépendance. Il ne serait pas dit ce soir-là que les lendemains de révolution (tout aussi chantante fusse-t-elle) étaient nécessairement radieux.
Pourquoi un tel manque de répondant? Soit les vrais militants du PCF étaient restés au chaud chez eux vendredi soir, ayant mieux à faire; soit ils ne sont plus que l'ombre de ce qu'ils étaient à la "grande époque". Hypothèse sans doute la plus réaliste et qui m'incite à répondre par la positive à ma question de départ...
* * *
Etant en France pour le festival des Boréales, puis pour un colloque sur la Norvège à Caen et une dizaine de jours de vacances, le rythme de mes billets sur ce blog s'en ressentira un peu, comme vous l'avez peut-être déjà remarqué. Il reprendra sa cadence habituelle en décembre.
D'ici là, j'ai une question à soumettre aux férus d'histoire et/ou de chansons: à Dives-sur-Mer, l'une des personnes présentes au cinéma Le Drakkar m'a assuré avoir entendu la mélodie de J'irai revoir ma Normandie entonnée par une chorale estonienne lors d'un périple dans ce pays balte. S'agit-il d'un simple emprunt au patrimoine culturel français, y a-t-il une raison historique? Tout élément de réponse sera le bienvenu.
samedi 6 novembre 2010
Kristin la Rousse, Fredrika la blonde, deux voix
Kristin l'expérimentée, fougueux caméléon à la voix rauque et la tignasse rouquine, Fredrika la jeune pousse blonde talentueuse qui se cherche et commence à se trouver... Avec deux points communs pour ces chanteuses scandinaves: leur envie d'aller voir au-delà du jazz, d'où elles se sont élancées, et leur présence en France l'été dernier.
***
A 39 ans, la Norvégienne Kristin Asbjørnsen a déjà un long parcours derrière elle, qui l'a vu passer de la musique africaine à l'expérimentale, du jazz au rock, avec étapes country et gospel... et maintenant, elle nous propose une pop de bon aloi, plus comestible, commerciale.
Le fait qu'elle ait embarqué dans cette aventure un pianiste comme Tord Gustavsen, habitué du label ECM, laisse entrevoir une éventuelle porte de sortie hors de ce que je considère, du haut de ma petite pierre sans prétention, être une impasse (mais peut-être suis-je un peu obtus...)
Kristin et Tord Gustavsen, c'est l'histoire des vases communicants. L'an dernier, l'un et l'autre se sont invités mutuellement sur leur nouveau disque respectif. Sauf que le pianiste, lui, est resté dans les clous qu'il avait commencé à planter avec ses trois disques en trio. Pour Restored, returned, il a convié la chanteuse, ainsi que le saxophoniste Tore Brundborg, et donné une tonalité un peu plus blues à ses compositions avec, en prime, plusieurs poèmes de W. H. Auden mis en musique (l'un d'eux donne son titre à l'album):
Restored, returned... Revenir mais sous une forme différente, Kiki-les-yeux-verts est coutumière du fait. Depuis le début des années 1990, elle met sa belle voix expressive, à l'éraillement caractéristique, au service de divers genres musicaux avec lesquels elle ne cesse de jongler. Fille de pasteur formée aux chorales, elle découvre les gospels afro-américains à 19 ans, en prenant des cours de chant auprès de Ruth Reese, une Noire-Américaine venue de son Alabama natal vivre en Norvège pour une histoire de coeur. A sa mort (sur scène), cette poète-chanteuse engagée contre l'apartheid lègue à sa rouquine d'élève un sac plein de partitions, dont une centaine de spirituals. Ils donneront matière, bien plus tard, à son 1er disque solo, Wayfering stranger, a spiritual songbook (2006, Emarcy/Universal). Un beau succès en Norvège, où il s'en vendra quelque 50 000 exemplaires.
Auparavant, elle joue avec divers groupes:
- Kvitretten, un petit ensemble vocal féminin (démantelé depuis 2001, il eut aussi pour membre Solveig Slettahjell, autre sacré caractère du jazz vocal norvégien). Ici avec le poète-écrivain Torgeir Rebello Pedersen;
- Dadafon, groupe plutôt rock, avec lequel elle réalise la musique d'un film tiré d'une oeuvre quasi autobiographique de Charles Bukowski (Factotum, réalisé par Bent Hammer avec Matt Dillon, dont voici la bande annonce);
- Krøyt, combo plus électronique aux accents björkiens.
