Qu'en aurait pensé Hans Christian Andersen? La Petite sirène, statue inspirée par l'un de ses contes, a quitté Copenhague! Pour un premier voyage depuis son installation, en août 1913, sur un rocher du port danois, la célèbre créature à la queue de poisson - 175 kilos sur la balance tout de même - n'a pas mégoté: direction la Chine. Shangaï plus exactement, où elle est d'ores et déjà le clou incontestable du pavillon représentant le Danemark à l'Expo 2010 qui ouvrira samedi. Pour l'occasion, le royaume a imaginé un concept un peu tiré par les cheveux: celui du pays du "Welfairytale". Ou comment mettre dans un même panier welfare scandinave et fairy tales... Séduire ces Chinois au grand appétit vaut bien quelques contorsions du genre. En six mois, près de 100 millions de visiteurs sont attendus à l'Expo de Shangaï, dont 95% de ressortissants du pays hôte. Andersen serait, lit-on dans la presse danoise, extrêmement populaire parmi les centaines de millions d'enfants chinois. Alors...
Le déracinement de l'icône danoise, la plus belle des six filles du Roi de la mer, a provoqué quelques remous dans le royaume. Est-ce bien nécessaire de l'expédier de l'autre côté du globe? En Chine, qui plus est? Et qu'en penseront tous ces touristes étrangers mal informés qui, lorsqu'ils se rendront sur la promenade Langelinie, trouveront jusqu'à fin novembre une installation vidéo signée d'un artiste chinois (Ai Weiwei) en lieu et place de la belle, d'ordinaire assise là, "silencieuse et réfléchie"?
Il n'est pas dit toutefois que H. C. Andersen se serait plaint d'une telle aventure orientale. L'écrivain aimait à voyager. Entre 1831 et sa mort, il mena une trentaine d'expéditions hors de Copenhague. Car c'est bien d'expéditions dont il s'agissait à l'époque, dès lors qu'on s'éloignait de son pré carré. Andersen ramena de ces périples des récits enlevés, qui nous rappellent qu'il n'excellait pas uniquement dans l'écriture de contes. L'un de ces récits, presque prémonitoire, s'intitule... Ombres chinoises.
Enfin, le titre complet est Ombres chinoises d'un voyage dans le Harz, la Suisse saxonne, etc, etc au cours de l'été 1831 (sic). Le Danois n'est pas allé plus loin que le Proche-Orient. Pourquoi donc ombres chinoises? L'enfant d'Odense s'en explique dans l'entame de ce récit du tout premier voyage qu'il entreprit hors de son pays, à l'âge de 26 ans. Après avoir averti le lecteur que sa narration n'aurait rien de plus originale ni théâtrale que les contrées traversées et les gens rencontrés, il poursuit: "Je vais ouvrir mon coeur et montrer toute une série de tableaux bariolés, un voyage enchanté. Pas besoin de tendre une toile sur le mur, c'est trop de dérangement. Nous avons la page blanche dans le livre, c'est là que vont apparaître les images; elles sont dessinées, il est vrai, à traits un peu approximatifs, mais l'on se souviendra que ce ne sont là que des ombres chinoises de la réalité."
J'emprunte ces lignes à Michel Forget, qui a traduit pour la première fois en français quatre des récits de voyage ramenés par le poète-écrivain, rassemblés en un seul et même volume que je recommande (Voyages, publié cette année chez Riveneuve). Les trois autres excursions nous conduisent Chez Charles Dickens (dans le Kent, "à vingt-sept lieues de Londres"), dans la région danoise de Skagen, avant de terminer au Portugal via Bordeaux. Mon petit pois, non, mon petit doigt me dit pourtant que les édiles de Copenhague n'auront pas l'idée d'y expédier, là aussi, la Petite sirène, une fois son exil chinois achevé...
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