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vendredi 3 décembre 2010

WikiLeaks éclaire les bisbilles scandinaves

WikiLeaks est de nouveau sur mon agenda. L'Express me propose de glaner des informations pour un article en cours de préparation à Paris. Je tente de démêler le pan suédois (à mon avis, le moins passionnant) du cas Julian Assange. Difficile d'apporter quelque chose de neuf, lorsque beaucoup a déjà été dit et écrit sur les (présumés) dérapages sexuels du cofondateur du site WikiLeaks. L'avocat suédois de l'Australien, Me Björn Hurtig, est presque aussi muet que la procureure en charge. Il est vrai que l'affaire (résumée ici par l'AFP) est confuse et sensible et que tout propos risque d'être exploité par les différentes parties.

La dernière livraison en date de documents confidentiels américains publiés par WikiLeaks - du moins ce que l'on en sait - nous apporte des éléments beaucoup plus intéressants dans une perspective nordique. C'est de cela dont je veux parler aujourd'hui. Les télégrammes des ambassades des Etats-Unis à Oslo et à Stockholm, rendu publics par le site honni par Washington et pas mal d'autres capitales, lèvent un coin de voile sur le jeu ayant entouré la décision norvégienne d'acquérir des F-35 américains pour remplacer, dans la seconde moitié des années 2010, ses F-16 vieillissants.

Annoncée en novembre 2008, cette décision prise au détriment du JAS Gripen suédois a, vous vous en doutez, une portée qui excède celle d'un simple contrat industriel, même si la somme en jeu n'est pas anecdotique (environ 2 milliards d'euros pour 48 appareils). Car le choix d'Oslo a donné un coup de frein sérieux, au moins de manière temporaire, à l'élan de coopération nordique qui se dessinait en matière de défense. Il a aussi, semble-t-il, douché les espoirs d'une coordination basée sur une vraie confiance mutuelle entre ces pays sur d'autres dossiers. Les bisbilles régionales ne sont pas prêtes de cesser.

Parlons d'abord canons et obus. Depuis quelques années, les gouverne- ments nordiques taillent dans leurs budgets défense respectifs et tentent de réformer des armées bâties pour la Guerre froide. Les Nordiques ne pourraient-ils pas faire char ou avion commun dans le "nouveau monde" issu de la disparition de l'URSS? L'idée a d'abord semblé saugrenue pour cause de d'incompatibilités entre les neutres (Finlande, Suède) et les membres de l'Otan (Danemark, Islande, Norvège). Puis elle a fait son chemin, avant d'être promue par un rapport pondu par un ancien ministre norvégien de la défense et des affaires étrangères. Thorvald Stoltenberg (le père de Jens, l'actuel premier ministre) a voulu y aborder sans tabou les différents moyens pour les Nordiques de mieux coordonner sur le terrain leurs politiques de défense et de sécurité.

Si les idées de Stoltenberg senior devaient avoir une certaine substance, le gouvernement dirigé par son fiston travailliste n'était-il pas "obligé" de commander le JAS Gripen, qui équipe déjà l'armée suédoise? La Norvège était attendue au tournant. D'autant que, comme le serinait Saab (son maître d'oeuvre), l'appareil suédois avait déjà ses preuves: il a été commandé, entre autres, par l'Afrique du Sud et la Thaïlande, qui l'exploitent au quotidien, contrai- rement au F-35 encore en cours de dévelop- pement. Qui plus est, l'appareil suédois (photo) représentait, sur le papier, l'avantage d'être moins cher que l'américain.