Kristin A. se frotte aussi au jazz, évidemment, elle qui a étudié le chant et la composition au conservatoire de jazz de Trondheim. Elle enregistre ainsi sur des disques du saxophoniste Mats Gustavsen, du pianiste Ketil Bjørnstad (A seafarer's song) et, donc, de Tord Gustavsen le susnommé. Permettez moi d'avoir un faible pour cette facette-là du talent de la bouillonnante Norvégienne.
Il y a trois ans, elle expliquait son approche du jazz (dans un long entretien accordé à Jazzdimension.de):
I started with jazz music, and I sang jazz music for many, many years. In Norway as well, I am stamped, I am called a "jazz singer" since ever. For me it's more like I was led into jazz music, because I wanted to learn more about how to improvise. That has been my focus all the time, to force myself in new directions. I needed to explore better my possibilities, work with singing, trying to say something important with my songs and trying to be grounded in a way. So that has been my main focus, not how to brand it. And all the time I have been working with my own songs, my own compositions. But that has also led me to meet other musicians, both pop-rock and jazz musicians. So I am not so very much interested in the category, it's more like I am influenced by different kind of styles.
Cela, le public français a dû s'en apercevoir lors des concerts que la pétillante Kristin A. a donné cet été dans l'Hexagone. Mais c'est avant tout avec son dernier disque, sorti chez Universal France en janvier 2010, que la chanteuse compte percer. C'est un peu dommage. Plus ordinairement pop, comme je le disais en entame, The night shines like the day a tout de même été récompensé en Norvège par un Spellemannspris, l'équivalant du Grammy. Ici, un avant-goût avec Snow flake, titre langoureux, mélancolique...
***
L'autre chanteuse qui fait actuellement tourner nos têtes vers le Nord (et la fait tourner à certains) s'appelle Fredrika Stahl.
Fredrika, c'est une fleur qui éclot, des promesses entrevues. Elle aussi refuse désormais l'étiquette jazz. On ne peut que lui donner raison sur la forme, à l'écoute de son 3e disque qui est sorti il y a quelques mois chez Sony Music. Car, dans Sweep me away, l'influence du jazz, qu'elle fredonnait encore il y a quelques années, est désormais bien lointaine. Depuis, sa voix a (un peu) gagné en assurance, à défaut d'une réelle ampleur. Elle est, comment dire, plus ensoleillée, comme ici:
En dépit de quelques similitudes ça et là dans l'accompagnement musical, on est dans un tout autre registre vocal que celui de sa compatriote Lisa Ekdhal. Et tant mieux, car la Betty Boop aux chevilles d'argile ne m'a jamais emballé, hormis quelques-unes de ses 1ères chansons, période Vem vet:
Si elle est née à Stockholm il y a bientôt 26 ans, Fredrika Stahl a passé une partie de sa petite enfance près de Paris, où elle est partie vivre seule, une fois le bac suédois en poche. Comme le piano, elle possède bien notre langue (bien qu'elle chante essentiellement en anglais...). Mais c'est dans sa ville natale qu'elle a trouvé l'inspiration pour son nouveau disque. Lequel, dit-elle, est "le plus proche" de ce qu'elle ressent aujourd'hui d'un point de vue musical. Nous sommes contents pour elle (elle n'y peut sans doute rien, mais les petits entretiens qu'elle donne sur son site sont parfois d'une charmante naïveté... le privilège de la jeunesse!).
En tous cas, sa maison de disques semble parier gros sur elle, à en juger par l'emballage marketing dont elle bénéficie. Saura-t-elle supporter la pression? Allez Fredrika, on t'aime bien quand même, fonce! Kom igen!
NB: Ce billet est une reprise très légèrement mise à jour d'un texte publié en juillet sur mon autre blog, feu Jazz nordique. Que ceux qui l'avaient déjà lu là ne m'en veuillent pas pour cette répétition: c'est bon pour la musique!
***
A 39 ans, la Norvégienne Kristin Asbjørnsen a déjà un long parcours derrière elle, qui l'a vu passer de la musique africaine à l'expérimentale, du jazz au rock, avec étapes country et gospel... et maintenant, elle nous propose une pop de bon aloi, plus comestible, commerciale.
