"Ah bon, vous habitez en Lettonie..." Combien de fois ai-je entendu cette réplique de la part d'Islandais rencontrés lors de mon séjour sur leur île? Il y avait dans leur voix ou leur regard comme un début de complicité résignée, un soulagement ou au moins l'espoir d'être compris en cette période très morose.
"Ah bon, vous habitez en Lettonie." Sous-entendu: "bienvenue au club" des pays européens ayant le plus morflé depuis la crise financière de l'automne 2008. Ou "vous savez donc, vous aussi, de quoi il en retourne".
La solidarité entre perdants, si tant est qu'elle existe.
Similaires, ces deux pays le sont aussi dans leur dépendance vis-à-vis du Fonds monétaire international. Le FMI a avancé l'argent qui leur avait manqué pour ne pas y avoir recours. Les voilà tous deux dans la nasse.
Aujourd'hui encore, je me demande s'il vaut mieux être affecté par la crise en tant qu'Islandais ou en tant que Letton.
Ni l'un ni l'autre, bien sûr.
Mais répondre de la sorte, c'est s'en tirer un peu trop facilement...
Pas besoin de réfléchir beaucoup plus longtemps pour se dire que, sur le papier, l'Islande paraît mieux placée:
1. Ce pays a eu le temps, avant le coup d'arrêt brutal de 2008, de se doter d'un Etat-providence qui, s'il n'est sans doute pas aussi développé que chez les cousins nordiques, permet d'amortir les chocs. Pas la Lettonie, où le social est le cadet des soucis des gouvernants depuis le retour à l'indépendance.
2. La décroissance observée dans le pays balte (près de 18% du produit intérieur brut en 2009) est autrement plus profonde que celle touchant l'Islande (8,5% du PIB).
3. De plus, au moment où la crise s'est imposée, la Lettonie partait de nettement plus bas dans l'échelle de la prospérité. Elle était - et demeure a fortiori - l'un des pays les moins riches de l'UE. L'Islande, elle, caracolait dans le peloton de tête des pays les mieux nantis de la planète. Une "performance", il est vrai, bâtie en grande partie sur du vent... La population l'a appris à ses dépens, lorsque le secteur bancaire de l'île, artificiellement grossi, s'est dégonflé telle une baudruche.
4. Si l'on fait abstraction de l'immense dette islandaise, ce pays semble mieux armé pour s'en sortir. Du poisson en veux-tu en voilà, de l'énergie naturelle bon marché, des paysages à faire tomber le touriste le plus désabusé: autant d'atouts que n'a pas la Lettonie...
Alors ainsi est-ce clair, mieux vaudrait vivre la crise en Islande?
J'aimerais tant répondre que non! Pour ne pas démoraliser les Lettons, précisément parce qu'ils sont moins bien lotis sur le papier. J'aimerais être sûr que la solidarité, entre membres d'une même famille ou entre voisins, joue davantage dans le pays balte, comme elle le faisait souvent à l'époque soviétique. J'ai envie de croire ces Lettons qui me racontent combien les liens se sont resserrés ces derniers mois, après la distance induite par la relative prospérité consécutive à l'adhésion à l'UE (en 2004). Mais cela concerne-t-il tout le monde? Je crains que non. Et j'ai entendu le même discours en février en Islande.
Décidément, la comparaison tourne à l'avantage de l'île...
Quelques éléments viennent toutefois nuancer le tableau:
1. La déception éprouvée par les Islandais vis-à-vis de leur classe politique doit être plus vive que celle ressentie par les Lettons. Ceux-ci ne se sont jamais fait d'illusions, tant il paraît évident que les partis politiques servent les intérêts des businessmen qui les ont créés après la fin de l'occupation soviétique. Pas de quoi s'en réjouir mais c'est un fait - contre lequel les Lettons, fatalistes, ne se sont pas révoltés. Les Islandais, eux, ont cru un temps vivre dans un système qui s'apparentait à celui d'une démocratie nordique, avec une dose certaine de transparence si l'on compare avec le reste de l'Europe. Jusqu'à ce que la crise de 2008 ne mette crûment en évidence la collusion entre dirigeants politiques, chefs d'entreprise et médias du pays, finalement très logique sur une île comptant à peine 320 000 habitants... La "révolution des ustensiles de cuisine" de janvier 2009 a abouti à la démission du gouvernement mené par les conservateurs. Mais l'équipe de centre-gauche qui lui a succédé a déjà fait son lot de déçus. A sa décharge, il faut admettre que c'est à elle qu'incombe la tâche difficile de gérer les conséquences de la crise.
2. Les Lettons, et surtout les plus défavorisés d'entre eux, ont eu moins le temps de s'habituer au confort moderne que les Islandais. La précédente période de vaches maigres (ou plutôt de moutons maigres) sur l'île nordique remonte à plusieurs décennies. Depuis, les réflexes d'autodéfense en période difficile ont dû s'émousser.
Deux maigres consolations pour les Lettons moyens qui, ces dernières années, commençaient juste à sortir la tête de l'eau d'un point de vue confort de vie. Ils n'ont eu qu'à la replonger.
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