samedi 20 février 2010

Exit la "non-alliance", la Suède est active... euh, "non-passive"!

Tout est affaire de nuances, surtout lorsqu’on aborde la politique de sécurité suédoise. Chaque année en cette saison, experts et diplomates soupèsent le moindre mot prononcé par le ou la ministre des affaires étrangères du royaume dans le discours inaugurant le traditionnel débat parlementaire sur la chose.
Coïncidence, je passais par Stockholm ce jour-là (le 17 février), de retour d'Islande. Pourquoi ne pas en profiter pour écouter Carl Bildt présenter, dans sa nouvelle mouture, la doctrine diplomatique de son pays? Laquelle évolue peu à peu. Dans la nuance, comme il se doit... Pour résumer, d'officiellement "neutre" depuis 1814, ce qui lui a permis de passer entre les gouttes des deux grandes guerres du siècle dernier, la Suède est devenue "neutre en temps de guerre et non-alliée en temps de paix" après la disparition de l'URSS. Puis le "neutre" a disparu à la faveur de l'adhésion à l'UE. Le royaume s'est alors proclamé "libre d'alliance militaire". Cela signifie quoi? Qu'il n'est pas lié par des accords l'engageant dans des garanties de défense réciproques - et donc qu'il est censé pouvoir se défendre tout seul (en dépit du net rapetissement de ses forces armées). Cela ne l'empêche pas de prendre part à "une large coopération militaire internationale". D'où la présence ponctuelle de soldats suédois en Afghanistan (au sein d'une opération menée par l'Otan...), en Afrique, etc.
Alors qu'a donc dit Carl Bildt (photo), le 17 février, du haut de son magistère diplomatique, lui qui - contrairement à la plupart de ses homologues européens - a les coudées franches dans son domaine de prédilection? Il a beaucoup parlé, comme à son habitude, et dans toutes les directions. Mais il y a une expression qu'il n'a pas prononcée... La "non-alliance" militaire! Alors... à la trappe, la fameuse réserve de la Suède dans le domaine?
Non, du moins pas en apparence. Du calme, nous sommes à Stockholm! Le bon Carl Bildt nous a doctement expliqué que, si d'aventure les autres Etats membres de l'UE et les pays nordiques non-membres (Norvège et Islande) venaient à être frappés par une "catastrophe naturelle" ou être la victime d'une "agression", "la Suède ne resterait pas passive".
De "non-alliée", la puissance régionale devient donc "non-passive". On ne peut s'empêcher de sourire devant tant de hardiesse. Les pays concernés peuvent être rassurés! Si j'étais un citoyen estonien ou letton mal dans sa peau pour cause d'activisme russe à ses frontières, je m'empresserais d'envoyer un courriel de remerciements à Stockholm... Au sein du gouvernement suédois, les alliés libéraux de Carl Bildt se sont montrés plus démonstratifs dans leur volonté de faire face à l'imprévisible Russie, y compris en proposant de remilitariser l'île de Gotland, au large duquel passera bientôt le gazoduc Nord Stream si cher à Vladimir Poutine.
On sent bien toutefois que Bildt aurait aimé pousser le bouchon plus loin dans sa formulation. Ne pas rester passif, c'est trop peu pour cet ancien émissaire dans les Balkans, adepte de l'action et du verbe haut, voire tranchant (la comparaison de l'attaque russe d'août 2008 contre la Géorgie avec la doctrine de Hitler, c'est lui). Mais l'ancien premier conservateur doit composer avec une opinion publique suédoise ultra-prudente, qui a horreur qu'on la brusque. Le pays n'a pas connu de guerre sur son territoire depuis près de deux siècles, c'est presque inscrit dans les gênes de ses neuf millions d'habitants.
Le seul fait que l'inflexion sémantique impulsée par Bildt ait eu lieu à sept mois des élections législatives est donc un (petit) événement en soi. D'autant plus qu'entre lignes, il annonce que la Suède est prête à se porter au secours de pays membres de l'Otan (tous ses voisins nordiques et baltes le sont, Finlande exceptée)! Cette évolution, le ministre l'a justifiée - à raison - par l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne, qui comprend une clause d'assistance mutuelle entre Etats membres de l'UE en cas d'"agression armée". Cela lui a permis de montrer du doigt Bruxelles à ceux qui, à gauche, lui reprochent de bousculer les choses et conduire en catimini la Suède vers l'Otan.
Pourtant, le même traité de Lisbonne stipule aussi que la clause précitée "n'affecte pas le caractère spécifique de la politique de sécurité et de défense de certains Etats membres", c'est-à-dire ceux qui se veulent encore "neutres" ou "non-alliés": la Finlande, l'Irlande et... la Suède? Eh bien non, plus maintenant, à en croire l'orientation prise par le gouvernement actuel.
A y regarder de plus près, la formule choisie par Bildt contient ce qu'il faut d'imprécision pour être interprétée de manières très différentes. Laissons de côté le scénario de la catastrophe naturelle, nécessairement plus consensuel, et concentrons-nous sur celui d'une agression (qu'elle soit d'ordre terroriste ou militaire). Que signifie l'expression "ne pas rester passif"? La gamme de réactions qu'elle autorise est vaste, de la simple condamnation officielle à l'assistance militaire, en matériel voire en hommes. Dans ce dernier cas, on serait loin de la neutralité si longtemps chérie par les Suédois.
Et Carl Bildt de préciser sa pensée dans la phrase suivante: "Nous attendons de ces pays [les membres de l'UE et la Norvège, pour la plupart membres de l'Otan] qu'ils agissent de la même façon", donc "non passive", si la Suède était la cible d'une agression.
Le principe d'entraide mutuelle entre pays membres d'une même organisation en cas d'agression contre l'un d'entre eux, cela ne vous rappelle pas vaguement le fonctionnement de l'Otan, avec son fameux article 5? La Suède n'en est pas (encore?) à frapper à la porte de cette alliance militaire mais, sous la conduite des conservateurs et de leurs alliés libéraux, elle s'en rapproche tout doucement.
Les législatives du 19 septembre dans le pays ne se joueront pas sur ce dossier mais de leur résultat dépendra l'enterrement définitif de la non-alliance militaire suédoise, voire de sa toute récente "non-passivité"...

3 commentaires:

  1. C'est vrai que c'est tout en nuances, mais ça avance tout de même vers plus d'intégration.

    Peut-être qu'aussi, un jour, la Suède aura l'euro... :)

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  2. "Si j'étais un citoyen estonien ou letton mal à l'aise dans sa peau pour cause d'activisme russe à ses frontières, je m'empresserais d'envoyer un courriel de remerciements à Stockholm" :D

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  3. "Mal à l'aise dans sa peau", ça fait un peu beaucoup effectivement... J'ai allégé la formule et je me sens plus à l'aise...

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