Le fait qu'elle ait embarqué dans cette aventure un pianiste comme Tord Gustavsen, habitué du label ECM, laisse entrevoir une éventuelle porte de sortie hors de ce que je considère, du haut de ma petite pierre sans prétention, être une impasse (mais peut-être suis-je un peu obtus...)
Kristin et Tord Gustavsen, c'est l'histoire des vases communicants. L'an dernier, l'un et l'autre se sont invités mutuellement sur leur nouveau disque respectif. Sauf que le pianiste, lui, est resté dans les clous qu'il avait commencé à planter avec ses trois disques en trio. Pour Restored, returned, il a convié la chanteuse, ainsi que le saxophoniste Tore Brundborg, et donné une tonalité un peu plus blues à ses compositions avec, en prime, plusieurs poèmes de W. H. Auden mis en musique (l'un d'eux donne son titre à l'album):
Restored, returned... Revenir mais sous une forme différente, Kiki-les-yeux-verts est coutumière du fait. Depuis le début des années 1990, elle met sa belle voix expressive, à l'éraillement caractéristique, au service de divers genres musicaux avec lesquels elle ne cesse de jongler. Fille de pasteur formée aux chorales, elle découvre les gospels afro-américains à 19 ans, en prenant des cours de chant auprès de Ruth Reese, une Noire-Américaine venue de son Alabama natal vivre en Norvège pour une histoire de coeur. A sa mort (sur scène), cette poète-chanteuse engagée contre l'apartheid lègue à sa rouquine d'élève un sac plein de partitions, dont une centaine de spirituals. Ils donneront matière, bien plus tard, à son 1er disque solo, Wayfering stranger, a spiritual songbook (2006, Emarcy/Universal). Un beau succès en Norvège, où il s'en vendra quelque 50 000 exemplaires.
Auparavant, elle joue avec divers groupes:
- Kvitretten, un petit ensemble vocal féminin (démantelé depuis 2001, il eut aussi pour membre Solveig Slettahjell, autre sacré caractère du jazz vocal norvégien). Ici avec le poète-écrivain Torgeir Rebello Pedersen;
- Dadafon, groupe plutôt rock, avec lequel elle réalise la musique d'un film tiré d'une oeuvre quasi autobiographique de Charles Bukowski (Factotum, réalisé par Bent Hammer avec Matt Dillon, dont voici la bande annonce);
- Krøyt, combo plus électronique aux accents björkiens.
Kristin A. se frotte aussi au jazz, évidemment, elle qui a étudié le chant et la composition au conservatoire de jazz de Trondheim. Elle enregistre ainsi sur des disques du saxophoniste Mats Gustavsen, du pianiste Ketil Bjørnstad (A seafarer's song) et, donc, de Tord Gustavsen le susnommé. Permettez moi d'avoir un faible pour cette facette-là du talent de la bouillonnante Norvégienne.
Il y a trois ans, elle expliquait son approche du jazz (dans un long entretien accordé à Jazzdimension.de):
I started with jazz music, and I sang jazz music for many, many years. In Norway as well, I am stamped, I am called a "jazz singer" since ever. For me it's more like I was led into jazz music, because I wanted to learn more about how to improvise. That has been my focus all the time, to force myself in new directions. I needed to explore better my possibilities, work with singing, trying to say something important with my songs and trying to be grounded in a way. So that has been my main focus, not how to brand it. And all the time I have been working with my own songs, my own compositions. But that has also led me to meet other musicians, both pop-rock and jazz musicians. So I am not so very much interested in the category, it's more like I am influenced by different kind of styles.
Cela, le public français a dû s'en apercevoir lors des concerts que la pétillante Kristin A. a donné cet été dans l'Hexagone. Mais c'est avant tout avec son dernier disque, sorti chez Universal France en janvier 2010, que la chanteuse compte percer. C'est un peu dommage. Plus ordinairement pop, comme je le disais en entame, The night shines like the day a tout de même été récompensé en Norvège par un Spellemannspris, l'équivalant du Grammy. Ici, un avant-goût avec Snow flake, titre langoureux, mélancolique...