C'était sans compter avec quelques paramètres qui ont fait la différence:
* Le prix des avions n'est pas l'élément le plus décisif pour un pays devenu très riche grâce au pétrole.
* La proximité géographique, culturelle, linguistique, historique, etc. n'est pas un argument suffisant pour vendre un avion de guerre.
* Les vieux liens entre Oslo et Washington, tissés de longue date et particulièrement durant la Guerre froide, ne sont pas aussi distendus que ne l'espéraient les Suédois (eux aussi très proches des Américains, en dépit d'une non-appartenance à l'Otan). Certes, le gouvernement en poste depuis 2005 est une coalition de centre gauche censée être moins proaméricaine qu'une alternative de centre droite, mais dès lors que les intérêts géopolitiques du royaume sont en jeu...
* Un pays membre de l'Alliance atlantique a tendance à acheter du matériel "compatible Otan", donc construit par un autre Etat membre. Un atout pour le F-35 même si une bonne partie des pièces du JAS Gripen sont en fait d'origine américaine.
* Les Suédois ont pris leurs désirs pour des réalités.

Après deux ans de réflexion, Oslo finit donc par opter (oh surprise!) pour l'appareil américain (photo), en l'estimant supérieur au suédois sur tous les points. Grise mine à Stockholm. Les Suédois s'en étonnèrent en public et en privé, persuadés que leurs cousins norvégiens avaient lu trop rapidement le mode d'emploi du JAS Gripen. Dégât colatéral: l'espoir d'une coopération nordique en matière de défense en prit un coup, que certains tentent depuis de revigorer, par des petits pas concrets ou par des déclarations d'intention volontairement provocantes (je vous invite à lire mon récent article publié dans L'Express).

* * *

Que nous apprennent les documents américains publiés désormais grâce à WikiLeaks?

A en croire les télégrammes des ambassades à Oslo et à Stockholm, dont le quotidien suédois Aftonbladet a publié des extraits dans son édition du 3 décembre, le gouvernement norvégien a nettement moins tergiversé qu'il ne l'a laissé entendre aux Suédois. On découvre notamment que, dès le 23 octobre 2008, alors qu'Oslo affirmait publiquement encore évaluer le dossier JAS Gripen, le secrétaire d'Etat à la défense (Espen Barth Eide) a "donné tous les signaux selon lesquels le F-35 serait choisi", lors d'une rencontre avec un général américain (Roger Brady). Le lendemain même, c'était au tour du ministre des affaires étrangères (Jonas Gahr Støre) de confier à l'ambassadeur américain (Benson Whitney) que "si nous ne faisons pas d'erreur, tout ira bien". Ce n'était pourtant pas gagné d'avance, étant donné la publicité négative dont avait initialement souffert le F-35.
Le 20 novembre 2008, quelques heures après que le ministre suédois de la défense (Sten Tolgfors) se fut exprimé de manière optimiste quant aux chances du JAS Gripen, le choix de son rival américain était annoncé officiellement par le gouvernement d'Oslo.

Les amicales pressions améri- caines, retracées dans les télégram- mes confi- dentiels cités par Aftonbladet, se sont donc révélé d'une grande efficacité. En filigrane se profile aussi le travail de détection et de conquête d'un allié dans la place. A Oslo, l'ambassade américaine (photo) a repéré Espen Barth Eide, alors considéré comme l'un des brillants représentants de la jeune garde travailliste. Celui-ci fit l'objet, selon les mêmes sources, d'un rapport destiné entre autres à la CIA et aux services de renseignements militaires américains: ses points forts et ses faiblesses, ses ambitions (un poste aux Nations unies), ses centres d'intérêt privés, etc. Depuis sa mise en cause par les documents publiés par WikiLeaks, l'intéressé a démenti avoir donné de quelconques signaux aux diplomates américains.
Et pour être sûre de bien savonner la planche suédoise, l'ambassade américaine à Stockholm avait, en juillet 2008, plaidé en faveur (et obtenu) le report très opportun d'une décision de Washington quant à la vente d'un système radar made in USA dont les Suédois voulaient doter leur JAS Gripen. Pas de décision sur le radar américain? Il était donc encore moins intéressant pour les Norvégiens d'acheter l'avion suédois!

