mardi 9 mars 2010

Ignalina: Viktor Nikolaïevitch doit s'en aller

L'inamovible Viktoras Ševaldinas a fini par être poussé vers la sortie. Après 20 années (à sept mois près) à la direction de la centrale nucléaire d'Ignalina, en Lituanie, il vient d'être renvoyé par le ministre de l'énergie.
Autant le gouvernement lituanien semblait satisfait de son travail alors que la centrale fonctionnait encore, autant il ne lui convenait plus en cette période de démantèlement. Car l'établissement que quitte Ševaldinas n'est plus que l'ombre de lui-même. Ses deux immenses réacteurs, inaugurés en 1984 et 1987, sont désormais silencieux.
Aussi étonnant que cela puisse paraître, l'ingénieur en chef n'a pas vu sa carrière bloquée par ses origines russes, en dépit du caractère stratégique du secteur. En novembre 1991, la Lituanie avait déjà recouvré son indépendance lorsqu'on le nomma à la tête de la centrale. Le jeune Etat "lituanisa" toutefois son nom (à l'origine Viktor Chevaldine), comme pour tous les Russes naturalisés automatiquement.
A son actif, le camarade Viktor Nikolaïevitch pouvait se targuer d'une carrière déjà longue dans le nucléaire civil soviétique. Après avoir fait ses armes dans une centrale de Leningrad à partir de 1971, il était arrivé dès 1982 à Ignalina, alors encore en chantier.
A partir du début des années 2000, le directeur de la centrale avait dû avaler pas mal de couleuv- res, comme je le raconte dans un chapitre de mon livre sur les pays baltes reproduit récemment par le site diploweb.com. Car l'Union européenne mettait la fermeture d'Ignalina comme condition à l'adhésion de la Lituanie. Pas question de risquer un Tchernobyl bis dans un futur Etat membre de l'UE!, entendait-on à Bruxelles. D'autres esprits moins orthodoxes voyaient là le résultat d'une discrète manoeuvre de grands industriels ouest-européens de l'atome pour achever de discréditer la technologie russe et se préparer un éventuel nouveau marché dans les pays baltes, une fois Ignalina fermée.
Lors de mes deux visites dans la centrale, j'ai croisé un Ševaldinas qui ne comprenait pas qu'on puisse priver le pays balte d'une telle source d'énergie "bon marché et sûre". En guise d'assurance tout risque, il évoquait l'assistance technique d'experts suédois et les investissements réalisés au fil du temps pour mettre la centrale aux normes. La validité de ses arguments n'aura, heureusement, pas eu à être testée...
Alors que la date de clôture du second réacteur (le 31 décembre 2009) se rapprochait, Ševaldinas s'était fait plus critique. C'est sans doute l'une des raisons officieuses pour lesquelles il a été écarté de la direction la semaine dernière. Sa connaissance du site demeure a priori intéressante pour la Lituanie, puisqu'on lui a proposé de rester comme consultant.
En vidant son bureau de directeur, il doit se dire qu'il avait visé juste lorsqu'il avait mis en garde contre la hausse des prix de l'électricité, une fois les deux réacteurs arrêtés. Le 27 février, ces augmentations ont incité entre 3000 et 5000 habitants de la commune proche d'Ignalina - essentiellement des russophones - à manifester leur mécontentement. Au moins sur ce point-là, Viktor Nikolaïevitch n'avait pas tort.

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