***
L'autre chanteuse qui fait actuellement tourner nos têtes vers le Nord (et la fait tourner à certains) s'appelle Fredrika Stahl.
Fredrika, c'est une fleur qui éclot, des promesses entrevues. Elle aussi refuse désormais l'étiquette jazz. On ne peut que lui donner raison sur la forme, à l'écoute de son 3e disque qui est sorti il y a quelques mois chez Sony Music. Car, dans Sweep me away, l'influence du jazz, qu'elle fredonnait encore il y a quelques années, est désormais bien lointaine. Depuis, sa voix a (un peu) gagné en assurance, à défaut d'une réelle ampleur. Elle est, comment dire, plus ensoleillée, comme ici:
En dépit de quelques similitudes ça et là dans l'accompagnement musical, on est dans un tout autre registre vocal que celui de sa compatriote Lisa Ekdhal. Et tant mieux, car la Betty Boop aux chevilles d'argile ne m'a jamais emballé, hormis quelques-unes de ses 1ères chansons, période Vem vet:
Si elle est née à Stockholm il y a bientôt 26 ans, Fredrika Stahl a passé une partie de sa petite enfance près de Paris, où elle est partie vivre seule, une fois le bac suédois en poche. Comme le piano, elle possède bien notre langue (bien qu'elle chante essentiellement en anglais...). Mais c'est dans sa ville natale qu'elle a trouvé l'inspiration pour son nouveau disque. Lequel, dit-elle, est "le plus proche" de ce qu'elle ressent aujourd'hui d'un point de vue musical. Nous sommes contents pour elle (elle n'y peut sans doute rien, mais les petits entretiens qu'elle donne sur son site sont parfois d'une charmante naïveté... le privilège de la jeunesse!).
En tous cas, sa maison de disques semble parier gros sur elle, à en juger par l'emballage marketing dont elle bénéficie. Saura-t-elle supporter la pression? Allez Fredrika, on t'aime bien quand même, fonce! Kom igen!
NB: Ce billet est une reprise très légèrement mise à jour d'un texte publié en juillet sur mon autre blog, feu Jazz nordique. Que ceux qui l'avaient déjà lu là ne m'en veuillent pas pour cette répétition: c'est bon pour la musique!
jeudi 4 novembre 2010
Tu veux en faire quoi de ce blog?
Comment éviter que ce blog ne se "facebookise"? Le risque existe de tomber dans le piège des petites saillies rédigées à la va-vite, qu'un ou plusieurs lecteurs "aimeront" ou commenteront de manière aussi instantanée. Rien de mal à ça mais pas ici. Comment faire aussi, dans l'exercice bloguesque, pour à la fois rester personnel et intéresser un lectorat plus indéfinissable que celui susceptible, dans le monde clos de Facebook, de poser sur mes brèves digressions une pupille plus ou moins distraite?
La solution consiste sans doute à enrichir le contenu de ce blog. Lancé il y a près de 13 mois (le 1er billet remonte au 13 octobre 2009, et dire que j'ai oublié de sabler le champagne), il a atteint une sorte de vitesse de croisière depuis février. En moyenne, 6,6 billets par mois pour être précis, soit un tous les quatre jours et demi.
Enrichir donc. Très bien, mais pour aller dans quelle direction, et à quel rythme?
Je pourrais relater de manière plus fréquente l'actualité, petite et grande, des pays que je couve/couvre. Mais en ce qui me concerne, les journées sont trop courtes pour se prêter à ce jeu. Et je doute de l'intérêt d'une telle "veille" que d'autres, agences de presse et journaux, du cru ou non, assurent déjà avec des équipes plus étoffées que la team Jacob... A moins qu'un site d'informations ne me propose de le faire pour son compte, moyennant rémunération (avis à la population!).
* * *
Je pourrais aussi me recentrer sur quelques sujets et les traiter plus en profondeur. Ou délaisser l'une des rives de la Baltique (le pan nordique? le balte?) pour me concentrer sur l'autre. J'ai l'impression que des lecteurs sont un peu déroutés par le mélange des torchons et des serviettes. Il y a les inconditionnels des Nordiques. Et il y a les aficionados des Baltes. Du coup, pas grand monde n'y trouverait son compte. Est-ce que je me trompe? N'hésitez pas à me faire part de vos remarques, sur ce point et sur les autres.