Ce petit déballage proposé par WikiLeaks n'est pas une surprise pour les experts militaires. La vente d'armes n'a jamais été une affaire de saints (Saab en sait quelque chose, lui qui a été soupçonné d'avoir - avec son ex-partenaire britannique BAE Systems - versé des pots-de-vin pour la vente du même Gripen, comme évoqué ici ou ). Mais voir des détails du genre passer de l'état de simples suppositions/rumeurs à celui d'informations étayées par des documents confidentiels (non-démentis par les autorités américaines) n'est pas le moindre intérêt des fuites organisées par WikiLeaks, quelles que soient les réserves qu'on puisse avoir sur les motivations de cette organisation et sur le bien-fondé de l'hypothétique "transparence totale" dont elle s'est fait l'apôtre.

dimanche 29 août 2010

La témérité islandaise à l'épreuve de WikiLeaks

L'Islande se prépare doucement à modifier sa législation en vue de devenir un "refuge pour le journalisme". Une résolution parlementaire (et non un projet de loi), adoptée le 16 juin par le parlement de Reykjavik, oblige le gouvernement à rendre compte tous les trois mois de l'avancement des travaux. Le dossier, j'allais dire la patate chaude, a été confié au ministère de l'éducation et de la culture, en charge des médias.
Nous en saurons donc bientôt (en principe le 16 septembre) davantage sur les contours exacts de cet ambitieux projet, baptisé Icelandic Modern Media Initiative (IMMI), présenté ici en anglais.

Il est à la fois simple et compliqué.

Simple parce qu'il s'agit de transposer dans la loi islandaise les dispositions législatives existant déjà ailleurs (Suède, Belgique, Etats-Unis, etc.) dans le but de protéger les médias, les journalistes et leurs sources. Une sorte de best of, en quelque sorte. En soi, je ne peux qu'approuver la démarche.

Compliqué parce qu'il faut s'assurer qu'un tel dispositif ne permette pas à divers organisations ou individus menant des activités illégales ou douteuses de se protéger derrière la future "super loi". "Reykjavik respectera ses obligations internationales", insiste-t-on au ministère de la culture.

Comme je l'écris en conclusion d'un article publié sur le sujet dans La Croix du 23 août (L'Islande se pose en champion de la liberté d'expression), rien ne garantit toutefois que le projet sera mené à son terme. La taille moyenne des articles de journaux ne cessant de rapetisser, je n'ai pas pu développer mes arguments dans le volume qui m'a été accordé par ce quotidien. Je vais donc m'expliquer ici.
Certes, le projet de résolution a été déposé par des députés de tous les partis représentés au parlement issu de la "révolution des ustensiles de cuisine" qui, en janvier 2009, fit chuter le gouvernement dirigé par les conservateurs (période que j'avais analysée ici). Mais, connaissant un peu l'environnement politique islandais et après en avoir discuté avec diverses sources sur l'île, je ne peux m'empêcher de croire que certains députés se sont ralliés à l'IMMI, non pas parce qu'ils sont convaincus de son bien-fondé, mais parce qu'ils ne veulent pas risquer d'être accusés un jour d'avoir laissé passer le train (s'il arrive à destination) sans monter à bord.
Adopter une résolution ne mange pas de pain. Le gros du travail législatif reste à accomplir et le débat politique à avoir lieu sur l'île qui, en cette période de crise, a eu d'autres chats à fouetter.
Qui plus est, l'IMMI a reçu le soutien actif de WikiLeaks et de son porte-parole et cofondateur, l'Australien Julian Assange, comme je le racontais dans La Croix.

Aujourd'hui, les promoteurs de cette initiative et le gouvernement islandais insistent pour que l'on dissocie les deux dossiers:
"l'IMMI n'est pas un projet de WikiLeaks". Je les comprends très bien. Mais étant donné l'odeur de soufre qui entoure Julian Assange et son site (qu'on le regrette ou non), je parierais bien que cet apport extérieur aura des répercussions en Islande. Affaire à suivre.