jeudi 16 juin 2011

On ne plaisante plus en Lettonie

Les événe- ments s'ac- célèrent en Lettonie. Ce jeudi 16 juin, le parlement a décidé de remercier le direc- teur de l'agence anti-corruption, le KNAB. Normunds Vilnitis avait été placé là début 2009, non pas par l'actuel gouvernement mais par celui qui était alors encore contrôlé plus ou moins ouvertement par les oligarques du pays. Depuis, l'intéressé n'avait pas déçu ceux qui l'avaient installé à ce poste-clé (contrairement à son prédécesseur, Aleksejs Loskutovs, qui avait commencé à chercher des poux dans la tête de la même bande, avant d'être écarté en 2008). Lorsque ledit KNAB a lancé, à partir du 20 mai dernier, sa plus grande opération contre les oligarques, Vilnitis n'a pas même daigné interrompre ses vacances à l'étranger.
C'est désormais l'adjointe du directeur remercié, avec lequel elle était en conflit ouvert, qui - une nouvelle fois - dirigera l'agence par intérim, en attendant la nomination officielle d'un successeur. Juta Strike est une sorte de Jeanne-d'Arc locale, Lettone formée à l'école scandinave (la police danoise) avant de revenir au pays jouer les poils à gratter. Tel que c'est parti, l'été devrait être chaud pour ceux qui ont des choses graves à se reprocher.

Plus que jamais dans la courte histoire de la Lettonie indépendante s'affrontent ouvertement deux camps.
D'un côté, il y a ceux qui désirent un retour au statu quo ante, fondé sur des pratiques héritées du soviétisme finissant montées en sauce avec des ingrédients du capitalisme le plus débridé.
De l'autre, il y a ceux qui estiment qu'il est temps de passer à autre chose, même si les contours de cette phase à venir restent à définir. Cet "autre chose" semble en tous cas impliquer un plus grand respect de l'Etat de droit, un espace plus respirable où tout ne se déciderait plus à huis clos entre quelques hommes d'affaires et leurs obligés politiques, mais selon des préceptes plus conformes à l'idéal démocratique (tout aussi perfectible soit-il), mâtinés d'un minimum de transparence. Quelque chose comme ça.
Contrairement à l'ami Tintin en Baltonie, à qui j'avais confié la maison en mon absence, je n'ai pas la naïveté de croire que le second des deux camps en question n'est composé que bonnes âmes irréprochables (elles n'existent pas, et encore mois dans les "hautes" sphères politiques). Mais je suis persuadé que le camp adverse, lui, n'est constitué que de gens néfastes à leur pays et prêts à tout pour défendre les grosses parts du gâteau qu'ils se sont arrogés depuis la sortie de l'Union soviétique.

Certains me demanderont pourquoi le parlement letton a décidé ce jeudi d'approuver (par 82 voix sur 100) la décision gouvernementale visant à congédier le chef du KNAB, alors que, le 26 mai, le même parlement, dans sa majorité, refusait de lever l'immunité parlementaire de l'un de ses membres, l'oligarque Ainars Slesers, et qu'une semaine plus tard, il élisait à la présidence de la République le candidat soutenu par l'un des deux autres oligarques.
Excellente question, comme dirait l'autre.
La réponse me semble évidente: les députés, sauf surprise lors du référen- dum du 23 juillet destiné à valider la procédure de dissolution du parlement lancée par le président sortant, Valdis Zatlers (qui quittera son palais - photo - le 7 juillet), ont intérêt à se refaire une virginité avant d'affronter le verdict des urnes à la fin de l'été. Car plusieurs indices montrent que la population lettone n'est plus aussi dupe qu'avant, ni aussi prompte à fermer les yeux sur les abus commis par ceux qui ont eu les mains libres, jusqu'à ces derniers temps, pour en faire à leur guise.

L'indice le plus probant remonte au 8 juin, lorsque entre 5 000 et près de 10 000 personnes - comme d'habitude, ça varie selon les estimations - se sont réunies sur une île artificielle du centre de Riga pour, de manière symbolique, "enterrer" les oligarques (voire les brûler, comme le montre cette vidéo filmée en fin de manifestation).



Une telle affluence est rare dans ce pays peu versé dans l'extériorisation collective des sentiments et des frustrations. Ce jour-là, j'étais hors de Lettonie mais des témoins directs m'ont rapporté qu'une majorité de participants étaient des jeunes qui, d'ordinaire, estiment avoir mieux à faire que de se préoccuper de ce vieux machin vérolé qu'est la politique locale.
Grâce notamment aux réseaux sociaux en ligne, de nouveaux visages sont apparus, apparemment déterminés à ne pas se laisser intimider. Ce jour-là, chose impensable dans le pays, on appela la foule à boycotter les oligarques, à refuser leurs combines, à décliner leurs "faveurs", à renoncer à les servir dès lors qu'ils entreraient dans un restaurant, à cesser de jouer s'ils allaient au théâtre, bref à leur tourner le dos. Du jamais vu, du jamais entendu en public.
Encore une fois, j'attends de voir si cet élan durera et comment il se traduira dans les urnes, avec quelles conséquences. Qui sortira vainqueur des prochaines législatives, avec quelles intentions en tête? Nous en reparlerons certainement ici et ailleurs. En attendant, les événements s'accélèrent et les enjeux sont plus importants qu'il n'y paraît vu de loin. En quatre mots: on ne plaisante plus.

2 commentaires:

  1. Espérons juste que la très talentueuse Juta Strike ne fera qu'un intérim à la tête du KNAB : elle est trop précieuse pour rester à ce poste trop en vue, dont le directeur saute au moindre coup de vent. Il est préférable qu'elle conserve la responsabilité opérationnelle.
    Mon vieil ami Jurijs Reksna, à qui avait été proposé de prendre la direction du service en 2004 avait alors refusé, connaissant trop bien les arcanes du pouvoir letton. Depuis, on ne peut pas dire que les chefs de ce service ont eu un grand futur administratif.

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  2. D'accord avec toi sur le 1er point, Philippe. Quant au 2e, je n'ai pas le plaisir de connaître ton ami JR mais ça m'intéresserait de lui parler (s'il parle).

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