Pourtant, je ne veux pas choisir ni exclure. Entre les torchons et les serviettes, comme dirait l'autre, mon coeur balance, et ce pour différentes raisons. J'aime bien aussi ce jeu de miroir et les passerelles entre deux mondes très différents mais pas tant que ça. Et puis si je décidais de bouder les Nordiques ou les Baltes, j'aurais l'air malin avec le titre de mon blog! Il me faudrait aussitôt en changer. Or dans le champ des technologies informatiques, je me sens d'humeur casanière.
* * *
Je crois donc que je vais garder le cap (au Nord!), en privilégiant l'originalité comme j'essaie de le faire depuis un an. Devrais-je prendre plus souvent position, m'engager, me dévoiler davantage pour provoquer un début de débat, voire un bout de polémique? Certains savent bien s'y prendre. J'ai créé une rubrique BALTE-TRAP, sorte de coup de gueule ou de billet d'humeur mais, au vu de leur nombre, vous en déduirez avec moi que je préfère intérioriser mes frustrations et mes colères (ou les garder pour mes proches!). Ce n'est pas le genre de la maison de cracher son fiel en public. Et je ne suis pas certain que beaucoup de lecteurs de blogs aient le temps ou l'envie de se lancer dans des débats de fond à chaque fois qu'ils sont en désaccord avec des idées grappillées ici et là sur le Net.
* * *
Peut-être livrerai-je de temps à autre une nouvelle, comme L'immobilisation, écrite et postée ici cet été. Il est sûr, par ailleurs, que j'évoquerai plus souvent le jazz nordique, depuis l'arrêt de mon autre blog (en entretenir 2 à la fois n'était pas très réaliste...), Jazz nordique.
Je voudrais aussi explorer une nouvelle piste, l'apport d'extraits sonores d'entretiens que je mène dans le cadre de mon boulot. Encore faudrait-il que j'arrive à maîtriser l'outil qui me permettra de les importer sur mon ordinateur et de les monter pour les rendre audibles via ce blog. Je ne désespère pas de pouvoir mettre à disposition des bribes, voire l'intégralité, d'une discussion avec telle ou telle personnalité intéressante. Il y a peu, par exemple, j'ai rencontré Sofi Oksanen - prix Femina étranger 2010 - pour une page dans La Croix, hélas indisponible sur son site. Tout est sur enregistreur numérique (j'allais écrire "bande magnétique"). Pourquoi ne pas vous en faire profiter? De lectrices et lecteurs, vous deviendriez, en un clic, auditrices et auditeurs.
Dans le même esprit, et de surcroît si je ne trouve pas la clé des sons, je compte poursuivre la transcription écrite d'interviews dans leur totalité, comme celui conduit avec Jean-Paul Kauffmann.
Bref, foin des états d'âme et de l'introspection du blogueur solitaire, il y a du pain sur la planche.
La solution consiste sans doute à enrichir le contenu de ce blog. Lancé il y a près de 13 mois (le 1er billet remonte au 13 octobre 2009, et dire que j'ai oublié de sabler le champagne), il a atteint une sorte de vitesse de croisière depuis février. En moyenne, 6,6 billets par mois pour être précis, soit un tous les quatre jours et demi.
Enrichir donc. Très bien, mais pour aller dans quelle direction, et à quel rythme?
Je pourrais relater de manière plus fréquente l'actualité, petite et grande, des pays que je couve/couvre. Mais en ce qui me concerne, les journées sont trop courtes pour se prêter à ce jeu. Et je doute de l'intérêt d'une telle "veille" que d'autres, agences de presse et journaux, du cru ou non, assurent déjà avec des équipes plus étoffées que la team Jacob... A moins qu'un site d'informations ne me propose de le faire pour son compte, moyennant rémunération (avis à la population!).
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Je pourrais aussi me recentrer sur quelques sujets et les traiter plus en profondeur. Ou délaisser l'une des rives de la Baltique (le pan nordique? le balte?) pour me concentrer sur l'autre. J'ai l'impression que des lecteurs sont un peu déroutés par le mélange des torchons et des serviettes. Il y a les inconditionnels des Nordiques. Et il y a les aficionados des Baltes. Du coup, pas grand monde n'y trouverait son compte. Est-ce que je me trompe? N'hésitez pas à me faire part de vos remarques, sur ce point et sur les autres.
