A sa grande surprise, Tintin obtient de rester quelques jours de plus en Baltonie. Son rédacteur en chef est de bonne humeur lorsqu'il l'appelle depuis sa chambre d'hôtel.
- Ecoutez Tintin, je sens que le sujet vous passionne. Entre nous, nos lecteurs n'en ont pas grand-chose à battre de ce qui se trame en Baltonie mais bon, je vous accorde trois jours de plus. Cela dit, attention, vous me ramenez...
- Je sais, je vous ramène une belle histoire, avec de la couleur, du vécu, de l'intime, pas du jus de crâne de politologue...
- Ca, évidemment, bien sûr! Mais surtout, surtout, vous me ramenez une note de frais qui ne soit pas astronomique. Le journal doit rendre des comptes à ses actionnaires, vous le savez, et la pub, c'est pas fameux...
- Comptez sur moi, je connais la musique.
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Muni de ce blanc-seing, Tintin va enfin pouvoir approfondir le sujet. Le chef a vu juste, le sujet le passionne. Que le lectorat français n'en ait pas grand-chose à faire, il peut bien l'imaginer mais il trouve ça dommage. Car, songe-t-il, voilà un pays européen placé devant un choix tel qu'il n'a jamais été aussi clairement présenté auparavant: se complaire dans un système hérité d'un autre âge, fondé sur la magouille, l'opacité et le clientélisme, ou écarter les tristes acteurs de cette farce pour repartir sur des bases plus saines.
Vaste programme. Même Tintin, grand naïf devant l'éternel, se rend compte de l'immensité de la tâche. Pas facile de s'extraire d'un moule dans lequel on baigne depuis des décennies. Le clapotis d'un jus recuit résonne dans tous les locaux d'entreprises, les salles de conseil municipal, les ex-kolkhozes ravaudés aux normes européennes et les krogi à bière. Et tout le monde s'en accommode plus ou moins. On connait les règles non-dites et on en tire parfois profit à des fins personnelles.
Et pourquoi pas, après tout? Tintin, tout frais débarqué de son univers confortable et politiquement correct, se dit qu'il n'a pas le droit de juger. Il peut tout juste espérer un peu moins d'injustice. Car dans le système dont il pressent les contours, il devine de vrais abus et une lassitude profonde chez ceux, les plus nombreux, qui sont du mauvais du côté du manche.
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Parvenir à modifier la trajectoire mentale et structurelle d'un pays exige une mobilisation collective ou, pour le moins, un soutien tacite d'une majorité qui, en Baltonie, sera toujours silencieuse. Or, sous la loupe de l'actualité, il n'y a pour l'instant que quelques individus qui se démènent. Le président Z, en particulier, qui est à l'origine du choix cornélien qui se profile de manière de plus en plus évidente.
Tintin se souvient que cet homme-là, avant d'entrer par hasard en politique, maîtrisait le bistouri comme pas un. Se pourrait-il que derrière son geste politique, le lancement d'une procédure de dissolution du parlement balton, il y ait celui du chirurgien à l'oeuvre pour éviter que la gangrène ne se généralise? C'est en tout cas l'image utilisée par l'un des interlocuteurs de Tintin. Même si le président Z n'est sans doute pas dénué d'arrière-pensées politiques, il est possible qu'il ait conçu son intervention télévisée comme une opération chirurgicale. Le geste qui peut sauver.
Tintin, ce grand idéaliste, aime bien l'idée. Il n'est pas sûr qu'elle tienne la route mais elle aurait le mérite, au-delà de la formule qui plaira sûrement à son rédac' chef, de donner un sens à ce qui, pour quelques sceptiques croisés ici, en manque.
Quoi qu'il en soit, notre reporter se réjouit déjà d'aller traîner jeudi matin du côté du parlement balton. Les députés ont pour consigne d'élire un nouveau président pour quatre ans. Monsieur Z, le sortant, a maintenu sa candidature, prêt à affronter le verdict d'une assemblée d'élus jouissant d'encore moins de crédit dans l'opinion que lui. Cette journée du 2 juin s'annonce prometteuse.
Quelle plume, mais quelle plume!
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