Pourtant, je ne veux pas choisir ni exclure. Entre les torchons et les serviettes, comme dirait l'autre, mon coeur balance, et ce pour différentes raisons. J'aime bien aussi ce jeu de miroir et les passerelles entre deux mondes très différents mais pas tant que ça. Et puis si je décidais de bouder les Nordiques ou les Baltes, j'aurais l'air malin avec le titre de mon blog! Il me faudrait aussitôt en changer. Or dans le champ des technologies informatiques, je me sens d'humeur casanière.
* * *
Je crois donc que je vais garder le cap (au Nord!), en privilégiant l'originalité comme j'essaie de le faire depuis un an. Devrais-je prendre plus souvent position, m'engager, me dévoiler davantage pour provoquer un début de débat, voire un bout de polémique? Certains savent bien s'y prendre. J'ai créé une rubrique BALTE-TRAP, sorte de coup de gueule ou de billet d'humeur mais, au vu de leur nombre, vous en déduirez avec moi que je préfère intérioriser mes frustrations et mes colères (ou les garder pour mes proches!). Ce n'est pas le genre de la maison de cracher son fiel en public. Et je ne suis pas certain que beaucoup de lecteurs de blogs aient le temps ou l'envie de se lancer dans des débats de fond à chaque fois qu'ils sont en désaccord avec des idées grappillées ici et là sur le Net.
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Peut-être livrerai-je de temps à autre une nouvelle, comme L'immobilisation, écrite et postée ici cet été. Il est sûr, par ailleurs, que j'évoquerai plus souvent le jazz nordique, depuis l'arrêt de mon autre blog (en entretenir 2 à la fois n'était pas très réaliste...), Jazz nordique.
Je voudrais aussi explorer une nouvelle piste, l'apport d'extraits sonores d'entretiens que je mène dans le cadre de mon boulot. Encore faudrait-il que j'arrive à maîtriser l'outil qui me permettra de les importer sur mon ordinateur et de les monter pour les rendre audibles via ce blog. Je ne désespère pas de pouvoir mettre à disposition des bribes, voire l'intégralité, d'une discussion avec telle ou telle personnalité intéressante. Il y a peu, par exemple, j'ai rencontré Sofi Oksanen - prix Femina étranger 2010 - pour une page dans La Croix, hélas indisponible sur son site. Tout est sur enregistreur numérique (j'allais écrire "bande magnétique"). Pourquoi ne pas vous en faire profiter? De lectrices et lecteurs, vous deviendriez, en un clic, auditrices et auditeurs.
Dans le même esprit, et de surcroît si je ne trouve pas la clé des sons, je compte poursuivre la transcription écrite d'interviews dans leur totalité, comme celui conduit avec Jean-Paul Kauffmann.
Bref, foin des états d'âme et de l'introspection du blogueur solitaire, il y a du pain sur la planche.
dimanche 31 octobre 2010
Les "frères de la forêt", résistants méconnus
Celles et ceux qui ont lu Purge, de Sofi Oksanen, et n'étaient pas familiers avec l'histoire récente de l'Estonie ont peut-être découvert l'existence des "frères de la forêt". Hans, "fils d'Eerik Pekk, paysan estonien", l'un des personnages du livre, campe l'un de ces patriotes que la terreur soviétique poussa, dans la vraie vie, à prendre le maquis dans les forêts profondes. En Estonie, mais aussi en Lituanie et en Lettonie, ils luttèrent, avec leur moyens très réduits, contre l'occupant venu de l'Est.
Hans Pekk, dont les lettres écrites dans la clandestinité scandent les différentes parties du roman, se désespère de ne pas voir les Anglais ou les Américains venir au secours de son pays envahi. Les "frères de la forêt" attendront en vain, jusqu'à leur mort, leur arrestation ou, plus rarement, leur reddition.
Mart Laar, ex-premier ministre estonien rencontré récemment à Tallinn, connaît bien le sujet. Il y a consacré un livre, au terme de recherches menées, non sans risques, avant même la fin de l'URSS. Signée Mel Huang, cette critique de l'ouvrage (War in the Woods: Estonia's Struggle for Survival, 1944 -1956) restitue bien le contexte de l'époque.
Le député barbu, qui dirige actuellement l'un des partis de droite au pouvoir à Tallinn, me raconte qu'aujourd'hui encore, il est difficile de savoir avec exactitude combien d'Estoniens - dont une petite minorité de femmes - partirent ainsi vivre dans la forêt jusque dans les années 1950. "On estime généralement leurs chiffres à plus de 30 000, en incluant ceux qui se cachaient sans prendre part aux combats."
Si l'on ramène ce chiffre à la population totale de l'Estonie actuelle (1,34 million de personnes), cela fait un habitant sur 44 (!).
"La plupart d'entre eux, précise-t-il, ont été tués ou déportés en Sibérie."
Pendant quatre décennies ou presque, tout lien familial avec un "frère" ou une "soeur" de la forêt était synonyme d'ennuis, réels ou potentiels. Aussi Mart Laar n'est-il pas peu fier d'avoir commencé, lorsqu'il dirigea le gouvernement estonien après le retour à l'indépendance, à honorer les survivants en les décorant d'une médaille de la résistance, créée à cet effet. Une médaille, ça peut paraître dérisoire mais, à la sortie du long tunnel soviétique, un tel geste avait une portée symbolique forte dans un Etat à nouveau souverain.
Plus récemment, l'ancien premier ministre a écrit une pièce de théâtre inspirée d'histoires récoltées auprès des derniers survivants ou de leurs proches. "J'ai raconté comment l'amour, notamment, pouvait pousser des gens à trahir." Un thème qu'aborde aussi Sofi Oksanen dans son roman Purge. Jouée il y a trois-quatre ans sur la scène du théâtre de Võru, au coeur de la région (dans le sud-est du pays) où les résistants passent pour avoir été les plus actifs, la pièce signée Mart Laar connut un certain succès. "L'un de mes personnages principaux, qui avait existé en réalité, a été arrêté et fusillé. Son ancien amour de jeunesse, venue assister à la pièce, est montée sur scène pour offrir des fleurs au comédien qui interprétait son ami disparu... Une sorte de reconnaissance de la qualité de la pièce."
Mais n'enjolivons pas. Pour avoir discuté du sujet en Lettonie et en Lituanie, j'ai aussi entendu parler de "frères de la forêt" au comportement moins glorieux. Certains d'entre eux ne rejoignaient la clandestinité que parce qu'ils avaient quelque chose à se reprocher ou commettaient plus de larcins que nécessaire pour survivre dans les bois. "Comme toujours, m'a glissé un jour un Lituanien, il y avait des bandits parmi les idéalistes..."
NB (le 5 novembre 2010): Plusieurs personnes m'ont soutenu que Mart Laar, responsable politique avant tout, n'était pas le plus orthodoxe des historiens, et je suis enclin à les croire. Il n'est pas non plus le seul à avoir travaillé et écrit sur les "frères de la forêt". On me signale l'existence d'autres livres ou articles (que je n'ai pas lus) et, en particulier, l'ouvrage coordonné par le Lituanien Arvydas Anušauskas, The Anti-Soviet Resistance in the Baltic States (Genocide and Resistance Research Centre of Lithuania, Vilnius, 1999).
Les témoignages de lecteurs sont les bienvenus ici.
mercredi 27 octobre 2010
En Suède, les manoeuvres anti-droite extrême ont commencé
J'arrive à Stockholm à un moment a priori important pour la vie politique suédoise à venir. La coopération entre le Parti social-démocrate et ses alliés vert et ex-communiste est en passe de se défaire. Ce qui signifie que le gouvernement de centre droite, devenu minoritaire au parlement après les élections du 19 septembre (voir ici les résultats officiels), aura plus de facilité à coopérer avec l'un ou l'autre de ces partis d'opposition. Plus vraisemblablement les Verts, mais sans doute aussi les sociaux-démocrates au coup par coup. Si ce scénario se concrétise, le gouvernement aura alors réussi à ne pas dépendre du soutien des 20 députés d'extrême droite nouvellement élus, comme promis après le scrutin.
La décision des trois partis "de gauche" (pour simplifier) de partir ensemble à la bataille électorale de septembre, au lieu d'y aller séparément comme par le passé, leur a coûté des voix. Le Parti de gauche (ex-communiste) a effrayé une partie de l'électorat social-démocrate traditionnel. Les Verts sont apparus trop au centre pour les partisans du Parti de gauche... Bref, cette alliance, destinée à faire contre-poids à celle qui unit les quatre partis de centre-droit au pouvoir depuis 2006, a eu plus d'inconvénients que d'avantages.
Hier, 24 heures seulement après avoir présenté une contre-proposition commune de budget pour l'an prochain, deux des trois partis en question ont annoncé que la coopération ayant prévalu depuis fin 2008 était interrompue. "Une pause", dit Mona Sahlin, la chef social-démocrate. "La fin de notre coopération institutionnelle", annonce Peter Eriksson (Verts). Seul le Parti de gauche fait comme si de rien n'était, en affirmant que tout continue comme avant. Etonnante, cette capacité à nier la réalité...
Les Verts vont-ils prochainement franchir le Rubicon et entamer une coopération régulière avec le gouvernement minoritaire du conservateur Fredrik Reinfeldt? C'est LA question du moment, alors que la classe politique traditionnelle tente de trouver un moyen de court-circuiter les Démocrates de Suède, ce parti d'extrême droite qui vient de faire son entrée au parlement avec 5,7% des voix.
En attendant, Mona Sahlin se voit à nouveau contestée en interne après le pire résultat enregistré par le Parti social-démocrate depuis 1914 (30,6% des voix). Même si elle s'accroche à son poste, rien ne garantit qu'elle mènera sa formation aux prochaines législatives, prévues en principe en 2014. Déjà se profile une alternative en la personne d'Ilija Batljan, né en 1967 au Monténégro et arrivé en Suède à l'âge de 26 ans, dans le sillage de la guerre dans l'ex-Yougoslavie. Cet actuel élu stockholmois représente la "nouvelle" Suède multiculturelle (photo prise à Gotland cet été) apparue après des siècles d'homogénéité. Une évolution que veut combattre l'extrême droite et les électeurs qu'elle a attiré à elle.
La décision des trois partis "de gauche" (pour simplifier) de partir ensemble à la bataille électorale de septembre, au lieu d'y aller séparément comme par le passé, leur a coûté des voix. Le Parti de gauche (ex-communiste) a effrayé une partie de l'électorat social-démocrate traditionnel. Les Verts sont apparus trop au centre pour les partisans du Parti de gauche... Bref, cette alliance, destinée à faire contre-poids à celle qui unit les quatre partis de centre-droit au pouvoir depuis 2006, a eu plus d'inconvénients que d'avantages.
Hier, 24 heures seulement après avoir présenté une contre-proposition commune de budget pour l'an prochain, deux des trois partis en question ont annoncé que la coopération ayant prévalu depuis fin 2008 était interrompue. "Une pause", dit Mona Sahlin, la chef social-démocrate. "La fin de notre coopération institutionnelle", annonce Peter Eriksson (Verts). Seul le Parti de gauche fait comme si de rien n'était, en affirmant que tout continue comme avant. Etonnante, cette capacité à nier la réalité...
Les Verts vont-ils prochainement franchir le Rubicon et entamer une coopération régulière avec le gouvernement minoritaire du conservateur Fredrik Reinfeldt? C'est LA question du moment, alors que la classe politique traditionnelle tente de trouver un moyen de court-circuiter les Démocrates de Suède, ce parti d'extrême droite qui vient de faire son entrée au parlement avec 5,7% des voix.
En attendant, Mona Sahlin se voit à nouveau contestée en interne après le pire résultat enregistré par le Parti social-démocrate depuis 1914 (30,6% des voix). Même si elle s'accroche à son poste, rien ne garantit qu'elle mènera sa formation aux prochaines législatives, prévues en principe en 2014. Déjà se profile une alternative en la personne d'Ilija Batljan, né en 1967 au Monténégro et arrivé en Suède à l'âge de 26 ans, dans le sillage de la guerre dans l'ex-Yougoslavie. Cet actuel élu stockholmois représente la "nouvelle" Suède multiculturelle (photo prise à Gotland cet été) apparue après des siècles d'homogénéité. Une évolution que veut combattre l'extrême droite et les électeurs qu'elle a attiré à elle.
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